« Quand il y en a plus, il y en a encore », alors que le monde se remet « piano, piano » de la pandémie de Covid 19, qui sévit toujours, voilà qu’elle doit, de nouveau, faire face à un nouvel ennemi invisible : la variole du singe. Cette maladie, diagnostiquée, il y a quelques semaines, sur deux individus au Royaume-Uni, prend de l’ampleur dans le monde. Plus de 200 personnes ont déjà été touchées. Pour avoir plus d’informations sur cette pathologie, dit-on, proche de la variole humaine, Seneweb est allé à la rencontre du Pharmacien Lieutenant-colonel Halimatou Diop Ndiaye, Professeur de Bactériologie-Virologie, responsable de l’unité de virologie et de biologie moléculaire au laboratoire de bactériologie de l’hôpital Aristide le Dantec de Dakar.
Seneweb : Quelle est l’origine de cette maladie ?
Pr Halimatou Diop Ndiaye : La variole du singe a été découverte pour la première fois chez les singes dans les années 1958 mais, c’est en 1970 qu’elle a été décelée pour la première fois chez l’homme sur un petit garçon qui vivait en RDC. C’est une zoonose, ce qui veut dire qu’elle est transmise des animaux à l’homme. La variole du singe est une maladie qui sévit à l’état endémique en Afrique centrale essentiellement en République Démocratique du Congo, au Cameroun et les autres pays avoisinants qui sont dans la zone tropicale humide. Mais elle est présente aussi au Nigéria où en 2017 et 2018 une épidémie de variole du singe avait frappé le pays.
“Il s’agit d’une maladie émergente et c’est vrai qu’on s’inquiète un peu”
Seneweb : A vous entendre, cette maladie existe depuis longtemps mais pourquoi provoque-t-elle, aujourd’hui, une sorte de psychose ?
Pr Halimatou Diop Ndiaye : La psychose, comme vous le dites, provient du fait que c’est une maladie qui est en train de s’exporter et les premiers cas ont été décrits au Royaume-Uni. Une vingtaine de jours plus tard, le nombre de cas a augmenté et aujourd’hui, plusieurs pays sont touchés avec une centaine de cas. Il s’agit d’une maladie émergente et c’est vrai qu’on s’inquiète un peu.
Seneweb : A-t-elle des similitudes avec la variole ?
Pr Halimatou Diop Ndiaye : Oui, surtout dans la symptomatologie mais les signes sont moins sérieux que la variole. En effet, la variole était une maladie qui a décimé une bonne partie de l’humanité parce que rien qu’au 20e siècle, on considère qu’il y a 300 millions de personnes décédées de la variole. Donc oui, la variole du singe a des similitudes avec la variole mais elle est moins sévère. Par exemple, le nombre de personnes qui décèdent des suites de cette variole du singe est de 1 à 10% contrairement à la variole pour laquelle le taux de mortalité était de 30%.
Seneweb : Comment se caractérise cette maladie ? (Symptômes)
Pr Halimatou Diop Ndiaye : Au plan clinique, il y a d’abord une phase d’incubation qui peut être silencieuse. En effet, chez certains patients, la maladie peut être parfois asymptomatique. Mais lorsque les symptômes apparaissent, c’est d’abord de la fièvre ; ensuite, il y a une éruption cutanée sur l’ensemble du corps mais qui va surtout s’étendre vers les membres avec des lésions au niveau de la paume des mains et de la plante des pieds. Une autre caractéristique est le gonflement au niveau des ganglions surtout au niveau du cou des céphalées, des douleurs musculaires et des douleurs articulaires. Ces symptômes peuvent durer entre 2 à 4 semaines. Généralement, le patient va guérir de lui-même mais comme je l’ai dit, il peut aussi y avoir des décès.
Seneweb : La variole du singe a-t-elle des « variantes » ?
