Alors qu’une grève commence ce jeudi au Quai d’Orsay, la suppression du corps diplomatique, dans le sillage de la réforme de la haute fonction publique du précédent quinquennat, continue de faire débat. L’extinction des grands corps d’Etat pose la question de la spécialisation des hauts fonctionnaires, en particulier dans un secteur aux enjeux si spécifiques.
Les diplomates ne sont pas la corporation qui nous a le plus habitués à de vastes mouvements de grève, mais aux grands maux, les grands remèdes. Pour la première fois depuis 2003, les syndicats des agents du ministère des Affaires étrangères ont en effet déposé un préavis de grève. Après la réforme de l’ENA et la suppression du corps préfectoral, Emmanuel Macron continue sa réforme de la haute fonction publique et l’extinction des grands corps d’Etat, avec la suppression du corps diplomatique.
Le but est de créer un corps unique des administrateurs de l’Etat pour diversifier les carrières et les profils des hauts fonctionnaires. Au Sénat, on s’était très vite inquiété d’une potentielle perte de compétence des diplomates français, comme eux-mêmes le dénonçaient dans une tribune au Monde, et d’une potentielle politisation des nominations dans le corps diplomatique. Une mission d’information a été lancée il y a quelques semaines sous la présidence de Jean-Pierre Grand, sénateur LR soutien d’Emmanuel Macron, et André Vallini, sénateur PS. Ils ont mené plusieurs auditions, et leurs conclusions devraient être connues avant « cet été », mais ils refusent pour le moment de commenter des travaux en cours.
« Vous mettez demain quelqu’un un peu bourru ou qui arrive sans trop savoir au Venezuela, la personne va faire 15 jours »
Damien Regnard, sénateur LR représentant les Français établis hors de France, confie être « préoccupé » des répercussions de la réforme sur la qualité de la diplomatie française : « Pour faire de la diplomatie, il faut une compétence que vous ne pouvez pas acquérir en une semaine de stage avant de partir. Il faut des gens qui savent naviguer dans les services de l’Etat où ils arrivent, au sein de nos communautés sur place, et de leur propre administration. »
D’après lui, on ne naît pas diplomate, on le devient, et ça ne s’invente pas : « Vous mettez demain quelqu’un un peu bourru ou qui arrive sans trop savoir au Venezuela, la personne va faire 15 jours. Il faut travailler en opposition au régime Chávez tout en maintenant sa position et un minimum de dialogue. Si vous rentrez en conflit frontal, vous ne restez pas 15 jours, c’est arrivé à certains collègues européens. » Or, il est vrai qu’avec la réforme de la haute administration, des diplomates actuels pourraient à la fois occuper d’autres postes, et d’autres hauts fonctionnaires pourraient ensuite devenir ambassadeurs ou Premier conseiller.
« C’est un massacre d’un outil de notre diplomatie, que le monde entier nous envie », s’insurge Damien Regnard. Selon lui, la diplomatie est une mission très spécifique, « un sacerdoce », pas « une promenade de santé » après laquelle on reviendrait dans son ministère d’origine. Surtout dans des pays « à hauts risques », où les diplomates « ont des carrières passionnantes » et « demandent rarement à se retrouver au Vatican. » Le sénateur des Français de l’étranger « ne dit pas qu’un sous-préfet va faire n’importe quoi », il voit « plus de complémentarités entre le ministère de la Santé et les Affaires sociales par exemple. » Parce que c’est bien la question de cette réforme de la haute fonction publique : est-ce que chaque « corps » d’Etat nécessite des compétences si spécifiques qu’il faut y faire carrière toute sa vie, ou bien changer de type de missions pourrait-il améliorer le fonctionnement de l’Etat en diversifiant les profils et en permettant des transferts de compétences entre « corps » ? « Je ne suis pas pour le statu quo » répond Damien Regnard, « mais j’espère que l’on donnera le temps aux diplomates de faire quelques propositions, on a le droit d’être intelligent. »
« Le Quai d’Orsay n’est pas si fermé »
Pour lui, le corps diplomatique met en jeu des compétences spécifiques, comme « une culture de la langue », qui permet « d’en apprendre une en quelques semaines pour nouer des liens avec les interlocuteurs du pays », ou bien la connaissance des appareils d’Etat où l’on effectue sa mission. D’autant plus que le corps diplomatique ne serait pas si « fermé » : « Vous avez de nombreux spécialistes à qui le Quai d’Orsay fait appel pour travailler sur des domaines spécifiques, comme la transition écologique ou les nouvelles technologies, souvent sur le statut de contractuel. C’est aussi un corps qui s’est féminisé, la diversité des profils est déjà importante. »
Damien Regnard se fait peu d’illusion sur le mouvement de grève qui démarre demain au Quai d’Orsay : « C’est vrai qu’il n’est pas dans l’habitude du Quai d’Orsay de faire des grandes grèves. Ils savent que c’est symbolique et que cela va être peu couvert, ils ne vont pas bloquer la France. Des mesures plus radicales ont été envisagées, mais elles auraient pu avoir des conséquences dommageables pour l’image de la France ou même mettre les diplomates dans une position délicate. » Le profil de Catherine Colonna, ancienne ambassadrice de France au Royaume-Uni, rassure plutôt le sénateur des Français établis hors de France, mais, pour le moment, la nouvelle cheffe de la diplomatie française n’a pas évoqué d’éventuelles inflexions de la réforme du corps diplomatique.