Dr El Hadji Malick Ndiaye, conservateur du musée Monod : « Les musées doivent s’ouvrir au partenariat public-privé »

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Dr El Hadji Malick Ndiaye, conservateur du musée Monod : « Les musées doivent s’ouvrir au partenariat public-privé »
Le musée Théodore Monod de l’Ifan a été classé par Time parmi les 50 meilleures destinations au monde, grâce à une collaboration avec 19M. Son conservateur Dr El Hadji Malick Ndiaye explique ici tout le travail qui a abouti à cette consécration et comment capitaliser sur cet acquis.
 
Expliquez-nous de quoi s’agit-il à travers cette exposition ?
 
L’exposition s’intitule ‘’sur le fil : broderie et tissage’’, elle va du 12 janvier au 31 mars 2023 et s’étend sur deux niveaux. Au rez-de-chaussée, on montre les savoirs faire des maisons d’art de Chanel, il y a une boutique et des espaces pour des ateliers. Au premier étage, des artistes de différentes nationalités – dont la moitié sont des sénégalais – s’expriment dans le domaine du tissage, de la broderie et du textile. Ce dialogue de créateurs est dynamique dans un double sens.
 
D’abord, plusieurs œuvres sont produites dans l’espace d’exposition après l’ouverture, soit au cours d’ateliers comme entre Fatim Soumaré et Johanna Bramble, soit autour de performances, comme celle de Pauline Guerrier avec le public. Cet aspect a parfois introduit des collaborations ayant abouti à des œuvres, comme celles de Julian Farade qui est entré en résonance avec les femmes de Ngaye Mékhé autour de la broderie. Ensuite, cette dynamique se voit à travers 5 artistes sénégalais invités dont la production témoigne d’une certaine histoire de l’art du Sénégal. Il s’agit de Viyé Diba, Kalidou Kassé, Alioune Badiane, Abdoulaye Ndoye et Souley Keïta. Concernant cette catégorie d’artistes, arrivant après l’école de Dakar et appelée pour l’occasion « les modernes », chacun a exposé durant 15 jours.
 
Cependant, la galerie du 19M, ce n’est pas seulement une exposition. C’est aussi un ensemble d’ateliers, de workshop, d’échanges, de conférences, de journées d’études, de Master Class autour des questions liées au tissage, à la broderie, au patrimoine, à l’artisanat, à l’entreprenariat… On a eu beaucoup de chercheurs, d’artistes, d’étudiants, d’élèves, qui sont venus visiter l’exposition. Et on n’a pas cessé pendant deux mois et demi d’accueillir du public.
 
C’est une des raisons pour lesquelles Times nous a mis dans son top 50 des lieux dont il recommande la visite en 2023. En consacrant 19M, c’est avant tout le lieu qui accueille l’évènement dont on recommande la visite.
 
Selon vous, pourquoi 19M a choisi Théodore Monod, puisqu’il y a d’autres musées ?
 
Je pense qu’il y a plusieurs raisons. Le musée Théodore Monod est une fenêtre ouverte sur le monde de l’art. Nous avons organisé une série de rencontres scientifiques, accueilli des manifestations d’envergure et collaboré avec des institutions muséales parmi lesquelles on peut citer le musée d’histoire naturelle du Havre, le Musée national de Prangins en Suisse, le musée de Clermont-Ferrand le musée du Quai Branly Jacques Chirac, Le musée national de l’histoire et de la culture afro-américaine de Washington, le Metropolitan Museum of art de New York à qui on avait prêté le mégalithe lors d’une exposition intitulée Sahel. Le musée est associé à des expositions internationales où il est sollicité dans le prêt d’objets d’art, à l’instar de l’exposition Picasso à Dakar : 1972-2022 tenue au musée des civilisations noires en avril de l’année passée. Partenariat entre quatre institutions que sont le Musée des civilisations noires, le musée Picasso de Paris, le musée du Quai Branly Jacques Chirac et le musée Théodore Monod de l’IFAN. Ce sont des manifestations de qualité situées dans le contexte de notre mission.
 
