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Propos recueillis par Bruno FANUCCHI
pour AfricaPresse.Paris (APP) @africa_presse
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APP – Ancien maire de Dakar, engagé dans le combat pour la transformation concrète de la capitale sénégalaise puis de votre pays, comment vous définiriez-vous ?
Pape DIOP – Je suis avant tout un entrepreneur, un homme de l’entreprise qui cherche toujours à innover pour améliorer au quotidien la vie de mes compatriotes et faire – c’est bien naturel – des affaires. Je suis un entrepreneur depuis longtemps puisque j’ai créé dès 1982 la SOUMEX, une société spécialisée dans la production et l’exportation de produits halieutiques, et j’ai beaucoup travaillé avec l’Europe, avec la France bien sûr, mais aussi l’Espagne, le Portugal, l’Italie et la Grèce.
J’ai cédé la direction de cette belle entreprise à mon fils Mamadou car, aujourd’hui, je suis également dans l’immobilier et dans d’autres secteurs au Sénégal.
N’oublions pas que j’ai commencé dans le pétrole : j’étais chez BP et aujourd’hui je continue de collaborer avec les grandes majors qui sont installées au Sénégal comme Ola ou Total.
APP – Quelles sont, pour vous, les priorités économiques du Sénégal ?
Pape DIOP – Le Sénégal aurait gagné à mettre le paquet d’abord sur le développement rural qui englobe à la fois l’agriculture, l’élevage et la pêche. D’autres secteurs me semblent importants comme l’artisanat et ses différents métiers ainsi que le tourisme, où nous avons beaucoup de potentialités encore inexploitées. Ces secteurs mis en avant porteront tous les autres : les secteurs secondaires, les services, etc.
Un autre secteur me semble capital : l’industrie de la transformation. Nous ne transformons pratiquement rien au Sénégal alors que nous produisons beaucoup. Je vous donne l’exemple du phosphate qui est exporté vers l’Inde qui le transforme et nous revend des engrais, parfois de bien mauvaise qualité. Or, c’est la transformation qui produit de la valeur ajoutée et de véritables revenus utiles au développement économique.
APP – Votre pays ne va-t-il pas manquer bientôt de blé ?
Pape DIOP – En raison de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, nous commençons en effet à avoir des problèmes de livraisons de blé alors que, le blé, nous pourrions le produire nous-mêmes. Il en va de même du riz où nous devions être « autosuffisant » comme le Président Macky Sall l’avait promis en 2016, mais nous ne le sommes toujours pas… Le Sénégal devrait être pourtant en mesure aujourd’hui de produire tout cela pour nourrir en priorité sa population avant éventuellement d’exporter nos surplus.
Pour pouvoir se développer, il nous faut d’abord être auto-suffisant et aller vers la sécurité alimentaire. Or, nous continuons d’importer oignons et pommes de terre… Ce qui est paradoxal. Il faut donc mettre les Sénégalais au travail car on ne travaille pas assez en Afrique. C’est une mentalité qu’il faut développer chez les jeunes qui réclament du travail mais ne sont pas formés. Nous devons donc transformer l’école qui nous a été léguée par la puissance coloniale en une école qui tienne compte de nos besoins économiques et ouvrir partout des écoles de formation aux différents métiers.
APP – Comment voyez-vous les relations économiques avec la France ?
Pape DIOP – Nous autres Sénégalais, nous ne pouvons pas ne pas collaborer avec la France. Économiquement parlant et culturellement, nous partageons beaucoup de choses. C’est pourquoi travailler avec Total, une grande entreprise française, ne me gêne nullement, bien au contraire. C’est pourquoi je développe actuellement un projet au Sénégal pour Total, qui participe à notre développement comme toutes les autres sociétés qui sont installées dans mon pays.
Moi, je ne suis pas « nihiliste » comme les Sénégalais qui scandent parfois dans nos rues « France dégage ! ». Vue notre histoire commune, ce genre de slogans est insensé. Je souhaite donc continuer de collaborer avec la France, car on ne peut pas se départir de ce lien historique là. Cette relation n’est cependant pas exclusive. Ce que l’on peut faire avec la France, on le fera avec la France, ce que l’on ne peut pas faire avec la France, on le fera tout simplement avec d’autres pays.
