L’ULTIME DÉFI DE MIMI TOURÉ

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Portrait de Mimi TOURE - Présidente du CESE © Malick MBOW
Portrait de Mimi TOURE – Présidente du CESE © Malick MBOW

La désignation d’Aminata Touré comme tête de liste nationale de Benno Bokk Yaakaar lors des élections législatives du 31 juillet, est le dernier acte couronnant le parcours d’une femme de Gauche peu adepte de la soumission

Babacar Guèye Diop  |   Publication 12/05/2022

Elle aura tout connu depuis l’installation du régime de Macky Sall en 2012. Aminata Touré aura savouré les délices du pouvoir en tant que ministre de la Justice jusqu’à la Primature. Elle a aussi goûté à l’amertume de plusieurs limogeages (à la Primature et comme présidente du Conseil économique, social et environnemental). Pas ferme, droite dans ses bottes, Aminata Touré marche sur le tapis rouge de l’hôtel King Fahd Palace. Regard franc, elle a l’allure d’un général qui fait une revue des troupes. La présidente d’alors du Cese vient de quitter la réunion des femmes de l’Alliance pour la République (Apr) en ce 12 juillet 2019. Une rencontre qui marquait l’installation de Ndèye Saly Diop Dieng, présidente des femmes du parti présidentiel. Devant ses sœurs de parti, celle qui est désormais chargée de conduire la liste nationale de la coalition Benno bokk yaakaar affiche son soutien total à celle qui succède à Ndèye Marième Badiane. Sa popularité se mesure à l’applaudimètre. Un discours de circonstance qui est dicté par la discipline de parti. Cependant, au regard de sa trajectoire politique, on voit mal comment l’ancienne Première ministre pourrait suivre Ndèye Saly Diop Dieng. Car Aminata Touré, c’est l’incarnation du leadership. Ou rien. Tout simplement.

«Mimi n’est pas du genre à se soumettre»

Dans le syndicalisme, la politique, le sport, Mimi comme l’appellent familièrement les Sénégalais, a toujours voulu jouer les premiers rôles. Sidiki Daff est un ancien camarade de parti de Aminata Touré à l’époque d’And jef/Parti africain pour la démocratie et le socialisme (Aj/Pads). Vieillesse tatouée sur le visage, marqué par des années de lutte dans la Gauche, il relate la personnalité de Mimi en 1993 : «C’était la première fois que l’on avait une femme porte-parole. Elle est très combattive, la tête sur les épaules. Ce n’est pas un hasard si elle en est là aujourd’hui. C’est une dame qui n’a pas sa langue dans sa poche. J’ai toujours dit que c’était une erreur de voir Mimi Touré Première ministre parce qu’elle n’est pas du genre à se soumettre. Macky l’a finalement enlevée. C’est une forte tête avec des convictions chevillées au corps. Elle accepte difficilement qu’on la dirige parce qu’elle est trop autonome. Mimi est une femme courageuse», a témoigné M. Daff le 21 septembre 2019, lors de la journée d’hommages aux ex-militants de la Gauche à la Maison de la Culture Douta Seck.

Le courage, le combat, les convictions, Aminata Touré les a appris dans le mouvement de Gauche. A 14 ans, la dame à la voix rauque tel un homme, tombe amoureuse de l’idéologie véhiculant les principes de justice sociale, de soutien au monde rural, de la répartition de richesses… Elle intègre le Mouvement pour le socialisme et l’unité (Msu) avant les années 1990. Et lors de la Présidentielle très contestée de 1993, elle est directrice de campagne du candidat Landing Savané, leader d’Aj/Pads. Elle avait 31 ans. «Ce qui nous surprenait, c’est que la contestation est telle que nous pensions que le pouvoir sortant ne pouvait jamais gagner. Finalement, on voyait que ce que nous croyions n’avait rien à voir avec le verdict des urnes», se souvient Mimi Touré qui a reçu Le Quotidien en août 2019 au siège du Cese.

