Dans un pays où on hume le vent à bord d’un TER, un stade qui éblouit tout visiteur et une corniche qui met du vernis à l’éclat de l’Atlantique (…), un hôpital inondé pourrait être de l’ordre de la fiction.
Dans un pays où on hume le vent à bord d’un Train express régional (TER), un stade qui éblouit tout visiteur et une corniche qui met du vernis à l’éclat de l’Atlantique, à l’ère où le monde trépigne pour embrasser sa méta-humanité, un hôpital inondé pourrait être de l’ordre de la fiction. Mais il existe encore des pays où ces scènes romanesques font le récit du quotidien. Un peu d’anesthésie pour tenir le choc.
Nous sommes au mois de juillet, en plein hivernage. Ici, on ne danse pas sous la pluie, car après elle, à la place du beau temps, on constate de la boue, des dégâts, et des larmes bruinent comme pour proposer un refrain aux averses. Dans la capitale dakaroise et au niveau des régions, les inondations n’ont même pas épargné les hôpitaux.
Le vendredi 8 juillet 2022, de fortes pluies avaient rempli d’eau les salles des patients de l’hôpital régional de Kolda, à 679 km au sud de Dakar. Le 22 juillet, les eaux de pluie ont tenu compagnie à un patient dans un bloc opératoire àl’hôpital Aristide Le Dantec à Dakar. Les médecins étaient obligés de se transformer en techniciens de surface. Sauver une vie en raclant des eaux, cela demande bien du génie…
Cette situation alarmante soulève trois questions fondamentales : est-ce que le Sénégal met assez de ressources pour financer son système de santé ? Est-ce que ces ressources sont utilisées de manière optimale ? Est-ce que le système de santé est à la hauteur des exigences de son époque ?
D’abord, le Sénégal a fait sienne des dispositions telles que la déclaration d’Abuja de 2001 qui matérialise l’engagement des pays de l’Union africaine à allouer au minimum 15% de leur budget au secteur de la santé ou encore la déclaration de Tunis du 5 juillet 2012 des ministres des finances et de la santé des pays d’Afrique qui les engage à accélérer la Couverture Sanitaire Universelle. Si la part de la santé n’était qu’à 8% du budget national en 2017, elle est passée à 10% en 2019. Même si des efforts sont faits pour améliorer ce budget d’année en année, l’utilisation efficiente des ressources demeure un défi majeur.
Le Sénégal comptait, en 2019, selon les données de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), 36 hôpitaux, soixante-dix-neuf (79) districts sanitaires, cent trois (103) centres de santé, mille quatre cent quinze (1 415) postes de santé, deux mille six cent soixante-seize (2 676) cases de santé. Mais on constate que certaines de ces structures de santé sont dans des états très vétustes avec des équipements précaires. Pour ne pas tomber dans l’idolâtrie des chiffres, il est utile de rappeler qu’il manque parfois du paracétamol ou le matériel de base pour faire les premiers soins dans ces structures surtout celles qui sont dans les régions reculées. C’est la raison pour laquelle, dans le dictionnaire de l’imaginaire populaire, nos hôpitaux sont synonymes de mouroirs. Bien validé à l’académie du désespoir…
On ne pourrait pas parler des infrastructures sans évoquer les ressources humaines. Non seulement il y a des établissements de santé sans personnel suffisant d’où le phénomène des déserts médicaux, il y aussi un réel déséquilibre géographique dans la répartition des acteurs de la santé. Dakar concentre 36% des professionnels de santé soit plus du tiers au niveau national. Cette répartition déséquilibrée explique le fait que certaines installations sanitaires n’existent que de nom, sans médecin qualifié et sans entretien.
Aujourd’hui si on enregistre certains accidents dans le milieu hospitalier comme des bébés calcinés ou des blocs opératoires inondés, c’est parce que l’existant est de mauvaise qualité. Les bâtiments sont dans des états de délabrement avancé, certains ayant été construits depuis la période des indépendances. D’autres sont récemment construits, inaugurés à grande pompe, mais mal entretenus.
Ce constat interpelle aussi sur le niveau de salubrité des structures de santé. En plus de la nécessité de maintenir propres les espaces qui accueillent les patients et le personnel, la gestion des déchets biomédicaux demeure problématique dans plusieurs structures où on utilise encore de vieux incinérateurs ou des fours artisanaux ayant donc un effet néfaste sur l’environnement.