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« Étant le Continent le moins développé,
c’est nous qui avons le plus besoin de ces échanges »
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APP – Et vous ne manquez pas de projets ambitieux pour toute l’Afrique…
Pape DIOP – Il faut en effet que l’Afrique et les pays africains fassent entre eux-mêmes des affaires et du commerce : qu’ils puissent échanger, collaborer, monter des projets économiques ensemble. Je pense qu’au niveau de l’Union africaine et de la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest) nous devons pouvoir réfléchir pour développer de grands projets qui intéressent l’ensemble des pays et membres de ces organisations. Développer par exemple un grand projet de construction d’automobiles – pourquoi pas au Nigeria ? – pour toute l’Afrique et d’autres projets ensemble dans d’autres pays.
Mais, pour ce faire, il faut que nous ayons d’abord des voies de communication terrestres (le rail et la route) et aériennes qui nous permettent de nous déplacer rapidement d’un pays à l’autre sans être obligé de prendre l’avion et de passer par Paris. C’est la condition sine qua non pour développer les échanges entre nous. Ce n’est malheureusement pas encore le cas, mais je suis sûr que demain on y arrivera. C’est une question de volonté politique.
APP – L’entrée en vigueur de la ZLECA peut-elle améliorer les choses et développer les relations commerciales et les échanges économiques Sud-Sud ?
Pape DIOP – Bien sûr ! Il nous fallait ça depuis longtemps. C’est une nécessité. Nous avons vu l’exemple du grand marché commun de l’Union européenne. Il y avait un projet presque mort-né entre le Nigeria, les États-Unis et le Mexique, mais je ne sais où il en est… Quoiqu’il en soit, ces grands ensemble de libre-échange sont indispensables dans ce monde de turbulences que nous connaissons aujourd’hui. Étant donné que nous sommes le Continent le moins développé, c’est nous les Africains qui en avons le plus besoin pour échanger librement entre nous et assurer la circulation des personnes et des biens en Afrique.
APP – Mais n’existe-t-il pas de formidables opportunités économiques en Afrique et particulièrement au Sénégal ?
Pape DIOP – C’est vrai. Moi, je suis de ceux qui pensent que l’Afrique va être le dernier foyer de développement et tout porte à croire que cela arrivera bientôt. Mais il ne faut que nous pensions que cela arrivera facilement et nous soit donné sur un plateau d’argent. Il faut que nos autorités y travaillent. La Zleca est une étape, mais d’autres choses doivent se bâtir et se réaliser entre nous. Je pense notamment aux investissements que nous devons faire pour l’éducation et la formation de nos jeunes car tous les retards que nous avons en bien des domaines sont principalement dûs au retards que nous avons en matière de connaissance.
L’Afrique a donc le devoir d’investir au maximum dans sa jeunesse qui ne demande qu’à travailler, mais bien souvent n’a pas de formation. Ce n’est de sa faute, mais c’est la faute de nos États. L’Union africaine, la CEDEAO et l’UEMOA devraient se pencher sur ces dossiers capitaux et faire des propositions concrètes aux différents États membres.
Je crois que la jeunesse est la véritable richesse de l’Afrique et il ne faut pas la négliger car la moyenne d’âge dans nos différents pays est souvent de 20 ou 25 ans. C’est donc un formidable avenir qu’il faut préserver et sur lequel il faut beaucoup investir pour que, demain, nous soyons au même niveau de connaissances et de développement que bien d’autres pays dans le monde.
APP – N’est-ce pas aussi une « bombe à retardement » ?
Pape DIOP – C’est parfaitement exact si toute cette jeunesse ne trouve pas d’emplois. C’est une « bombe à retardement » sur laquelle nous sommes assis. Si nous ne faisons pas attention, cela peut se retourner contre nos États. Car cette jeunesse, qui a soif de travail et de changement, ne pourra pas demeurer éternellement dans ces conditions là, sans perspectives et sans emplois. Il faut que nous puissions lui offrir de véritables perspectives économiques et des lendemains meilleurs. La priorité des priorités, c’est de créer des emplois pour la jeunesse.
Pape DIOP avec le Grand Reporter Bruno FANUCCHI, lors de leur entrevue, à Paris le 8 juin 2022. © DR
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« Nous disposons d’une diaspora
qui a acquis connaissances et expérience »
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APP – Quelles sont aujourd’hui vos ambitions pour le Sénégal ?