Au lycée Van Vo, devenu lycée Lamine Guèye, la jeune Aminata est aux avant-postes des combats. Puis l’université va prendre le relais. En France, Mimi est en chevelure afro, avec blue-jeans, liquettes, baskets et passionnée de sports. Elle avale les différents bréviaires révolutionnaires, à commencer par le Manifeste du parti communiste de Karl Marx et Friedrich Engels, son livre de chevet à la résidence universitaire. «Mimi la rouge» -pas le «tyran rouge»- est-elle ainsi surnommée par ses camarades étudiants. Elle n’hésite pas à monter parfois à Paris à l’occasion des grandes manifestations du Parti communiste, dont la traditionnelle fête de l’Humanité. Tour à tour, elle milite dans l’Association des étudiants sénégalais en France (Aesf), la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Feanf) et l’Union nationale des étudiants de France (Unef). «Elle pouvait parler pendant des heures de politique, d’idéologie et de marxisme-léninisme sans se fatiguer», racontait une amie dans un portrait réalisé par Rfi en 2013. Malgré ses années dans la Gauche, Aminata Touré a décidé de diluer son engagement. La dame, qui a aura 60 ans le 12 octobre, a migré vers le Centre. «Je n’ai jamais été libérale. L’Apr n’est pas un parti libéral. C’est un parti dans lequel il y a tous les courants. Je me définis comme une sociale-démocrate. Il faut que la politique sociale soit affirmée, surtout dans nos pays en voie d’émergence, tout en respectant les règles du marché : la propriété privée, le droit d’être dans un environnement qui favorise les affaires dans le respect des droits aussi bien des travailleurs que des autres segments de la société», théorise-t-elle.

«Je ne suis pas Margaret Thatcher»

Cette audace et ce refus de se soumettre, Aminata Touré les a forgés au cours de son enfance. Mais elle réfute l’étiquette de «garçon manqué» que lui collent ses détracteurs. «Si j’étais un homme, je pense que ce débat ne se poserait pas. Il y a des rôles qu’on a assignés aux femmes, d’autres aux hommes. Or, ça n’a pas toujours été comme ça. Dans l’histoire du Sénégal, les femmes ont toujours joué un rôle important. Dans le Walo, Dieumbeuth Mbodj et sa sœur Ndatté Yalla ont tenu tête à l’envahisseur français et ça s’est soldé par des négociations. Dans le Sud, il y a Aline Sitoé Diatta contre la colonisation française. Dans la religion, il y a de grandes figures comme Mame Diarra Bousso, une des rares femmes qui occasionnent de grands rassemblements religieux, à travers le magal de Porokhane. Au Sénégal, les femmes ne rasent pas les murs et n’ont jamais rasé les murs», se justifie-t-elle.

Malgré tout, Mimi est aussi comparée à Margaret Thatcher, ancienne Première ministre britannique, caricaturée dame de fer à cause de son intransigeance. Une comparaison qu’elle rejette : «Je ne suis pas Margaret Thatcher. Elle était de droite et je suis du centre. Je suis une progressiste. Cela n’a plus de sens de parler de Droite et de Gauche.» Après des années aux Etats-Unis durant le régime de Wade, c’est le Libéral Macky Sall qui la convainc de faire son retour au bercail. «Mimi est une femme de Gauche. Je l’ai rencontrée il n’y a pas longtemps et elle me l’a réaffirmé. Son ambition est de porter haut les couleurs de la Gauche», précise Amadou Vieux Ndiaye, également membre du comité de pilotage de la journée d’hommages aux ex-militants d’Aj/Mouvement pour la révolution et la démocratie nouvelle. Au sein de la Gauche, Mimi a également été très tôt amoureuse du sport. Elle va pratiquer à l’école : le football, le handball, le judo. Elle était ailière aux Gazelles de Dakar alors que le foot féminin en était à ses premiers balbutiements au Sénégal.

