Indiquer : Vous avez participé activement à la vie du Parti socialiste pendant un demi-siècle. Que faire après la débâcle d’Anne Hidalgo au premier tour de l’élection présidentielle ? Le dissoudre, comme le prônait l’ancien Premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis, ou tenter de le sauver de l’intérieur ?
Que comptez-vous faire, personnellement ?
Sont-ils irrécupérables pour le PS ?
Ils ne sont pas perdus, mais ils se sentent abandonnés. C’est avec eux et elles qu’il faut retravailler. Alors je monte un mouvement, que j’appelle « Réinventer ! “. Son slogan : gauche, la tête dans les étoiles, les deux pieds sur terre. La question que vous allez me poser, c’est : “Qui va diriger ?” ” Je vais répondre, comme lors du mouvement des jeunes en 1986 contre la loi Devaquet : « Personne, on s’en occupe nous-mêmes ! »
C’est-à-dire ?
La question n’est pas de savoir qui est le prochain ou le prochain candidat, mais comment raviver le désir d’un peuple, comment le faire rêver d’un destin commun. Nous avons besoin d’un projet social, pas d’une plate-forme résultant d’une infinité de commissions d’experts qui aboutissent à un catalogue. Je prends un exemple. Je défends depuis des années l’idée d’une dotation universelle de 50 000 euros pour chaque jeune, à l’âge de 18 ans. En contrepartie, chacun d’entre eux, entre 18 et 25 ans, effectuera un service d’action civique de dix-huit mois. Désolé de vous le dire, mais c’est un peu plus sexy que tout ce que j’ai entendu pendant cette campagne électorale, où les jeunes étaient les grands absents. Les multinationales du numérique et de la téléphonie devraient également être appelées à financer cette aide, puisqu’elles utilisent nos données personnelles sans jamais les rémunérer.
J’ai dépassé l’âge de jouer aux Lego. L’assemblage ne m’intéresse plus. Je veux travailler sur le fond, et en toute bonne volonté, tous les républicains. Tout le monde peut même apporter des idées de Reinvent! dans son parti politique. Notre vocation est de réécrire un projet de société. Il faut repenser nos modes de consommation et de production autrement qu’avec des gadgets. Cela ne me dérange pas de remplacer les voitures à essence par des véhicules électriques à batteries au lithium, mais regardez les dégâts causés par l’extraction du lithium en Chine ou au Chili. Est-ce cela la modernité ? Je préfère que nous investissions dans les moteurs à hydrogène. De même, j’hésite à utiliser le mot « déclin », car il induit l’idée d’un retour à la pénurie, et ce sont toujours les pauvres qui souffrent de la pénurie. D’autre part, il y a un modèle de consommation à repenser. A quoi bon remplir les supermarchés de produits qui seront jetés dans les prochains mois ?
Je veux créer une effervescence idéologique.
Pensez-vous, comme d’autres, que le Parti socialiste ne travaille plus sur le fond ?
C’est ça. Je vais vous raconter une anecdote. Il y a un an, j’ai proposé à Olivier Faure [le premier secrétaire du PS, NDLR] une idée inspirée par François Mitterrand avec son émission « Changer la vie » en 1971, et l’initiative du PS après la défaite de 1993, avec les États généraux de Lyon : proposer des cartes de membre PS à 5 euros, créer une chaîne YouTube avec des débats permanents, faire voter les adhérents sur des sujets importants, rassembler toutes les grandes forces syndicales et associatives, créer une effervescence idéologique autour de nous… Olivier Faure me dit “oui”, mais la seule fois qu’on appelle, c’est pour dire moi : « On a besoin de toi pour mettre tout ça en scène ! J’ai répondu que je pouvais donner des adresses d’organisateurs de concerts, mais ce n’est pas ce que je voulais faire. Je suis parti, et il ne s’est rien passé au PS.
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Pourquoi le Parti socialiste refuserait-il cette « effervescence idéologique » ?
Parce qu’il touche quelques petites baronnies ; parce que c’est dérangeant d’écouter les gens. Dès la naissance des Gilets jaunes, j’avais prévenu que c’était un mouvement de classe populaire très important, même s’il n’était pas physiquement pur. Notre rôle était d’être à ses côtés pour discuter, sans s’emparer des bêtises sur la violence ou l’antisémitisme que nous accusions les Gilets Jaunes de porter. Il aurait fallu se rendre aux barrages routiers et aux ronds-points, pour s’associer positivement au mouvement. Cela l’aurait aidé à gagner un certain nombre de revendications. Avec un intérêt du PS, toute cette France dite « périphérique » aurait enfin senti que la politique s’en occupait vraiment. Cependant, là encore, le Parti socialiste n’a rien fait.
En France, il n’y a qu’un grand parti centriste et deux partis extrêmes, ou presque. Est-ce la raison de l’émergence de mouvements sociaux radicaux, comme les Gilets jaunes ?
A partir du moment où les forces qui pourraient porter ces messages de revendications sociales sont en crise, il ne reste qu’un seul message qui s’imprime dans la société : quand vous cassez, on vous écoute ; quand vous ne cassez pas, vous n’existez pas. C’est très dangereux.
La politique, surtout à gauche, ne sait plus comment canaliser la colère ?
