PAR OÙ DEVRA-T-IL SE RÉINVENTER DEMAIN, APRÈS LUI ?

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PAR AMADOU LAMINE SALL
Amadou Lamine SALL ©Malick MBOW

Il n’existe que des femmes et des hommes sous-développés, c’est à dire sans ancrage historique solide, sans culture, sans formation. Il faut de l’enracinement et de la projection. Malgré les réalisations jamais notées dans le pays, les défis s’accumulent

Amadou Lamine Sall  |   Publication 09/05/2022

«Les Sénégalais sont fatigués », entend-on ! Malgré les réalisations et infrastructures impressionnantes jamais notées dans le pays, les crises et les défis s’accumulent et la conjoncture mondiale vient encore tout compliquer. Tout est prioritaire !

D’abord la mise en place d’un bouclier du pouvoir d’achat ; le soutien aux ménages ; l’augmentation des habitats sociaux pour les plus démunis ; la revalorisation des retraites ; la prise en charge des handicapés ; l’urgente réforme de l’accueil des malades et blessés aux urgences ; les nouvelles missions à donner à la Direction de la Pharmacie nationale pour l’approvisionnement gratuit des pharmacies dans les hôpitaux afin de soulager les plus démunis qui meurent sous des ordonnances de première nécessité ; la réduction du chômage des jeunes ; l’étude du projet 10 jeunes un hectare avec les machines remboursables ; la création de théâtres de verdure et de cinémathèques dans chaque centre culturel régional ; la création de brigades mobiles sécuritaires motorisées ; la valorisation des salaires des militaires, gendarmes et policiers ; la réforme urgente de l’école sénégalaise avec de nouveaux projets pédagogiques ; l’ouverture d’école de métiers où les jeunes pourront être orientés dès l’admission à l’entrée en 6ème, ce qui donne un apprentissage et des filières qui s’ouvrent sur des débouchés ; la réduction drastique des dépenses publiques de prestige ; la négociation de bonnes dettes maitrisées -elles sont incontournables- ; la facilitation de la compétitivité de nos entreprises ; l’exigence de transfert de technologies face aux entreprises étrangères ; fouetter l’attractivité économique ; accompagner le secteur privé avec une exigence de résultats et d’évaluations ; asseoir des allègements fiscaux sans nuire les recettes dont l’État a besoin pour accompagner les Sénégalais dans une vie meilleure.

Si l’État ne gagne pas de l’argent, il ne pourra pas investir et faire face à ses politiques de développement. Et dire qu’un homme seul décide de tous ces travaux d’Hercule, fait seul face et reçoit seul tous les fouets ! C’est son destin ? Il l’a choisi ?

Certes, mais au regard de toutes ces taches, cet homme doit être secouru, ce qui veut dire que ses énormes et multiples responsabilités sont de trop et doivent être partagées selon de nouvelles réformes constitutionnelles. C’est d’un nouveau système politique dont il s’agit pour aider les Présidents à venir à mieux gouverner en étant lesté de responsabilités excessives ! Une nouvelle société sénégalaise réinventée, s’impose. Cet homme qui fait face à tant de montagnes est cependant debout, omnipotent comme l’exige sa mission, et non agenouillé ! Mais il manquera toujours quelque chose à son efficacité, au regard de l’excès des taches que le peuple sénégalais lui a confiés.

Le temps présidentiel est court et étroit. Il est inscrit dans l’immédiateté et le résultat. Il fait face au fracas, au corps-à-corps, aux pulsions, à la jalousie, la surdité, la confrontation, la violence. Mais c’est le temps exigeant de la démocratie. Et ce n’est qu’un homme face à 17 millions de compatriotes ! « Plus vite on monte et plus vite on descend », me dit, énigmatique, un vieil ami. Alors, prudence et patience sur le chemin du pouvoir…

On peut tout reprocher au chef actuel du pouvoir politique en place -car chacun doit être libre de juger, de critiquer, d’approuver, de désapprouver -, mais Macky Sall a tout de même bossé, bossé, bossé ! Il faut sortir de Dakar la moche, l’enfumeuse, et plonger au cœur des régions par les péages, les routes, les pistes et les ponts, les éclairages, les réseaux solaires, les points d’eau, les ouvrages hydrauliques en milieu rural, pour se rendre compte de la réalité des essentiels réalisés.

