Sous nos cieux, diplôme ne rime pas toujours avec emploi. La jeune diplômée du Faseg en gestion d’entreprise, Mame Gnilane Diouf l’a appris à ses dépens. Titulaire d’un Master, la jeune femme court, depuis, derrière sa première aventure professionnelle. À la l’occasion de la célébration de la Journée internationale dédiée aux femmes, Seneweb est allé à la rencontre, de cette femme au foyer bardée de diplômes.
Tout était pourtant si bien parti. Sa famille, qui vit dans la région de Kaolack, a serré la ceinture pour investir sur sa réussite. Et Mame Gnilane, en bon élève, a bien travaillé à l’école pour mériter ce ‘’sacrifice’’. Son père, policier radié en 1987, sa mère, femme au foyer qui assumait pleinement son rôle, se sont pliés en quatre pour assurer à leurs enfants un avenir radieux.
Mais c’était sans compter sur les caprices du destin.
Mine affligée, cœur meurtri…c’est avec désespoir que cette bonne femme raconte à Seneweb ses rêves brisés et ses espoirs douchés par un destin accablant. Du haut de sa trentaine, elle est aujourd’hui le genre de femme qui peine à prendre l’entière mesure de sa réalité quotidienne.
Pour celle qui a fait sa scolarité au lycée technique Abdoulaye Niass de Kaolack avant de décrocher son bac en 2010, le scénario de sa vie ressemble plutôt à un cauchemar sans fin. Orientée à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, elle fait des études à la faculté des sciences économiques et des gestions (FASEG) où elle décroche un diplôme de Master 1 en gestion des entreprises.
Une Famille de cracks
Un monde nouveau s’ouvre à elle, celui d’une carrière professionnelle où elle devra chercher de l’emploi afin de satisfaire ses besoins et aider ses parents. Cependant, la quête est, d’emblée, ardue. La chance tarde à lui sourire. Elle subit le même sort que ses frères et sœurs qui, dit-elle, ont tous du mal à trouver un boulot.
Pourtant du background, elle et ses frangins en ont à revendre. En effet, Gnilane est issue d’une famille de « cracks ». La famille compte un ingénieur en mine, un technicien en électricité, et un ingénieur en géotechnique sorti fraîchement de Thiès. Une de ses sœurs est médecin et le cadet de la famille, ingénieur agricole. Mais aussi paradoxalement que cela peut paraître, seul le technicien en électricité a, actuellement, un travail.
Gnilane, pour sa part, s’est échinée dans tous les coins et recoins de Dakar pour trouver un emploi. Mais c’est peine perdue. A la question de savoir si elle a bien cherché du travail, elle éclate de rire. Gnilane a, en effet, toqué à toutes les portes des plateformes privées et/ou publiques qui disent offrir du travail.
« Cela me fait rire parfois. J’ai tellement déposé que cela me paraît bizarre », se désole-t-elle, le cœur alourdi par le chagrin. Son premier stage dès sa première année a été obtenu par le biais d’un ami de son père qui était Imam et qui travaillait à la Sonatel. Un stage d’une durée de 2 mois. Elle parviendra à décrocher un second stage sans que cela ne se concrétise par une embauche.
Depuis lors elle multiplie les initiatives, de la plateforme pôle-emploi de Diamniadio, en passant par « xeyu Ndaw gni ». Mais toutes ces tentatives se soldent par des infortunes. « Il faut avoir des appuis pour trouver un emploi dans ce pays. Tant qu’on n’a pas des connaissances ou des parents dans le monde du travail, c’est peine perdue», relève-t-elle pour déplorer le système de piston qui, certes, fait le bonheur de certains, mais lèsent des milliers d’autres. En guise d’exemple, elle cite le cas d’une « amie » qui a succédé à son père à la Sonatel.
Le mariage, l’autre alternative
Diplômée sans emploi, Gnilane puise, désormais, son épanouissement social dans le mariage. Aujourd’hui, mère de deux enfants, âgés de 9 mois et de 5 ans, elle n’a que son mari pour le soutenir en plus de son petit commerce dans la vente en ligne. « Vous savez, mon mari est un policier, mais c’est quelqu’un qui me soutient, qui me comprend beaucoup même s’il a beaucoup fait pour moi », avoue-t-elle.
« Quand j’ai fini mon master 1, il a pris en charge ma formation en management des projets pour pouvoir établir un business plan mais dans toutes les banques et structures financières où je suis allée, je n’ai pas réussi à obtenir un financement », confie-t-elle.
Son seul regret aujourd’hui est de ne pas être en mesure de rendre la monnaie de la pièce à tous ceux qui ont investi dans ses études, notamment ses parents. « C’est très dur d’épauler tous ses enfants durant tout leur cursus et qu’en retour, il y’en a un seul qui a du boulot. Surtout mon père qui, même radié, a continué à se sacrifier pour nous. Peu de parents peuvent supporter une pareille situation », lâche Gnilane émue.
« Le délit d’être diplômée… »
Sa plus grande déception fut le jour où elle est allée faire un entretien composé d’un jury de trois personnes : un psychologue, une inspectrice et un directeur. Elle ressent encore de l’amertume au souvenir des paroles d’un des membres du jury à son endroit.
« Toi, avec ce diplôme, tu crois que tu vas enseigner. Tu sais très bien que quand tu entres dans l’enseignement, tu ne vas pas exceller, tu n’iras pas loin. Je ne pense pas te retenir car tu sais très bien qu’avec tes diplômes, tu ne vas pas travailler », lui avait-elle dit. Des propos qui ont porté un sacré coup à son estime de soi. Après cet entretien, Gnilane perd ainsi le peu de confiance qui lui restait.
« J’ai été tellement touchée, frustrée et vexée. Finalement, j’étais dans la liste d’attente et pourtant j’avais de l’espoir car nous étions 30.000 candidats au total. Après le test de présélection, ils ont sorti 5000 pour la dictée et ensuite 3000 pour l’écrit et enfin la dernière phase qui est l’entretien avec 1500 personnes et j’en faisais encore partie », narre-t-elle.
Aujourd’hui encore, elle garde intact le visage de cette femme qui ne l’a pas du tout soutenu. « Elle a cherché à me noyer comme si c’était un délit d’avoir des diplômes », observe-t-elle. Cette épreuve, néanmoins, la pousse à continuer sa quête d’emploi avec l’espoir de décrocher le graal très prochainement. Forte de l’expérience de ses nombreuses tentatives infructueuses sur le marché de l’emploi, Gnilane invite les autorités à revoir le système éducatif sénégalais tout en mettant en adéquation l’enseignement et la pratique dans l’entreprise, aussi d’éviter la surcharge des matières.
Elle espère, également, une réforme du système de recrutement qui privilégierait la compétence plutôt que les relations personnelles.