La différence entre la corruption protégée et la corruption sanctionnée 

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Moustapha Kamal Guèye, Programme Oit sur les emplois verts : «Il faut prendre en compte les enjeux socio-économiques de la transition écologique»
Dr Moustapha Kamal Guèye, 
Par Dr Moustapha Kamal Gueye, à titre personnel et pour usage interne du Foyer AET
La corruption existe dans tous les pays. Ceux industrialisés, les économies émergentes tout comme ceux en développement. Alors qu’elle est une infection occasionnelle dans les nations bien construites, pour les pays les moins avancés, elle est mortelle.
Permettez-moi de raconter une anecdote concernant la Corée du sud, le pays et Hyundai et Samsung, qui peut nous servir d’example. J’ai choisi la Corée du Sud parce qu’au moment des indépendances en 1960, elle se trouvait derrière plusieurs pays africains dans le classement mondial du développement. Aujourd’hui, elle n’est comparable à aucun pays africain de par son développement économique. Je connais bien la Corée pour y avoir travaillé comme à travers l’Asie pendant près de douze ans, entre 1995 et 2006. Cependant le sujet de la corruption que j’aborde ici concerne une autre expérience professionnelle que j’ai vécue au Programme des Nations Unies pour l’environnement PNUE).
En 2008, le  président coréen Lee Myung-bak lançait le plan quinquennal de croissance verte. Ce programme consistait en un investissement public financier massif à hauteur de 97 milliards de dollars sur cinq ans, ce qui représente 2 % du PIB annuel. Avec ce programme, la Corée souhaitait passer de la croissance quantitative des années 1960-70 à la croissance qualitative, dans laquelle l’innovation, les technologies liées aux énergies nouvelles et à l’environnement deviendraient les nouveaux moteurs de la croissance.
Au même moment, suite à la crise économique, énergétique et financière de 2008-2009, les Nations Unies lançaient l’idée d’une économie verte comme réponse à cette série crises. Quand je suis arrivé au PNUE en 2009, ma première responsabilité était de coordonner la production du rapport “Global Green New Deal” qui s’était inspiré du New Deal du président américain Roosevelt, dans les années de crise de 1933-1939.
Je peux même dire que le concept de croissance verte, qui fut repris par la suite par l’OCDE, la Banque Mondiale et la plupart des banques de développement, est une résultante de l’initiative économie verte du PNUE.
Compte tenu du concours de circonstances, le gouvernement coréen demanda au PNUE de mener une évaluation de son plan quinquennal de croissance verte, et de produire un rapport. Étant chef des services consultatifs sur l’économie verte, le PNUE m’assigne la tâche de coordonner la production du rapport d’évaluation sur la Corée.
Nous sommes en juillet 2009. À mi-parcours, je me trouvais en congés annuels au Sénégal. Pour une raison que nous n’avions pas comprise en ce temps, le gouvernement coréen demande avec insistance que le PNUE vienne à Séoul pour présenter le rapport sur la croissance verte de la Corée. Le PNUE m’envoie un ordre de mission pour aller immédiatement de Dakar sur Séoul rejoindre le Directeur exécutif du PNUE l’allemand Achim Steiner, qui est aujourd’hui l’administrateur du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), ainsi que directeur régional pour l’Asie du PNUE, qui se trouvait être un coréen.
Nous pensions rencontrer le ministre coréen de l’environnement et son équipe pour leur faire le point sur les conclusions initiales du rapport. Cependant, une fois à Séoul, il s’agissait d’une conférence de presse de grande envergure, présentant la Corée comme le leader mondial de la croissance verte. Notre message au PNUE était équilibré: tout en saluant le leadership du gouvernement coréen, nous avons appelé à la nécessité de processus transparents et participatifs et au respect des normes environnementales.
Le lendemain, le Président Lee nous reçoit, le Directeur exécutif du PNUE, le directeur régional et moi-même. Il nous explique sa vision. Et l’expérience antérieure de la réhabilitation du centre de Séoul qu’il avait menée auparavant, et qui avait fait l’objet de beaucoup d’objections avant que les populations ne voient les résultats. Pour ceux qui connaissent Séoul, c’est aujourd’hui l’équivalent des champs élysées de Paris.
Tout ceci n’est que contexte, mais important pour comprendre la suite.
Le gros des 97 milliards de dollars du plan coréen concernait le développement des infrastructures. Près de 80% des fonds étaient destinés à des travaux de restoration et réhabilitation des quatre grands rivières de la Corée, avec le développement d’un système massif de collecte et rétention d’eau et l’avènement d’une nouvelle industrie de tourisme tout le long des quatre grandes rivières.
Il faut savoir qu’avant de devenir Président de la Corée, Lee Myung-bak était CEO de l’entreprise Hyundai Engineering and Construction, et était également le maire de Séoul de 2002 à 2006.
Alors immédiatement, beaucoup de coréens de l’opposition comme de la société civile y ont vu le « crony capitalism » en marche. Le crony capitalism est un système de liens étroits entre le monde des affaires et les dirigeants politiques. Il est très caractéristique de beaucoup de pays asiatiques.
Les opposants au programme de Lee clamaient que tout le programme de croissance verte n’était en vérité qu’une manière d’enrichir l’industrie de la construction à laquelle appartenait le Président Lee avant son arrivée aux affaires publiques.
Étant responsable du rapport d’évaluation, il ne se passait pas un jour sans que le PNUE ne reçoive des lettres et plaintes d’organisations environnementales et de la société civile de Corée.
Une fois le rapport du PNUE bouclé, nous avons demandé à le présenter au gouvernement coréen de manière confidentielle, sans conférence de presse.
Le 22 mars, 2018, cinq ans après avoir quitté le pouvoir, le Président Lee était arrêté pour corruption. Le 5 octobre de la même année, la justice coréenne lui inflige une peine de 15 ans de prison pour diverses accusations portant sur un montant de près de 22 millions de dollars.
Tout comme son successeur, l’ex- Président Park Geun-hye, qui fut condamnée à 25 ans de prison pour diverses charges de corruption, le Président Lee est tombé sous le joug de la justice.
Il en fut de même pour le puissant Lee Jae-yong de Samsung Electronics qui a été emprisonné. Le pouvoir politique et financier n’ont pas permis à ces responsables coréens de haut niveau d’échapper à la justice.
Ceci est la différence entre la corruption sanctionnée et la corruption protégée. Lorsque la corruption est sanctionnée, elle devient l’exception. Personne n’étant au dessus de la loi, la justice s’applique de manière équitable à tous, quelque soit le pouvoir ou le statut social. Cela pose les bases d’un développement économique.
J’avance l’argument selon lequel la justice sociale n’est pas secondaire au progrès économique. En fait, elle le précède, et même le crée, pour reprendre la formule de Sartre.
Par contre, lorsque la corruption est protégée, elle devient la norme. Telle un cancer, elle se répand et finit par créer un maillon de contamination dans lequel personne ne peut la combattre, parce que tous y participent.

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