Bien sûr, il en restera toujours. Il n’existe pas d’homme providence. Il n’existe que des hommes qui travaillent et Macky travaille ! Dans l’aristocratie « halpoular », on ne vole pas, on ne ment pas, on prend ! Point final. Un homme qui a une blessure dans le dos est un homme qui a fui. Il s’y ajoute que devant le fait accompli, on meurt ou on part ! Mais les temps ont tellement changé ! Après Macky Sall, espérons ne pas subitement vieillir de 100 ans !

A la vérité, aucun président de la République ne saurait « kidnapper » le Sénégal. Le peuple sénégalais sera garant de sa propre souveraineté et de sa quête têtue de démocratie. Jamais dans ce pays, nous n’assisterons au « déclin du courage » !

La première mission de ceux-là qui, demain, occuperont tour à tour le palais de l’Avenue L.S.Senghor, sera de tenter de construire la meilleure des infrastructures, la plus fondamentale d’entre toutes: le nouvel homme sénégalais ! C’est une urgence ! Sans cette nouvelle « infrastructure » humaine primordiale, nous resterons dans la peur, le doute, l’inachevé, l’inaccompli, l’errance, l’exil intérieur. Nous sommes déjà entrés dans la civilisation des va-t-en je m’en fous ! Ceux qui ne respectent rien ni personne, insultent, cognent, violentent, volent, violent, tuent, assassinent, défient l’ordre public, pissent sur leurs géniteurs, se moquent de Dieu, crachent sur le sacré. Le mal, le sang et l’argent sont leurs trophées ! Bref, des femmes et des hommes du chaos.

Les délinquants d’État compris et souvent impunis ! La criminalité sous toutes ses formes est devenue un jeu d’enfants ! Nous devons nous armer pour freiner un tel type de société, ce facteur d’anéantissement et du néant ! Nous devons défendre l’héritage de nos traditions et valeurs ! Refusons cet universalisme odieux qui ne saurait être notre modèle dans un monde qui se veut uniforme ! S’ouvrir certes, mais rester dans l’or des trésors de nos identités.

L’État doit asseoir sa responsabilité, son autorité et son efficacité. Sans faiblir ! Un État doit être fort. Il doit « protéger, décider, agir », ne rien remettre au lendemain pour parer au temps à la fois long et court des mandats présidentiels. Mais pour être fort, il faut surtout savoir reconnaitre le droit des autres, le respecter, quoique cela coûte ! Nous sommes dans un total traumatisme politique et social ! Il faut s’en sortir et aller vite aux réformes, particulièrement celles de nos institutions, celles de l’Administration centrale qui paralyse tout.

Sans compter cette terrifiante plaie que constitue la corruption et qui la gangrène impunément. Mais, à la vérité, cette fondamentale première infrastructure de réinventer un nouvel homme sénégalais, n’est pas l’œuvre d’un seul Président. Elle incombe à chaque Sénégalais, même si celui que nous avons choisi comme guide politique temporel doit, dans l’exercice de ses fonctions, faire de l’éthique, de la justice, du civisme, de la discipline, du respect du bien public, de la dignité de soi, son cheval de bataille.

En un mot, tout commence par la culture ! Il n’existe pas de pays sous développé. Il n’existe que des femmes et des hommes sous-développés, c’est à dire sans ancrage historique solide, sans racines, sans culture, sans formation. Il faut de l’enracinement et de la « projection » ! La première alternance politique de notre pays a fait exploser et dans une totale désintégration, nos systèmes de valeurs, alors qu’elle était si attendue dans ses promesses, après les longs règnes de Senghor et de Diouf. On s’attendait à prendre un tournant décisif pour nous offrir un autre système politique encore plus ouvert, plus démocratique, plus audacieux. Le tournant fut une déception sans nom. La surprise fut apocalyptique ! Jamais un pays « pauvre » ne s’inscrivit autant à des rallyes aux milliards.

Jamais un pays ne connut des nominations surréalistes aux hauts postes de la République, des femmes et hommes sortis de nulle part et sujets à tant d’incompétences crasses et de dérives. Naissait ainsi, en rampant, la désarticulation éthique et morale la plus inattendue de l’histoire politique de notre pays. L’État avait implosé.

Le Vieux avait même créé son propre hymne « africain » qui semblait snober l’hymne national. Mais, aussi paradoxal que cela pouvait paraître, c’est dans ce méli-mélo nauséabond que le Sénégal connut pourtant son développement infrastructurel le plus spectaculaire, le plus audacieux, depuis l’indépendance. Le Vieux avait beaucoup osé ! Cela est à saluer ! Ne nous lassons jamais de répéter ce qui suit afin que les jeunes générations le sachent : l’histoire a voulu que le Sénégal ait été rêvé et porté par un poète qui lui donna l’indépendance. Les poètes font toujours sourire. Là, c’était sérieux.