Pr Halimatou Diop Ndiaye : Oui, il existe deux formes génétiques (terme exact) distinctes. Il existe des souches qui circulent dans la région de l’Afrique du centre appelé « variant de l’Afrique centrale » qui sont différentes des variants qui circulent en Afrique occidentale. Ces variants diffèrent en termes de transmissibilité – le premier cité est beaucoup plus transmissible que celui de l’Afrique de l’Ouest – mais aussi en termes de létalité – 11% de mortalité pour les personnes atteintes par le variant de l’Afrique centrale contre 1 à 6% pour le variant qui circule en Afrique de l’Ouest.
Seneweb : Comment se transmet-elle de l’homme à l’homme ?
Pr Halimatou Diop Ndiaye : Il y a, d’abord l’infection primaire, qui correspond à l’infection d’une personne qui a été en contact avec ces animaux, avec du sang de ces animaux ou avec des fluides qui s’échappent d’eux. Puis vient l’infection secondaire qui survient lorsqu’un homme contaminé en infecte un autre. Pour cela, il faut un contact un peu rapproché avec la personne, les fluides corporels (le fait de tousser) et même lorsqu’il y a un contact intime.
“Cette maladie peut toucher n’importe qui, car la transmission n’est pas que sexuelle”
Seneweb : Touche-t-elle essentiellement les personnes homosexuelles comme beaucoup le pensent ?
Pr Halimatou Diop Ndiaye : Peut-être que cette idée est partie du fait que ça a été décrit au Royaume-Uni sur deux ou trois homosexuels. Mais en fait, cette maladie peut toucher n’importe qui car, la transmission n’est pas que sexuelle, elle peut se faire par des aérosols ; elle peut se faire par des contacts avec des fluides, même les vêtements des personnes malades peuvent être contaminants.
« La vaccination contre la variole humaine protège à peu près à 85% contre la variole du singe »
Seneweb : Cette maladie pourrait-elle toucher le Sénégal ?
Pr Halimatou Diop Ndiaye : Il ne faut jamais dire jamais ; cette maladie s’est exportée au Royaume-Uni, elle est déjà dans une dizaine de pays avec plus d’une centaine de cas. Donc, ce n’est pas impossible, cette maladie peut très bien se retrouver au Sénégal vu la mobilité qu’il y a sur le plan international et le Sénégal est un carrefour assez important.
Seneweb : Comment s’en protéger ?
Pr Halimatou Diop Ndiaye : Je pense qu’il y a différentes stratégies. La première est de pouvoir déjà sensibiliser les populations, les informer des voies qui favorisent la contamination en évitant, déjà, d’être en contact avec des animaux mais également lorsqu’on mange de la viande de brousse, on doit s’assurer qu’elle est bien cuite. Il faut aussi isoler les patients lorsque la maladie est déclarée. Il faut penser aussi à se laver les mains de façon régulière. Le second niveau de stratégie est la vaccination. La vaccination contre la variole humaine protège à peu près à 85% contre la variole du singe. Cette vaccination est en train d’être étudiée par l’OMS et par certains pays qui sont déjà touchés. Mais la prévention, c’est aussi de se donner les moyens de détecter de manière précoce et cela passe par des mesures qui doivent être développées par le ministère de la Santé pour pouvoir détecter de manière précoce au niveau des frontières. Mais il est également important que nous ayons la capacité dans nos différents laboratoires, de pouvoir détecter très tôt ce genre de pathogène.
Seneweb : Justement, le système sénégalais est-il prêt à faire face à des cas de variole du singe ?
Pr Halimatou Diop Ndiaye : Le système de santé sénégalais a un certain nombre de laboratoires de qualité pouvant faire ce diagnostic qui est réalisé essentiellement par les techniques de biologie moléculaire. On peut dire que le Sénégal a un bon maillage du territoire en termes de plateforme. Mais la détection est, d’abord, clinique. Donc, il faut rappeler à nouveau au personnel de soins (médecins, infirmiers…) ce qu’est la variole car elle est considérée comme étant éradiquée.