Cette grande innovation de l’enseignement supérieur public fait suite à la disparition de la meilleure élève du Sénégal 2018 et 2019. Elle comporte plusieurs avantages.
Les Classes préparatoires aux Grandes écoles (CPGE) seront la grande nouveauté de la prochaine rentrée scolaire au Sénégal. Elles ouvrent leurs portes en octobre et préparent aux sélectifs concours d’entrée dans les plus prestigieux établissements d’enseignement supérieur sénégalais et français. a première promotion regroupera 50 bacheliers,25 pour chacune des deux filières retenues pour le lancement du projet : Maths-Physiques et Sciences de l’ingénieur (MPSI) et Physiques-Chimie et Sciences de l’ingénieur (PCSI).
Le choix de ces filières n’est pas fortuit. Il s’inspire du modèle des Grandes écoles françaises; lesquelles puisent leurs candidats dans ces spécialisations. Mais l’ambition du gouvernement est de maintenir les pensionnaires des CPGE au Sénégal au terme de leurs deux années de préparation. Le but étant de former et de formater à domicile les futures élites locales suivant les priorités de développement et les spécificités socio-culturelles du pays.
«C’est un cursus court et intense hyper sélectif, qui participe à la formation d’une élite- dans les sciences et techniques- capable de piloter l’essor du pays en vue de lui faire gravir les échelons du progrès scientifique et technologique», valide l’expert en infrastructures Moustapha Diakhaté, ancien conseiller spécial à la Primature et au Conseil économique, social et environnemental.
«’Sécuriser’ nos futures élites»
Même si les pouvoirs publics ne le disent pas ouvertement, l’affaire Diary Sow a contribué à l’évènement des CPGE. Cela n’a pas échappé à Moustapha Diakhaté, qui souligne que ces Classes, au-delà de leur objectif fondamental, répondent à «l’impératif de ‘sécuriser’ nos futures élites après l’épisode de la disparition brutale et mystérieuse d’une d’entre elle (Diary Sow) qui avait inquiété ses proches et engendré un emballement médiatique et diplomatique sans précédent entre la France et le Sénégal».
Le Président Macky Sall s’était contenté d’une éloquente suggestion. «J’ai décidé d’instituer les Classes préparatoires aux Grandes écoles qui offriront deux années de formation soutenue aux bacheliers remplissant les critères requis. (…) Nous allons prendre les meilleurs, sinon ce serait dommage avec tant d’efforts que nos meilleurs élèves aillent se sacrifier ailleurs», avait-il déclaré, jeudi 11 août au Grand théâtre, lors de la cérémonie de remise des prix aux lauréats du Concours général. A ce moment-là, la clameur suscitée par la disparition de Diary Sow venait à peine de retomber.
Attendue à la rentrée pour sa deuxième année de Prépa au prestigieux Lycée Louis-le-Grand à Paris, le 4 janvier 2020, la meilleure élève du Sénégal 2018 et 2019 avait manqué à l’appel. Elle n’avait donné aucune nouvelle. C’étaitl’émoi et la mobilisation au Sénégal comme en France. D’aucuns craignaient le pire. L’angoisse retombera au fil des semaines.
Après d’intenses recherches, les enquêteurs français concluent à une disparition volontaire. Diary Sow réapparaîtra un mois plus tard, en février. Et comme unique raison de son éclipse, la jeune femme avait invoqué un besoin de «couper les ponts». Au terme d’un séjour au Sénégal, elle était retournée en France et avait intégré Centrale Paris, une Grande école de référence.
Enseigner, éduquer
La forte pression que subissent les candidats aux Grandes écoles avait été à l’époque pointée. Et pour cause. «Ces classes exigent de grandes capacités de travail et un grand sens de l’organisation car elles préparent en deux ans à des concours très sélectifs», avertissent les connaisseurs. Beaucoup de ressortissants de pays étrangers, dont des Sénégalais, ont vu leurs rêves de suivre de brillantes études supérieures se fracasser contre les murs de ces établissements d’élite. Si certains ont réussi à sortir indemnes de cette expérience qui peut s’avérer traumatisante, d’autres ne s’en sont pas relevés.