Ce poète qui fut tant décrié puis chanté plus tard, nous laissa les fondements d’un État fort, bâti sans pieu mais au fond d’un sol dur. Il rêva d’une nation, la théorisa comme penseur et comme humaniste, l’esquissa avec un puissant talent. Chrétien minoritaire, Sérère minoritaire, il réussit l’osmose et mit debout une nation rassemblée. C’est sur ce terreau solide et fertile, que tout le reste a poussé, après lui. Puis, vint un pur, solide et éthique technocrate, distant avec l’argent, formé de part en part dans le moule prégnant d’un très long exercice du pouvoir administratif au cœur de l’État central.

Puis vint un avocat et professeur d’économie. Puis vint un ingénieur. Le seul tronc commun entre ces quatre présidents de la République du Sénégal, est qu’ils étaient tous des hommes politiques parmi les plus redoutables qui furent. Ce qui devrait nous interpeler tous pour nous demander en quel temps il sera un jour possible d’accéder au pouvoir sans forcément passer par la politique, comme nous le vivons depuis Senghor à Macky Sall. N’est-ce pas cela d’ailleurs le véritable but lorsque l’on dit vouloir « changer le système » ?

Le piquant, est que ceux qui ont le pouvoir de changer le système sont dans le système ! Le peuple n’a que le pouvoir d’élire un Président et non le pouvoir de changer un système. Pour un politicien, on ne change pas un système qui vous fait gagner ! A moins d’être un personnage hors du commun ! C’est pourquoi, il serait utile d’étudier comment aux côtés des innombrables pouvoirs du président de la République, il serait également possible d’en donner au peuple souverain qui pourra proposer et même imposer par les urnes, ce qu’il croit être le meilleur pour lui. Le droit serait-il immuable pour l’éternité ? N’est-ce pas l’homme qui a inventé le droit ? Alors, pourquoi le même homme ne le réinventerait-il pas pour servir d’abord pleinement le peuple avant le prince, l’État avant le prince, le prince avant le chaos ?

Notre Constitution doit être réinventée et offrir enfin au peuple sénégalais une grande part de responsabilités. Elle devra également être verrouillée pour 25 ans au moins, sans possibilité de retouche, ni par référendum ni par l’entremise du parlement. Au prochain millénaire, peut-être qu’un fils de ce pays changera la donne autrement que ce qu’elle est aujourd’hui ! Utopie ? Que non ! Plutôt incapacité humaine de dépassement! Manque de prospective ! Manque de rêve, de créativité et d’anticipation ! Absence d’émotion, d’amour, de générosité et de vie !

Les Présidents élus ont tous les pouvoirs possibles et le peuple n’a que ses larmes en attendant la prochaine élection. Cela devrait-il encore durer un siècle, deux siècles ? C’est hélas un poète qui pose un débat bien curieux, bien inquisiteur. Cela fera encore sourire les paresseux, ceux qui sont incapables ni de rêver ni de s’émouvoir ! Et la vie continuera ainsi son cours avec les vivants et les morts, comme si ce qui est ici proposé, relevait d’un esprit malade et hors du temps des hommes. Le vieil homme arrivé au pouvoir par la première alternance politique du Sénégal, portait d’énormes espérances.

Près de 40 ans de lutte démocratique et d’entrisme ont hélas abouti au chaos social et éthique. La fin de règne non plus ne fut pas belle, car n’eut été la vigilance du peuple sénégalais, son cher enfant lui aurait succédé. Notre pays ne méritait pas cette dangereuse aventure, cette tâche indélébile, cette honte sans nom ! Mais… c’est un père… qui n’a pas pu faire la part des choses !

Il est difficile alors de dire que les attentes du peuple sénégalais ont été servies et que cette première alternance avait comblé des rêves, si ce n’est des rêves de quête folle d’argent et si injustement gagné. Un insoutenable cauchemar ! Cette alternance a tout pourri et cela sentait vraiment mauvais ! La médiocrité, le griotisme, le larbinisme, le favoritisme, la falsification, la tricherie, le mensonge, le parasitisme, l’impunité, avaient rageusement tout envahi. Le pouvoir central était embué, envahi, encerclé, ceinturé. Le Vieux avait la tête dans les étoiles et refusait de la sortir de là !

Amadou Lamine Sall est poète, Grand Prix de Poésie de la Ville de Trieste, Italie.

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