Actuellement, Le musée fait partie d’un projet de recherche sur « Re-connecter les « objets » : pluralité épistémique et pratiques transformatives dans et au-delà des musées » avec des chercheurs du Sénégal (IFAN. Cheikh Anta Diop University), du Cameroun (Dschang University), d’Afrique du Sud (University of Cap Town), d’Allemagne (Technische Universität Berlin) et du Royaume-Uni (Pitt-rivers Museum in Oxford). Nous sommes aussi partenaires d’un projet scientifique et culturel nommé Talking Objects (quand les objets parlent) basé en Allemagne, au Kenya et au Sénégal. En outre, le musée est actuellement financé par la Fondation Gerda Henkel dans le cadre d’un projet de recherche sur la numérisation des collections des musées dans les musées africains et qui inclut la numérisation d’une partie des collections du musée Théodore Monod.
 
Toutes ces activités nationales et internationales, s’ajoutent aux initiatives du musée Théodore Monod à savoir son vaste programme « Création/Patrimoine ». Celui-ci consiste à inviter en résidence des artistes dans un dialogue avec les collections du musée. On l’a fait avec Viyé Diba qui a travaillé sur un cache-sexe Bété et a produit une œuvre magnifique qui renouvelle la lecture de l’objet. Avec l’artiste Congolais Ghislain Ditshekedi on avait travaillé sur l’os d’Ishango, un patrimoine africain conservé en Belgique, et dont les scarifications constituent un système de comptage qui présage le développement des mathématiques en Afrique. Nous avons accueilli le photographe Ibrahima Thiam, dont la production a été exposée dans les jardins du musée durant la dernière biennale de Dakar au même titre que l’artiste camerounais Hervé Youmbi qui  s’est concentré sur le masque Ejumba de Casamance. Actuellement, nous recevons en résidence l’artiste Henri Sagna et la photographe Elise Fitte-Duval. En ce moment, dans le même temps que la galerie du 19M, nous présentons dans le premier bâtiment, une exposition individuelle de l’artiste Louis Barthelemy. Le travail de ce dernier porte sur la lutte sénégalaise avec des œuvres réalisées sur la base du bazin, textile très répandu au Sénégal et en Afrique de l’ouest.  
 
En tant que musée universitaire, on réfléchit beaucoup sur le devenir du patrimoine en dialogue avec la création contemporaine au service de la société. Quand s’y ajoute le fort potentiel de nos collections en matière de savoir-faire et de tissage, on comprend le choix du 19M de collaborer avec un musée de l’UCAD en l’occurrence le musée Théodore Monod d’art africain de l’IFAN.
 
Cela veut dire qu’aujourd’hui, le partenariat public-privé est incontournable pour les musées ?
 
Je pense que les musées doivent s’ouvrir au partenariat public-privé. Nos institutions publiques ne peuvent supporter tout le coût de réalisation des projets d’envergure de nos musées. Ces derniers grandissent, les ambitions s’élargissent et à un moment donné, on se rend compte qu’on ne peut compter uniquement sur l’État. Dans le cadre de notre partenariat, le 19M a, par exemple, rénové l’un des deux bâtiments du musée. Tout le circuit électrique a été repris et plusieurs équipements ont été remis aux normes sans compter l’éclairage et le sol ainsi que le système de sureté et de sécurité. Une autre partie concerne le financement de la recherche et la rénovation du jardin sans compter d’autres équipements d’aide à la conservation du patrimoine.
 
Le monde culturel est un secteur viable pour son potentiel et ses arguments envers le privé. Nous devons nous ouvrir pour un accompagnement mutuel. Que ce soit une banque, une fondation, une entreprise, ce sont des institutions qui, à travers la culture qui apporte un supplément d’âme, véhiculent aussi des valeurs d’humanisme, de bien être, d’équilibre, de paix et de diversité culturelle. Or, le patrimoine et la création en constituent le meilleur vecteur. Le musée est là pour réenchanter toutes ces valeurs surtout dans un contexte social dominé par des invectives, l’absence de mesure et parfois d’esprit dans le dialogue. Le musée est un espace de pédagogie, de médiation et d’éducation. Toutefois, il ne s’agit pas uniquement d’exposer, de montrer des objets. Il faut des équipes derrière. Celles-ci doivent être bien formées. Les moyens doivent être là pour produire des supports pédagogiques, aider le public à mieux comprendre et à appréhender le discours véhiculé par le patrimoine. Face à cette ambition, il est évident qu’il faut chercher les moyens ailleurs que dans le public.
 
