Au Sénégal, l’ambitieux Barthélémy Dias creuse son sillon

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BARTHELEMY DIAS© Malick MBOW

Le nouveau maire de Dakar incarne une génération de responsables politiques qui séduisent une partie de la jeunesse, excédée par l’usure des partis traditionnels et l’absence de perspectives dans le pays.

Par Théa Ollivier(Dakar, correspondance)

Publié aujourd’hui à 00h49, mis à jour à 05h08

Barthélémy Dias à Dakar, le 1er décembre 2021.
Barthélémy Dias à Dakar, le 1er décembre 2021. SEYLLOU / AFP

Dans la salle des délibérations de l’hôtel de ville de Dakar, sous le lustre et les moulures, le préfet glisse l’écharpe aux couleurs du Sénégal autour de la taille de Barthélémy Dias, jeudi 17 février. Le moment n’est pas seulement solennel pour celui qui a remporté il y a trois semaines les élections locales dans la capitale sénégalaise. Il est aussi une belle revanche pour l’un des principaux opposants au président Macky Sall.

A 46 ans, Barthélémy Dias incarne une nouvelle génération politique qui a su mobiliser une jeunesse excédée par l’absence de perspectives et par l’usure des partis traditionnels. Khalifa Sall, très populaire ancien maire de Dakar, mais aussi Ousmane Sonko, nouveau maire de Ziguinchor et arrivé en troisième position à la présidentielle de 2019, en sont d’autres visages. Barthélémy Dias ne s’y est d’ailleurs pas trompé. Ses premiers mots de maire sont pour celui qu’il décrit comme son mentor. « J’envisage de proposer au conseil municipal de conférer à M. Khalifa Ababacar Sall le statut de maire honoraire de la ville de Dakar », a-t-il déclaré sous les applaudissements de l’audience venue en masse.

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Fils de fonctionnaires, il se définit lui-même comme un « pur produit du socialisme ». Son père, Jean-Paul Dias, a été conseiller technique à la présidence sous Léopold Sédar Senghor, ministre sous les régimes d’Abdou Diouf et d’Abdoulaye Wade, et aujourd’hui envoyé spécial du président Macky Sall. « Son père lui a transmis sa fibre politique et militante », observe Cheikh Khoureychi Ba, avocat et proche du chef de famille.

Sa carrière politique a démarré en 2000 en battant campagne pour l’ancien président Abdou Diouf depuis les Etats-Unis, où il avait déménagé dix ans plus tôt pour faire ses études. Les socialistes perdent l’élection mais il poursuit son engagement pour combattre le nouveau président, Abdoulaye Wade, du Parti démocratique sénégalais (PDS). Il rentre au pays en 2004. « Je suis revenu avec un esprit conquérant, combattant et persévérant », assure celui que la presse qualifie souvent d’« enfant terrible », « bouillonnant », « va-t-en guerre ».

Image tenace de cow-boy

Entré au Parti socialiste l’année suivante, il y gravit petit à petit les échelons jusqu’à devenir le secrétaire général du mouvement de la jeunesse. En 2009, âgé de 33 ans, il est élu maire de la commune dakaroise Mermoz-Sacré-Cœur. « A l’époque, le Parti socialiste, au pouvoir depuis l’indépendance, n’avait pas l’expérience de l’opposition. Barthélémy Dias a émergé en résistant au régime libéral d’Abdoulaye Wade », analyse Maurice Soudieck Dione, professeur agrégé de science politique à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis. « Il a montré que les jeunes peuvent mener le combat dans la rue », ajoute l’universitaire.