Rien qu’à travers l’état des infrastructures sanitaires, il saute à l’œil tous les symptômes d’un grand malade à qui il faut un perfusion de mise à niveau.
Lutter contre la corruption, diversifier les sources de financement, et miser sur l’entretien
Le Sénégal est un des « champions » quand il s’agit d’adhérer à des protocoles et conventions, et de rédiger des plans. Toutefois, on constate dans le pays, une mauvaise culture de suivi-évaluation et de sanction.
Comme souligné en amont, des efforts sont faits pour augmenter le budget affecté à la santé mais on ne ressent pas forcément les impacts sur le système. Donc il est nécessaire de s’attaquer aux questions de corruption et de redevabilité dans le système de santé. A ce propos, dans le document publié en février 2020 sur l’amélioration des systèmes de santéau bénéfice des populations, le think tank citoyen WATHI préconisait l’instauration « d’audits externes et internes pour assurer que les budgets sont alloués et dépensés de façon adéquate » et « l’élaboration de normes strictes de contrôle d’accès à certains équipements pour promouvoir la transparence et la reddition de comptes » afin de lutter contre la corruption au quotidien dans le milieu de la santé.
Pour diversifier les sources de financement, il faudrait affecter au secteur de la santé les ressources tirées des taxes sur les produits nocifs pour la santé, comme le tabac ou l’alcool, les taxes sur des produits de luxe et sur les transactions financières et éventuellement une taxe spéciale sur les profits des grandes entreprises.
En outre, la construction des hôpitaux modernes est essentielle au développement d’un pays, mais à la place des coups de pelle politique, il faudrait veiller à mettre à la disposition des populations des édifices de qualité avec des systèmes d’entretien pour assurer la durabilité. Le service d’entretien doit donc être considéré comme un organe incontournable au fonctionnement des établissements de santé.
Pour pallier toutes ces carences au niveau des installations physiques, recourir aux technologies modernes pourrait aider à instaurer des modes de paiements transparents, un système de traitement des dossiers plus rapide et faciliter le développement de la prévention à distance et de la télémédecine dans les zones reculées en priorité.
Il est presque impossible de relever tous ces défis sans avoir un état des lieux précis et à jour sur les besoins du système de santé. Aujourd’hui, il est difficile d’avoir des données à jour sur les finances ou sur le personnel du système de santé. Dès lors, on pourrait corriger cette faille à travers la mise en place d’une institution chargée de faire de la recherche sur le système de santé, d’identifier ses forces et ses faiblesses, et proposer des axes d’amélioration pour la mise en place de politiques publiques cohérentes et durables.
Préparer le système de santé au temps à venir
Avec une population sénégalaise qui pourrait atteindre 28 millions d’habitants d’ici 2050, un taux d’urbanisationdépassant la moyenne en Afrique de l’Ouest (40%), il est évident que les modes de vie changent. Par conséquent les pathologies liées aux maladies cardio-vasculaires, le diabète, le cancer sont de plus en plus fréquentes. Il est important pour notre système de santé d’être doté d’un mécanisme de suivi des dynamiques de la population qu’il sera appelé à prendre en charge afin d’améliorer ses capacités d’accueil, et investir davantage sur la prévention.
Cette approche prospective nous rappelle encore l’importance de la recherche. Les résultats de la recherche ne sont pas des prédictions mais offrent éventail de situations ou de scénarios possible pour mieux réagir face à une situation ou une crise. Cette exigence d’avoir des systèmes préparés à faire face aux défis d’un monde dynamique et incertain nous impose de laisser plus d’espace aux scientifiques dans les processus de prise de décision.
L’ultime recommandation c’est qu’il faut dépasser le temps des murs mal bâtis ou des hôpitaux sans électricité et être orientés sur le futur pour mieux faire face aux problèmes du présent. Pour cela, nos États devraient penser à financer des programmes de recherche prospective sur les scénarios possibles de notre système de santé d’ici 2030 voire 2050. Les résultats des recherches pourraient améliorer ou corriger les orientations de la stratégie nationale, aider à repenser la gouvernance du secteur, et même nous préparer à une médecine à l’ère de l’intelligence artificielle.
Pathé Dieye, chargé de recherche au Think Tank WATHI