Les experts sont formels : les changements climatiques, l’urbanisation non-maîtrisée et la non-prise en compte du Plan national d’aménagement et de développement des territoires dans les stratégies nationales, constituent les causes racine du phénomène au Sénégal.
Encore un week-end de désolation à Dakar. Presque un mois, jour pour jour, après celles qui l’avait laissée sens dessus dessous, la capitale sénégalaise a renoué ce samedi avec les fortes pluies. Plusieurs quartiers sont inondés, de nombreux dégâts matériels ont été enregistrés et trois morts déplorées. La situation n’est pas près de s’arranger car, l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (ANACIM) annonce une première moitié de septembre pluvieuse.
Prenant la balle au bond, le ministre de l’Intérieur, Antoine Diome, avait recommandé la prudence aux populations, notamment sur les routes, et annoncé un renforcement des moyens d’évacuation des eaux dans le cadre de l’exécution du Plan ORSEC. Mais ces mesures d’urgence ne permettent de soulager que temporairement les populations. Pour espérer les mettre définitivement à l’abri, l’Etat doit aller plus loin et plus vite. En accélérant, d’une part, la mise en œuvre des mesures structurelles déjà adoptées et, d’autre part, la formulation et le lancement de celles envisagées.
Changements climatiques
Les causes racine des inondations au Sénégal sont diverses, profondes et complexes. Les spécialistes pointent en premier lieu les changements climatiques. Ces variations des températures et des conditions météorologiques provoquent depuis quelques années des inondations meurtrières dans toutes les régions du monde.
Depuis juin, le Pakistan a enregistré plus de 1000 morts. Le Niger a récemment déploré 80 décès. Seize personnes ont perdu la vie, 36 sont disparues et plus 6000 ont été affectées par la récente montée des eaux dans une zone montagneuse de la province de Qinghai. Le Kentucky (Etats-Unis) a subi, début août, des inondations qui ont tué 37 individus. L’année dernière, au mois de juillet, des pluies diluviennes avaient causé plus de 200 décès et des milliards d’euros de dégâts en Belgique et en Allemagne. La liste des pays sinistrés n’est pas exhaustive.
Les changements climatiques seront au menu du sommet sur l’Adaptation en Afrique, prévu ce lundi à Rotterdam, aux Pays-Bas. Le Président Macky Sall prendra part à cette rencontre organisée par le Centre mondial pour l’Adaptation, en collaboration avec l’Union africaine, dont le Sénégal assure la présidence en exercice, la Banque africaine de développement (BAD), le Fonds monétaire international (FMI), l’Initiative d’Adaptation pour l’Afrique et le Forum sur la vulnérabilité climatique.
Macky Sall, avec d’autres personnalités comme son homologue français, Emmanuel Macron, prendra la parole lors de ce sommet. Il ne manquera sûrement pas de reprendre son réquisitoire contre l’«injustice climatique» dont l’Afrique est victime. Le continent, en effet, paie le plus lourd tribut aux changements climatiques alors qu’il n’est responsable que 4% des émissions mondiales de CO2.
Urbanisation galopante
Les changements climatiques ne sont pas la seule cause des inondations au Sénégal. Les spécialistes pointent également l’urbanisation non-maîtrisée. Ses conséquences les plus visibles sont l’obstruction des voies d’évacuation (naturelles ou construites) des eaux et la surutilisation des ouvrages d’assainissement. S’ajoutent les agressions sur le réseau d’évacuation des eaux et les constructions anarchiques, notamment au niveau des «zones inondables non constructibles».
«Les quartiers ‘coloniaux’ avaient une bonne structure en forme de damier avec un réseau de canalisation», se souvient, nostalgique, le directeur général de l’Agence national de l’aménagement du territoire (ANAT), Mamadou Djigo, dans un entretien avec L’Observateur. Aujourd’hui, le tableau est moins reluisant. «Le réseau d’eaux usées est conçu pour des maisons de taille moyenne alors qu’actuellement on constate partout, notamment à Dakar, des immeubles de plusieurs étages», regrette dans L’Observateur le ministre de l’Eau et de l’Assainissement, Serigne Mbaye Thiam.
Les branchements clandestins ainsi que les actes d’incivisme et de sabotage sont venus aggraver la situation. «Les gravats et matériaux de construction sont déposés sur le tracé du réseau, qui devient ainsi inaccessible, pointe le ministre. A cela il faut ajouter l’envahissement de ce réseau par du sable venu des travaux, sans compter la destruction des plaques fontes et des regards de visite par les gros porteurs.»
Récemment à Thiès, des sacs de sable ont été découverts dans le circuit des branchements de l’Office national de l’assainissement du Sénégal (ONAS) dans la Cité du Rail.
Défaut de plan d’aménagement du territoire
Jusqu’en 2014, le Sénégal ne disposait pas de plan d’aménagement du territoire. Le premier plan du pays a été produit en 1997. Il a coûté 2 milliards de francs CFA et sa formulation a pris 20 ans. Il permettait de faire des projections sur plusieurs années aux plans démographique, géographique et de la disponibilité des ressources. En plus, il situait, notamment, les zones inondables non constructibles.
Malheureusement, sous Abdou Diouf et sous Abdoulaye Wade, ce plan restera dans les tiroirs. Conséquence, selon le directeur général de l’ANAT : «Les gens sont partis habiter dans des zones inondables. Comme Dakar continue d’être une zone attractive, les gens ont continué à venir et il n’y a plus d’espace.»
Macky Sall entend corriger le tir. Il a demandé au gouvernement de formuler le Plan décennal de gestion des inondations (2023-2033), en cohérence avec le Plan national d’aménagement et de développement des territoires (PNADT), qui a vu le jour en 2020.
Investissements massifs
D’ici là, il invite les services concernés à accélérer la mise en œuvre de la seconde phase du Plan décennal de lutte contre les inondations (2012-2022). Lequel, malgré quelques ratés, a permis d’amortir les effets du phénomène. «De manière générale, fait remarquer le ministre de l’Eau et de l’Assainissement, les efforts consentis à Dakar et dans d’autres régions comme Saint-Louis, Fatick, Kaolack, Kaffrine, Sédhiou, ont permis de réduire de manière significative les temps de rétention des eaux pluviales.»
Parallèlement, le gouvernement va adopter, avant le mois de décembre prochain, un nouveau programme d’investissements massifs en matière d’assainissement. Celui-ci va concerner exclusivement les eaux pluviales. Et, d’après les orientations de Macky Sall, il doit «intégrer des projets et zones prioritaires, selon la cartographie nationale des inondations, disponible, et les évaluations techniques et financières, réalisées».