Le mot « combat » n’est pas usurpé. En décembre 2011, il est filmé devant sa mairie, un pistolet dans chaque main, blouson de cuir et larges lunettes de soleil sur le nez, tirant sur ceux qu’il accuse d’être des nervis du PDS, le parti d’Abdoulaye Wade, alors au pouvoir. L’un d’eux est tué par balle. « Ce jour-là, j’ai sauvé ma vie alors que le pouvoir voulait me liquider », se défend-il encore aujourd’hui. L’altercation se produit dans un contexte politique tendu : Abdoulaye Wade veut se présenter à un troisième mandat. La rue s’y oppose, en vain. Il sera finalement battu dans les urnes par Macky Sall.

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L’affaire vaut une image tenace de cow-boy à Barthélémy Dias mais aussi de sérieux ennuis judiciaires. En 2017, il est condamné à deux ans de prison, dont six mois ferme, pour « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Une peine purgée en détention provisoire et une condamnation dont il a fait appel. La prochaine convocation est prévue le 2 mars 2022.

En 2012, c’est donc depuis sa cellule qu’il est élu député et appelle à voter pour Macky Sall, qui incarne alors un espoir d’alternance. Le compagnonnage ne va pas durer. Il quitte le Parti socialiste, tout comme Khalifa Sall, derrière lequel il se range. A l’époque, le maire de Dakar porte les espoirs de l’opposition pour la présidentielle de 2019Mais celui-ci est finalement écarté de la course électorale. Quelques mois avant le scrutin, Khalifa Sall est condamné à cinq années de prison pour « escroquerie aux deniers publics et blanchiment de capitaux », avant d’être gracié.

Dans ce cas comme dans d’autres, l’opposition dénonce l’instrumentalisation de la justice par le pouvoir. Pour preuve, selon elle, peu avant les municipales de 2022, Barthélémy Dias est convoqué au tribunal, dans le cadre de sa procédure d’appel. Il appelle alors ses militants « à la résistance » et à l’accompagner au tribunal. Des heurts éclatent avec les forces de sécurité, lui-même est très brièvement arrêté.

« Emergence d’opposants radicaux »

Un scénario similaire s’était produit début mars 2021 avec Ousmane Sonko. Accusé de viols par une jeune femme travaillant dans un salon de massage, il avait mobilisé ses soutiens le jour de sa convocation au tribunal. La manifestation avait dégénéré en émeutes meurtrières et fortement secoué le pays. « En 2015, Macky Sall avait déclaré vouloir “réduire l’opposition à sa plus simple expression”, ce qui a favorisé l’émergence d’opposants radicaux et intransigeants, qui refusent le compromis avec le pouvoir et pour qui la violence n’est pas exclue », analyse Maurice Soudieck Dione.

C’est dans ce contexte que naît Yewwi Askan Wi (YAW, « Libérer le peuple »), principale coalition d’opposition dont Khalifa Sall, Ousmane Sonko et Bartélémy Dias comptent parmi les leaders. Ses candidats ont remporté plusieurs villes importantes lors des élections locales du 23 janvier : Dakar mais aussi Thiès (ouest) ou Ziguinchor (sud). Pour Pape Mahaw Diouf, porte-parole national de la coalition présidentielle BBY, c’est « le discours populiste et incendiaire de Barthélémy Dias qui a séduit une partie de la jeunesse de Dakar ». Et lui aurait permis de conquérir la mairie de la capitale.

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Cette opération séduction va probablement se poursuivre en vue des élections législatives prévues le 31 juillet, auxquelles il compte bien se présenter. Et remporter la mise avec YAW. Ensuite, cap sur la présidentielle de 2024, à laquelle Barthélémy Dias jure qu’il ne se présentera pas. « Khalifa Sall reste mon mentor politique et mon candidat », martèle-t-il.

En attendant, le nouveau maire de Dakar assure vouloir « collaborer avec l’Etat et Macky Sall pour le bien-être de la capitale et de ses habitants ». Le 7 février, c’est d’ailleurs au côté du chef de l’Etat qu’il a accueilli les footballeurs sénégalais, tout juste sacrés champions de la Coupe d’Afrique des nations. Mais « travailler avec le président ne signifie pas le soutenir », prévient-il.

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