Pape DIOP – J’ai en effet des ambitions pour mon pays dans des secteurs importants pour son développement économique. Je vois des secteurs qui auraient pu et auraient du créer beaucoup de satisfactions pour nos populations avec des emplois à la clé comme l’agriculture, le tourisme, l’artisanat… Mais nous mettons malheureusement trop peu de moyens pour développer notre agriculture et assurer une meilleure éducation et formation de nos jeunes. C’est très insuffisant. Voir demain une jeunesse bien formée chercher un véritable emploi et pouvoir revendiquer un travail. Voir demain les populations sénégalaises pouvoir se soigner, voilà mes ambitions pour mon pays.
Quand j’étais élu maire de Dakar, le problème de la santé était crucial et j’ai construit en un mandat huit centres de santé dans la capitale, dont le SAMU municipal qui est une référence à Dakar et le centre de gériatrie pour les personnes âgées. Mon ambition est que le Sénégal dispose dans chaque capitale régionale d’un hôpital de niveau 4, dans chaque département un hôpital de niveau 3, dans chaque commune un centre de santé moderne et des postes de santé dans les villages. Tout cela doit bien évidemment s’accompagner d’une formation pour la jeunesse afin d’avoir assez de médecins d’infirmiers et infirmières, de sages femmes, etc. Pour que nous ayons un personnel médical à la hauteur dans tout le pays.
APP – Pourquoi êtes-vous candidat aux prochaines élections législatives du 31 juillet ?
Pape DIOP – Pour continuer de réformer le pays. Politiquement, j’ai toujours milité aux côtés du Président Abdoulaye Wade. Nous avons fait ensemble 26 ans d’opposition et créé le PDS. Mais aujourd’hui nos chemins ont divergé et je suis à la tête d’une coalition d’opposition.
Il convient en effet de mener des réformes dans le cadre institutionnel pour notre pays. J’estime en effet que les ressources que nous avons, qui ne sont pas extraordinaires, doivent être bien gérées, que la Présidence a trop de pouvoirs et que l’Assemblée nationale n’en a pas assez, que la Justice doit être réformée et que les corps de contrôle doivent être renforcés et disposer d’une véritable autonomie pour auditer régulièrement les collectivités locales.
Le Président Macky Sall est intelligent et connaît les Sénégalais. Je pense qu’il ne fera pas l’erreur de briguer un troisième mandat, du moins je l’espère. Si je ne vois pas alors d’autres leaders qui s’imposent, je me présenterai aux présidentielles en 2024, mais nous n’en sommes pas encore là. Inch Allah !
APP – Un dernier mot, si vous le voulez bien, à l’adresse de la diaspora sénégalaise…
Pape DIOP – J’ai toujours dit que nous ne pouvons pas nous développer sans l’apport de notre diaspora. Nous disposons en effet d’une diaspora à travers le monde qui a acquis des connaissances et de l’expérience dans certains domaines. Et nous avons ainsi des cadres de haut niveau dans de nombreux pays en matière de finances, de technologies et de bien d’autres domaines. Nous avons besoin de cette diaspora là pour le développement demain de notre pays.
Ces Sénégalais de la diaspora ont leur place au Sénégal et peuvent beaucoup nous apporter. Je vous donne un exemple : je connais beaucoup de Sénégalais en Italie comme en Espagne qui travaillent dans l’agriculture et ont acquis d’importantes connaissances dans ce domaine. Avec l’aide l’État et des financements, ils auraient dû s’installer au Sénégal pour être non seulement de grands producteurs, mais former à leur tour d’autres Sénégalais, ce qui aurait pu créer en cinq ou dix ans une dynamique et une véritable « révolution » dans le monde rural.
Un de nos compatriotes qui vit en Italie a fait 25 ans dans le marbre et connaît tout dans ce domaine. Or le Sénégal a du marbre et du granit et sans doute les plus grandes réserves au monde qui ne sont pas encore exploitées. Avec l’aide des banques, celui-ci pourrait s’installer au pays et développer ce secteur là. Et il y en a bien d’autres. C’est l’appel que je lance à la diaspora sénégalaise.