L’accentuation des inondations est la résultante de la combinaison de plusieurs facteurs. C’est l’analyse faite par le Dr Anastasie Mendy, maître de conférences au département de géographie de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Au cours de cet entretien, elle indexe l’imperméabilisation à Dakar dans un contexte de saison des pluies exceptionnelles qui sont les manifestations du changement climatique.
Le maître de conférences de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Dr Anastasie Mendy Beye revisite l’évolution pluviométrique au Sénégal depuis la fin du XIXe siècle. Cette évolution est marquée par une alternance de périodes pluvieuses et de phases de sécheresse. « Une phase humide est enregistrée du début des observations en Sénégambie jusqu’à la fin des années 1960. La décennie 1951-1960 est la plus humide. Cette période est suivie d’une baisse intense des cumuls pluviométriques survenue au début des années 1970. Cette tendance baissière des pluies s’est poursuivie jusqu’à la fin des années 1990 », explique le Chef de département de Géographie de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Durant cette phase, il a été observé des déficits pluviométriques tardifs avec des baisses de 48% à Saint-Louis et 46% à Louga. « On note une forte intensification de la sécheresse durant les années 1980. Cette période sèche coïncide avec l’expansion des villes littorales, notamment Dakar, Mbour, Ziguinchor (raison sécuritaire aussi) qui ont enregistré une arrivée massive de populations issues du monde rural. Il en résulte une urbanisation rapide qui s’accompagne de l’occupation des zones basses inondables », explique l’universitaire qui s’est beaucoup intéressée aux inondations dans la zone de Keur-Massar, au cours de ces dernières années. Après une phase de déficit pluviométrique, place au retour des pluies avec des cumuls annuels inférieurs aux quantités enregistrées avant la rupture décelée entre 1968-1969.
Actuellement au Sénégal comme dans des pays du Sahel, beaucoup de paramètres sont perturbés. La phase climatique actuelle, pour reprendre l’expression de l’universitaire, se manifeste par une grande variabilité pluviométrique et d’importantes fluctuations de la durée de la saison des pluies. « Les changements affectent également les évènements pluvieux qui sont moins nombreux, mais plus intenses. Le nombre moyen annuel de jours de pluie diminue tandis que les pluies extrêmes ont augmenté depuis les années 1980. La reprise pluviométrique est corrélée à l’intensification des pluies », renseigne Docteur Anastasie Mendy. Les raisons de l’occurrence des pluies extrêmes et intenses s’expliqueraient par le réchauffement global qui a des répercussions sur l’augmentation des températures à la surface de la terre dans le Sahara. « Le gradient thermique régional se renforce, et accroît le cisaillement qui serait à l’origine de l’augmentation des pluies extrêmes. La relation entre le changement climatique et les pluies intenses a été établie par des modèles climatiques. La fréquence d’épisodes pluvieux extrêmes est à prévoir dans ce contexte d’urgence climatique », avance l’enseignante-chercheure.
Les causes de l’accentuation des inondations à Dakar
Ces pluies exceptionnelles accentuent les inondations dans plusieurs zones de Dakar ou la capacité d’infiltration s’est réduite du fait de la construction sur des zones de recherches de la nappe, de l’obstruction des voies naturelles de ruissellement. « L’une des conséquences hydrologiques majeures de l’intensification des pluies demeure la récurrence des inondations urbaines. En effet, les pluies succèdent à une longue saison sèche. Elles surviennent sur des écosystèmes urbains bétonnés et imperméabilisés », fait observer l’enseignante-chercheure. S’y ajoute dans certains quartiers de la banlieue dépourvus d’assainissement adéquat, la nappe se recharge par les rejets d’eaux usées brutes domestiques. Il en résulte de graves inondations, notamment en août-septembre où les épisodes pluvieux sont plus fréquents, l’évaporation diminue et le sol fréquemment porté à saturation. Toute pluie, selon son intensité-durée, relance le ruissellement superficiel direct. Au regard de cette revue des facteurs, l’hydrologue incite à revoir beaucoup d’aspects au plan de l’aménagement urbain. « Tout dépend du modèle de ville que nous souhaitons produire. Voulons-nous bâtir des établissements urbains sûrs, résilients, ou cherchons-nous à maintenir la planification urbaine de rattrapage qui ne fera qu’auto-entretenir la vulnérabilité des systèmes écologiques et sociaux à l’intensification des pluies ? », s’interroge le maître de conférences.
Tout compte fait, l’universitaire fait savoir qu’il y a urgence à prendre en considération d’autres paramètres afin d’apporter des réponses idoines aux inondations. « Les actions de lutte doivent s’inscrire sur une temporalité longue qui intègre la dynamique urbaine et le changement climatique si le Sénégal veut atteindre l’objectif de développement durable (ODD) 11 qui promeut des villes et des établissements humains « ouverts pour tous, sûrs, résilients et durables ». L’efficacité des investissements et la durabilité des actions préconisées sont sous-tendues par des réponses structurelles. Le cadre d’intervention doit en outre s’appuyer sur une bonne connaissance des facteurs de vulnérabilité », avance Dr Mendy qui pense qu’il faut recréer la nature dans la ville en la rendant plus perméable.