La Biennale d’art contemporain de Dakar bat son plein. Durant ces quelques semaines, l’art aura été célébré de moult façons. Il aura été au centre des festivités et de nombreux artistes ont pu vendre leurs œuvres.
Dans un Sénégal où émerge de plus en plus une classe moyenne désireuse de s’entourer de beaux objets, le marché de l’art prend l’ascenseur sans nul doute. Mais ce regain d’intérêt pour l’art ne profite pas toujours aux artistes. La prolifération des intermédiaires, les pesanteurs culturelles, sont encore des freins à l’épanouissement économique des artistes.
La Biennale d’art contemporain de Dakar bat son plein. Durant ces quelques semaines, l’art aura été célébré de moult façons. Il aura été au centre des festivités et de nombreux artistes ont pu vendre leurs œuvres. Dans un Sénégal où émerge de plus en plus une classe moyenne désireuse de s’entourer de beaux objets, le marché de l’art prend l’ascenseur sans nul doute. Et Dakar devient une place de choix où les grandes galeries s’installent. Cécile Fakhoury, Océane Haraty, Selebe Yoon, voilà quelques enseignes qui sont apparues dans la capitale sénégalaise ces dernières années. «Notre clientèle est d’abord basée à l’étranger mais depuis trois ans, la part de nos collectionneurs sénégalais augmente régulièrement. Et ce sont des collectionneurs qui ont entre 30 et 55 ans, avec une culture artistique et la conscience qu’en achetant, ils aident un artiste à développer sa pratique et participent à faire du Sénégal une Patrie de culture», explique Delphine Lopez, qui dirige la galerie Cécile Fakhoury de Dakar. Cette nouvelle catégorie de Sénégalais n’hésite pas à débourser des sommes conséquentes pour s’assurer que de belles choses les entourent. Mohamed Lamine Cissé a souvent eu l’occasion de constater cette tendance. «Ma première exposition à 0H Gallery, c’était avec 10 artistes camerounais et on s’était mis d’accord avec Océane (Océane Harati, propriétaire de OH Galery), qu’on ferait un mélange et inviterait aussi bien des collectionneurs bien assis que des jeunes. On a été très agréablement surpris de voir à quel point les jeunes étaient intéressés. Et on avait décidé d’exposer des petits formats faciles à acheter. Les grands patrons achètent sans problème un tableau à 6 ou 7 millions. Mais quelqu’un de mon âge (les trentenaires) craque sur une photo à 900 mille et on s’est mis d’accord pour faire des moratoires. Il est plus simple de sortir 4 fois 200 mille que de sortir d’un coup 800 mille. En faisant ça, je vais fidéliser des collectionneurs de mon âge qui vont continuer à collectionner avec moi», raconte Mohamed Lamine Cissé. A ses yeux, c’est la société sénégalaise elle-même qui est en train de transformer son regard sur l’art. «Il y a aujourd’hui des gens qui m’appellent pour me dire : «J’ai quelques jours de libre devant moi. Qu’est-ce que tu me conseilles comme expo à faire.» Il y a 4, 5 ans, personne ne me demandait ça. Ce n’était pas dans la façon de faire des Sénégalais», témoigne M. Cissé. Cette tendance est sans doute un effet de la professionnalisation du métier de galeriste, estime Mme Lopez. Ces galeries structurées, avec des programmes d’exposition, ne sont plus seulement des lieux de vente. «La galerie vend au nom de l’artiste mais elle méne en coulisse tout un travail de développement de la carrière de cet artiste, en le mettant en contact avec des commissaires d’expositions, en le faisant dialoguer avec des critiques d’art, en l’aidant à trouver des lieux de résidence pour expérimenter de nouvelles recherches. La galerie n’est pas seulement un lieu de vente mais fait un travail d’accompagnement de l’artiste et tout cela, elle le fait en se finançant sur les ventes de l’artiste», précise Mme Lopez.
Pas de grands acheteurs
Si dans les normes, ce regain d’intérêt pour l’art devrait profiter aux artistes, ce n’est pas toujours le cas. Déjà, la prolifération des intermédiaires fait que beaucoup d’artistes ne profitent pas pleinement des ressources de leur art. «Ils ne vendent pas, sinon peu. Plus grave, le marché national de l’art est étroit et la seule alternative c’est l’international ; or il n’y a pas de politique d’accompagnement de nos créateurs en ce sens», constate l’artiste peintre Moussa Ndiaye. Mais, selon le critique d’art Massamba Mbaye, c’est aussi parfois que beaucoup d’artistes ne sont pas dans des relations «d’argent». Beaucoup de grands maîtres sont morts dans l’indigence et selon ce spécialiste, c’est bien parce que dans leurs rapports avec les autres, ils ne privilégiaient pas le gain. «Ils sont des créatifs, ils n’investissent pas. Même si certains ont eu le temps d’avoir une famille à l’abri, une maison», ajoute-t-il.
Autre frein à l’épanouissement des artistes, les Sénégalais n’ont pas toujours été de grands acheteurs. «Il n’y a pas une culture d’achat d’œuvres d’art mais il faudrait peut-être faire comprendre aux gens que ces œuvres, dix ans après, leur valeur augmente.» Pince-sans-rire, Massamba Mbaye ironise en disant «qu’avant d’acheter une toile, il faut acheter un beau salon, une télévision, etc.». Mais l’art reste inaccessible à une majorité de la population. On est loin des près de 90 millions obtenus par l’œuvre de Pape Ibra Tall sur une toile qu’il avait offerte à Duke Ellington. Pour l’heure, dans les galeries sénégalaises, ils sont encore trop peu les artistes, vieux ou jeunes, qui se vendent bien. Mais parmi les favoris dans la jeune génération, Serigne Ibrahima Dièye, Kassou Seydou, Badu Jaak, Cheikh Ndiaye et le photographe Ibrahima Thiam. Massamba Mbaye ajoute que dans la nouvelle génération d’artistes, certains ont vendu particulièrement bien. Il cite notamment Arebenor Bassène et Mbaye Babacar Diouf (qui viennent d’être primés par la Biennale). Et pour les années à venir, nul doute que les graffeurs exploiteront à fond la filière Nft pour s’inscrire dans ce sillage.
La loi des 1% renait de ses cendres
Du temps du Président Senghor, chaque bâtiment qui sortait de terre intégrait, dans sa conception, des œuvres d’art. La loi 68/07 du 4 janvier 1968 était passée par là. Appelée communément loi des 1%, cette disposition, relative à la décoration des bâtiments publics recevant du public, préconisait que 1% du coût du bâtiment soit consacré à des aménagements artistiques. Abandonnée après l’arrivée de Diouf au pouvoir et la mise en œuvre des ajustements structurels, cette loi avait refait surface au moment de la Présidence Wade, avec le saupoudrage de quelques œuvres d’art sur les différents édifices réalisés pour l’organisation du Sommet de l’Oci. Même si l’espoir fut bref et que rien ne permet de dire qu’il s’agissait bien du 1% du coût des infrastructures. En tout état de cause, l’optimisme peut être de mise avec le travail de l’artiste et architecte, Malick Mbow, au siège de la Cour des comptes. Ce «bâtiment culturel», comme le qualifie son concepteur, étrenne une belle fresque dans son hall, ainsi qu’un magnifique «Arbre à palabres», une œuvre d’art qui s’appuie sur deux piliers du cône inversé du siège de l’institution.