C’est pour limiter de telles désillusions que les Cours Sacré Cœur et le Cours Saint-Marie de Hann- deux établissements privés catholiques-ont lancé leurs Classes préparatoires. «L’objectif est de donner aux jeunes le temps d’être plus mûrs, confie dans Le Soleil Simon Goudiaby, préfet d’études à Sacré Cœur et chargé de l’administration des Classes préparatoires. Nous prenons non seulement le temps de leur donner un très bon enseignement, mais aussi de les aider à mûrir en termes de mentalité. Quand tu restes au pays pendant deux ans après le Bac, tu deviens plus mature et tu sais mieux pourquoi tu es parti en Europe.»
Coordonnateur de l’Institut Mariste post-Bac, qui assure la tutelle des Classes préparatoires du Cours Saint-Marie de Hann, Alfred Quenum ne dit pas autre chose. Il a confié au journal Le Soleil que leur projet, qui en est à sa huitième promotion, répond aussi «à un besoin social, à savoir éviter d’envoyer des enfants très tôt à l’extérieur».
Les Classes préparatoires des Cours Sacré Cœur sont les premières en Afrique noire francophone. Elles totalisent dix-sept promotions. La première était constituée d’une dizaine d’élèves. La dernière en compte 130. Répartis dans des classes de 30 à 35 candidats, ces derniers aspirent à intégrer l’École supérieure multinationale des télécommunications (ESMT)de Dakar (20%), l’École supérieure d’ingénieurs en génie électrique (ESIGELEC) de Rouen, en France (70%), ou d’autres écoles comme Polytechnique (10%).
Rationalisation budgétaire
Les Classes préparatoires publiques sénégalaises devaient démarrer ce mois de septembre. Mais, leur lancement a buté sur l’écueil de la constitution de l’équipe pédagogique. Un chemin de croix. Les cours dans ces établissement d’excellence sont dispensés, quasi-exclusivement, par des enseignants du second degré ayant réussi au redoutable concours de l’agrégation. Du haut niveau. Une ressource rare au Sénégal. Les pouvoirs publics ont dû recourir à l’expertise étrangère, ce qui n’a pas été, non plus, une sinécure. «Nous avons rencontré quelques difficultés dans le recrutement des professeurs agrégés français, surtout en sciences de l’ingénieur», confesse le coordonnateur du projet, Magaye Diop.
Tout est maintenant bouclé. Le corps professoral est en place. Il est constitué de six professeurs sénégalais et d’agrégés tunisien et français. Des techniciens supérieurs en chimie et en électricité sénégalais ont été recrutés comme assistants. Les enseignants envoyés par la France accompagneront pendant deux ans leurs collègues locaux avant de leur laisser le gouvernail.
En attendant de disposer des locaux promis par le Président Macky Sall, les élèves des CPGE seront logés à l’Ecole polytechnique de Thiès. 541 candidatures ont été enregistrées pour 50 places. Les bacheliers des séries scientifiques titulaires des mentions «Très bien» et «Bien» sont éligibles. Les résultats enregistrés depuis la seconde comptent aussi. Une commission restreinte, formée autour du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, est chargée de faire le tri. Une autre commission, élargie aux représentants du ministère de l’Éducation nationale, des écoles d’ingénieurs et de l’ambassade de France, prendra le relai pour valider ou pas le choix initial.
Un autre bienfait des CPGE : elles permettront au Sénégal de faire des économies substantielles. «La rationalisation de nos budgets d’éducation et de formation s’en trouvera positivement impactée, souligne Moustapha Diakhaté. Les bourses d’excellence, à l’exception de celles du Fonds d’action et de coopération, pèsent énormément sur les crédits publics affectés à l’enseignement supérieur.»
Le Soleil avait révélé que de 2015 à nos jours, l’Etat du Sénégal a accordé 287 bourses d’excellence pour les Classes préparatoires françaises (Louis-le-Grand, Henry IV, Lycée de Valenciennes…). Chaque boursier coûte 5 millions de francs CFA par an. Un montant auquel il faut ajouter les 500 000 alloués à chacun par la Direction des Bourses.