Le privé national est-il dans cette nouvelle dynamique ?
 
Le musée a eu quelques partenariats avec le privé national, comme la Fondation Sococim qui l’avait rénové en 2010. Mais je pense que ce n’est pas assez. C’est quelque chose que le privé national doit encore travailler, moyennant une loi sur le mécénat pour encourager les entreprises à être moins frileuses envers les institutions culturelles. Mais il faut peut-être que l’État comprenne que l’argent qui va dans la culture et qui est amorti dans les impôts des entreprises n’est pas de l’argent perdu. C’est de l’investissement qui revient dans le système économique 100 fois multiplié. Du point de vue national, il nous faut encore faire beaucoup d’efforts.
 
Maintenant, comment capitaliser sur ce classement et ce partenariat avec 19M ?
 
Cette approche va s’inscrire dans le cadre de la stratégie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar qui a pris un nouveau cap consistant à se rapprocher de la société. Là où on réfléchissait dans notre tour d’ivoire pour discuter de l’art et du patrimoine de manière sélective avec un langage codé, déconnecté parfois de nos réalités, il s’agit maintenant de revoir nos méthodes, et d’orienter notre discours vers la société. Les musées de manière globale, le musée universitaire que nous sommes en particulier, peut aider le discours conceptuel à se vulgariser. C’est pourquoi, nous sommes aux côtés de l’UCAD pour redéfinir la place de l’art et de la culture dans l’espace universitaire. C’est ainsi que l’œuvre de l’artiste sénégalo-suisse Ousmane Dia « Ni Barsa ou ni Barsaq » a été installée dans un rond-point très fréquenté du Campus pédagogique. Il en est de même de la statue de Ousmane Sembene créée par l’artiste Siriki Ki et installée au rond-point de la faculté des Lettres et sciences Humaines.
 
Capitaliser, c’est deux choses. C’est d’abord redéfinir notre politique de médiation en cours de recadrage. Car grâce à l’appui de l’ambassade de France et de l’Institut Français, le musée est dans un programme ambitieux de formation du personnel des musées de l’IFAN dans les domaines de la numérisation/photographie, scénographie et médiation. Ce projet est financé par un  Fonds de solidarité pour les projets innovants, la société civile, la francophonie et le développement humain (FSPI). Il est techniquement mis en œuvre par la Réunion des Musées nationaux Grand-Palais (RMN GP). Pour la médiation, un premier atelier a été organisé dans un fructueux échange d’expériences. J’insiste sur l’échange d’expérience, car ce qui est important dans ce partenariat, c’est de parvenir à éviter le transfert plat de technologie institutionnelle. Le contexte n’est pas le même, les réalités non plus. Nonobstant, il y a des réalités que nous avons besoin de faire découvrir à nos agents et qui peuvent les aider à mieux appréhender leurs propres pratiques. Pour la scénographie, c’est pareil, avec la particularité d’étudier l’impact des matériaux sur l’environnement et comment optimiser la dépense énergétique. Pour la numérisation photographique, nous avons reçu un don de matériel dans le domaine de la numérisation du patrimoine et les équipes sont en train d’être formées.
 
En résumé, capitaliser nécessite de conforter cette vision proche de la société dans l’esprit du plan stratégique de l’UCAD. La stratégie va se déployer grâce à une équipe bien formée capable d’interagir avec le public sur la base d’un programme et de supports pédagogiques pertinents.
 
Il est beaucoup question d’écologie dans l’exposition. Pourquoi ?
 
C’est parce que nous sommes en 2023, au 21ème siècle, et les artistes sont interpellés par cette problématique. Nous nous rendons compte que les savoir-faire ont toujours été intimement liés à la gestion de l’écologie, surtout les savoir-faire africains en matière de tissage, d’utilisation des produits naturels pour la teinture, les habits ou les habitations… Toutes ces questions sont intimement liées à des modes endogènes de compréhension du devenir de l’espèce humaine dans son environnement. On a perdu beaucoup de savoirs endogènes et il est temps de les redécouvrir. Ces savoirs nous aident à répondre aux défis et urgences de notre siècle, parmi lesquels le devenir de notre planète.

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