«Le sport m’a appris la discipline, la rigueur, le sérieux»

Au début des années «80», elle ambitionne même de faire carrière dans le sport. Elle intègre l’Equipe nationale d’athlétisme. Déterminé à voir sa fille auréolée de diplômes, son père refuse. Mais chassez le naturel, il revient toujours au galop. En France, la jeune étudiante est très active dans les milieux sportifs. Lors d’une compétition de judo, elle se fracture le coude. Un accident qui va définitivement sonner le glas de sa pratique sportive. «Le sport m’a appris qu’une victoire peut arriver après une défaite dans quelque domaine que ce soit. Dans le sport, j’ai appris la discipline, la rigueur, le sérieux. J’essaie d’appliquer ces principes en politique et dans ma vie en général», dit Aminata Touré. Pour suivre son regard, il faut aller au ministère de la Justice.
Garde des sceaux du premier gouvernement de Macky Sall, Aminata Touré imprime sa marque dès le début et assume la politique de la traque des biens mal acquis. Les dignitaires du Pds sont poursuivis, dont son ex-mari, le Trotskyste devenu Libéral, Oumar Sarr, qu’elle a connu en France en tant qu’étudiant. Ils ont une fille : Dior. Comment cette dernière a vécu cet épisode ? «Je ne raconte pas ma vie privée en public. Cela fait 7 ans que les gens me posent la question, j’ai toujours refusé d’y répondre. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais étaler ma vie privée sur la place publique», confie-t-elle. De sa vie privée, on ne connaît que très peu de choses. Après ses divorces avec Oumar Sarr et Momar Wade, Mimi Touré est actuellement en couple avec Oumar Wade, un entrepreneur.

Mimi de défiance

Par ailleurs, Mimi adore les défis. On ne sait pas si elle va diriger avec succès la liste de Bby mais l’ancienne Pm a la niaque. Lors de la campagne électorale des Locales, au moment où Barthélemy Dias commençait à prendre le dessus sur Diouf Sarr, Aminata Touré a pris la parole à deux jours du scrutin. Au siège de l’Apr, c’est elle qui pilote la conférence de presse devant Amadou Ba et Aliou Sall. «Personne ne peut nous impressionner. On a connu l’opposition. Les menaces ne passeront pas. Les élections vont se passer paisiblement», tonne-t-elle, le ton rageur. Mais parmi les défis, il y en a un qu’elle n’a pu relever et qui compte et comptera dans sa carrière : sa candidature à Grand-Yoff face à un mammouth socialiste nommé Khalifa Sall, maire sortant de Dakar. 2014 a donc été un rendez-vous manqué pour elle. Et en politique, ça se paie cash. Elle finira Envoyée spéciale du président de la République, faute d’avoir une institution. Toutefois, les mauvaises langues soupirent que Aminata Touré a toujours été «obnubilée» par le Cese, que c’est de cette ambition «débordante» que serait né le froid avec sa prédécesseure, Aminata Tall.

Mimi aime également les défiances. Quand elle mord, elle ne lâche pas. Quitte à faire saigner ! Le Président Sall a dû lui donner le Cese, après ses «performances» dans la quête de parrains et dans le directoire de campagne de la Présidentielle de 2019. Même pas deux années, et puis s’en va ! Pis, un homme qu’elle digère difficilement prend sa place : Idrissa Seck. C’est un affront que Macky Sall lui avait lancé ! Une humiliation tout court. A l’époque, elle semblait consommer la rupture avec le chef de l’Etat et de l’Apr qu’elle n’a même pas daigné confondre dans ses remerciements, le jour de son départ. Une autre défiance. Elle était pourtant déjà en guerre depuis la publication de l’article de Libération faisant état de «mauvaise gestion» comme mobile de son limogeage. «Nul ne saurait, à cette étape de ma vie administrative et politique, ternir ma réputation et mon intégrité», avait-elle averti sur sa page Facebook, le 3 novembre 2019. Ce «nul» indéfini ne serait que des adversaires politiques. Et surtout quand elle ajoute qu’elle se réservait le droit d’ester en justice contre «toute tentative de diffamation ou d’intimidation». Elle a envoyé là un message à ceux qui voudraient l’envoyer au «cimetière politique». Finalement, Mimi n’est pas morte et est prête pour l’accélération de la cadence le 31 juillet 2022.

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