Non. On ne porte plus la colère, on ne lui donne plus de sens, on s’en méfie, on a peur de la révolte du peuple.
Jean-Luc Mélenchon, il porte la colère du peuple !
Je n’ai toujours pas compris, quinze ans après la rupture officialisée de Jean-Luc Mélenchon avec le Parti socialiste, ce qu’il veut faire et en quoi il croit. remarquez qu’il n’a toujours pas gagné après trois campagnes présidentielles. Ils me répondront : « Il a perdu, mais de peu. Mais la question est : “Pourquoi ce ‘petit’ ?” Pourquoi n’est-ce que vers la fin de la campagne, à chaque fois, qu’une force se lève autour de lui ? Pourquoi avec Jean-Luc Mélenchon y a-t-il toujours des sacs et des ressacs ? Veut-il construire un projet majoritaire à vocation de gouverner le pays, ou simplement construire, avec sa vision bolivarienne de la révolution, un pôle de radicalité et de contestation permanente, qui ne gouverne pas ? François Mitterrand nous l’avait appris : pour gouverner, il faut savoir s’ouvrir. S’ouvrir n’est pas se diluer, c’est tendre la main et accepter de dialoguer. Moi, j’ai approché Jean-Luc Mélenchon en 2017. Après l’élection présidentielle, je suis allé le voir pour l’aider. Il me renvoya dans le désert tartare en m’expliquant que j’avais été trop ami avec Hollande. Je ne lui ai pas dit qu’il avait été trop ami avec Jospin ! Une fois de plus, la question est posée, et si la réponse est de dire : “Circulez, il n’y a rien à faire”, nous recommencerons les mêmes erreurs.
Il ne veut donc pas gouverner ?
En tout cas, elle ne se donne pas les moyens de constituer une force centrale. Il m’a dit de relire Chantal Mouffe [théoricienne de la démocratie radicale, NDLR], mais plus je le lis moins je comprends ce qu’il veut faire. Je n’ai jamais été adepte des théories des années 1970, qui prônaient notamment la rupture entre les élites et le peuple. Nous avons besoin des élites, si elles sont au diapason du peuple.
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Vous ne voulez pas exercer de pouvoir non plus ?
Avec moi, on est tranquille : j’ai 67 ans, je ne suis candidat à rien, j’ai eu des mandats qui m’ont pleinement satisfait.
Et si Emmanuel Macron, dont vous êtes proche, vous tend la main pour rejoindre le gouvernement s’il est réélu ?
Non c’est fini. Quand quelqu’un me tend la main, je suis poli, je le serre, et j’accepte le dialogue ou la confrontation idéologique. Mais je ne recherche qu’une chose, en laquelle j’ai toujours cru : celle d’un successeur. Contrairement aux idées reçues, les jeunes ne sont pas désintéressés de la vie publique. C’est avec eux que j’ai envie de travailler, un peu comme le grand frère, ou comme ceux qu’on appelait autrefois les éducateurs du peuple. Je suis le fils d’un enseignant, mon métier est de transmettre. Aujourd’hui, je préfère être un bon vieux maître d’école qu’un baron noir. Prenons un autre exemple. On m’a reproché d’aller à CNews, mais j’en suis passionné. J’ai de vrais adversaires devant moi. Je sais que certains téléspectateurs de CNews ne m’aiment pas beaucoup, mais j’ai réussi mon pari quand beaucoup de gens m’ont dit : « Si la gauche te ressemblait, elle nous intéresserait beaucoup plus. J’en tire la conclusion que là aussi, il y a des têtes et des cœurs à conquérir. Cela doit se faire sans sectarisme.
Il n’y aura pas de victoire politique s’il n’y a pas de victoire idéologique d’abord.
Dans le film Disparition, vous dites que le PS, après avoir réussi ses grandes conquêtes sociales, ne bouge plus. Et quand on arrête de bouger, on recule…
Il n’y aura pas de victoire politique s’il n’y a pas de victoire idéologique d’abord. La gauche doit notamment rompre avec ce qu’elle avait inventé dans les années 1990, car elle était pressée : le bien-être généralisé, qui donne le sentiment aux classes moyennes et ouvrières actives que la gauche ne croit plus à la valeur travail ou à l’utilité. Pourtant, c’est le travail qui donne un sens à une vie. La gauche était aussi un grand projet éducatif et culturel. Faire aimer l’école aux enfants, faire irriguer la culture dans nos vies, tout cela a été oublié dans cette campagne présidentielle.
Le combat politique ne passe-t-il pas d’abord par l’incarnation ? Après tout, François Mitterrand a réuni les socialistes parce qu’il a gagné.
Les combats d’ego nous ont tués. De toute façon, il n’y a pas, dans le paysage actuel, de Mitterrand. Je me souviens très bien d’une conversation avec lui. Il m’a dit qu’en 1971, lorsqu’il avait disparu des radars, il avait passé des dimanches entiers à des conférences et des conventions, et des nuits à dormir dans des couloirs de train. C’est ainsi qu’il est devenu Mitterrand. Il avait fait ce travail intellectuel là-bas. L’histoire montre que lorsque les idées phosphorent, elles génèrent des générations dans lesquelles il y a toujours des personnalités émergentes. Mais quand il n’y a pas de mouvement, il n’y a pas d’incarnation.