La destruction du ballon « espion » chinois qui survolait le territoire américain depuis plusieurs jours a ravivé les tensions diplomatiques sino-américaines. Pour Emmanuel Véron, docteur en géographie et spécialiste de la Chine contemporaine et des relations internationales à l’Inalco, les tensions vont s’accentuer sans mener vers l’escalade.
La Maison Blanche a donné l’ordre, le Pentagone l’a exécuté. Samedi 4 février, le ballon blanc chinois qui traversait les États-Unis depuis plusieurs jours a été abattu par un missile tiré par un avion de chasse américain F-22 au large des côtes de la Caroline du Sud.
Si Washington assure qu’il s’agissait d’un « ballon espion », Pékin a dénoncé une « attaque contre un dirigeable civil ». « La Chine exprime son fort mécontentement et proteste contre l’utilisation de la force par les États-Unis », a déclaré dimanche le ministère chinois des Affaires étrangères dans un communiqué, ajoutant que Pékin se « réservait le droit » de répliquer.
La crise provoquée par le ballon se joue désormais sur le terrain diplomatique, le chef de la diplomatie américaine, Anthony Blinken, ayant reporté son déplacement à Pékin. Une visite qui aurait été inédite depuis octobre 2018. À quel genre de réponse peut-on s’attendre de la part de Pékin ? Le point sur la situation avec Emmanuel Véron, docteur en géographie et spécialiste de la Chine contemporaine et des relations internationales à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).
France 24 : Pourquoi les États-Unis ont-ils abattu ce ballon chinois ? Était-ce une démonstration de force de la part de Washington ?
Emmanuel Véron : Il est nécessaire de revenir sur la séquence globale de cette affaire de ballon sonde stratosphérique. Les Chinois ont délibérément laissé et guidé le ballon pour suivre la trajectoire qu’il a eu et le faire pénétrer sur les territoires canadien et américain pour tester la réactivité américaine et canadienne. Les Américains ont repris le dessus à travers le contrôle de l’image politique, médiatique, technique et militaire. La décision de l’abattre est une démonstration de force, de leadership industriel militaire, puisque c’est un F-22 avec un missile infrarouge qui a tapé le ballon pour le détruire au large de la Caroline du Sud.
Le ballon a été abattu au-dessus de l’eau, mais dans une épaisseur d’eau relativement faible, avec une profondeur d’environ 14 mètres. Cela permet aux gardes-côtes américains et à l’US Navy de récupérer beaucoup de matériel. Il sera investigué notamment par le FBI. On devrait s’attendre dans les prochains jours à des communiqués très détaillés, là aussi, avec une grande maîtrise de l’image et du discours par les autorités américaines pour montrer à la Chine ce qu’ils ont fait, leur faire perdre la face, et les mettre face à leurs propres responsabilités. Cette séquence est une reprise du dessus par l’administration Biden dans ce qui a été une violation de l’espace aérien américain.
Pour les Chinois, c’était un test pour montrer qu’ils ont la capacité d’évoluer dans la stratosphère avec ce type de ballon sonde. C’est évidemment de l’ordre du renseignement, de montrer leurs capacités, mais ils ont perdu le contrôle.
Quelle peut être la réaction de Pékin à la suite de la destruction de ce ballon sonde ?
À ce stade, c’est du déclaratif. Ils ne vont pas s’aventurer à user d’armes modernes pour abattre quelconque aéronef ou dispositif américain. C’est extrêmement risqué. En revanche, la Chine va faire monter la pression dans son environnement régional.
On peut s’attendre dans les prochaines heures à des manœuvres militaires sur terre, sur mer ou dans les airs, autour des Philippines, en mer de Chine méridionale, en direction du Japon, de Taïwan, voire d’intimidations de ressortissants américains en Chine, des cyberattaques d’ampleur plus ou moins fortes en direction d’intérêts américains (administration, entreprises…).
Y a-t-il, aujourd’hui, un risque d’escalade entre les États-Unis et la Chine ?
Il peut y avoir une montée des tensions entre Pékin et Washington, dans une certaine hybridité : avec des recours à de la diplomatie et de la joute verbale, des recours à des logiques cybers, à des logiques d’intimidation… Mais en rien une escalade de haute intensité. On ne va pas sortir les canons. Personne ne le souhaite.