Un background intellectuel solide et la perspective d’une belle carrière universitaire n’ont pas eu raison de l’étudiant en philosophie Mbaye Cissé qui s’en est retourné fièrement à ses anciennes amours militaires. Fils de gendarme ayant toujours vécu dans une caserne militaire, excepté les années de fac, il a grandi au Prytanée militaire de Saint-Louis, promotion 1977, avant d’intégrer plus tard l’École nationale des officiers d’active (Enoa). Une des valeurs sûres de notre Armée en hérite les rênes et en même temps, les attributs d’un Général de corps d’Armée. Jusque-là Chef d’Etat-major particulier du Président de la République (Cempart), il dirigera l’Armée sénégalaise à compter du 10 avril 2023. Portrait d’un militaire au firmament d’une longue et riche carrière.
Par Ibrahima Khaliloullah NDIAYE
Général de corps d’Armée, nouveau Chef d’état-major général des Armées (Cemga) à compter du 10 avril 2023 : le décret présidentiel, publié hier, n’a pas surpris beaucoup de connaisseurs de l’Armée qui voyaient en Mbaye Cissé une pépite promise à une belle carrière militaire. Et pourtant ! L’artilleur, la cinquantaine bien sonnée aujourd’hui, était plutôt parti pour embrasser une carrière universitaire tant ses états de service dans la discipline étaient parfaits. Ses professeurs l’aimaient bien. Et certains furent surpris de le voir arborer, avec fierté, l’uniforme de l’École nationale des officiers d’active (Enoa, 1988-1990) de Thiès. Une fois par semaine, l’élève-officier dut se rendre à la Fac de Lettres pour y poursuivre ses cours en licence. L’année blanche de 1988, survenue juste après les perturbations électorales de la même année, était passée par là, influant sur la décision de l’ancien enfant de troupe (Aet) de retourner à ses amours militaires.
Auréolé de mentions en première comme en deuxième année de philosophie, Mbaye Cissé fera sienne cette boutade d’un de ses maîtres, le Pr Abdoulaye Elimane Kane, qui, surpris de le voir en tenue d’élève-officier, dira qu’« en réalité nous sommes tous aux ordres ». Autant donc l’être pour sa patrie.
Et à l’arrivée de ce qui pourrait s’apparenter au summum d’une carrière militaire avec sa nomination au grade de Général en juillet 2020, le brigadier d’alors ne regrette pas le choix opéré et qui ne fut pas que dans le raisonnement sophiste ou philologique. Les 17/20 obtenus au bac avaient certainement concouru à la mention Bien qu’il a décrochée. « Ce sont la valeur et la qualité des profs au Prytanée militaire de Saint-Louis qui m’ont charmé et poussé à la philosophie. Une propension naturelle à la curiosité m’habite, mais aussi aux idées généreuses… Il y a aussi une plénitude que procure la philo. J’excellais le plus dans cette discipline. Il faut reconnaître que j’avais déjà, dès ma tendre enfance, un goût prononcé pour la lecture. Et j’étais ainsi à l’aise avec de nombreux courants littéraires et philosophiques », explique le disciple…
Bourbier libérien
Un regard dans le rétroviseur le ramène à un pan intéressant à son début de carrière et qui le projette au Libéria, entre 1991-1995, en tant qu’officier observateur artilleur, officier de reconnaissance chargé de régler des tirs avec les unités de l’avant au sein de la force Ecomog, envoyée par la Cedeao. C’est dans le bourbier libérien qu’il découvrira, fort de sa « conviction au travail désintéressé », les usages d’une « épreuve de feu », dit-il. C’est là également qu’il fait la connaissance de nombreux et valeureux officiers sénégalais comme Baïlo Diouf (disparu dans le naufrage du « Joola » en 2001) ou encore Cheikh Wade et Daouda Niang, respectivement son prédécesseur Cemga et ancien Inspecteur général des forces armées (Igfa) et aujourd’hui Ambassadeur du Sénégal en Côte d’Ivoire.
Réputé brillant intellectuel qui produit sur l’histoire militaire (plusieurs articles publiés dans des revues militaires et relatifs aux questions de sécurité collective, à la défense et à l’histoire militaire), il se rappelle de son premier article consacré à l’« emploi de l’artillerie dans la guerre du Libéria ». Son papier de l’époque qui lui avait valu les félicitations du Général Babacar Gaye, revenait largement sur la bataille de Monrovia d’octobre 1992 et l’opposition fatale de l’artillerie sénégalaise à Charles Taylor, le chef de guerre de l’époque qui voulait faire un assaut final sur la capitale. Les autres forces composant la force de l’Ecomog étaient également subjuguées par l’artillerie sénégalaise. Le chef rebelle qui deviendra plus tard président du Libéria sera repoussé jusque dans ses derniers retranchements. Et jamais il ne put s’emparer de Monrovia jusqu’au départ des Sénégalais.
Le Général Mbaye Cissé, de son mètre 88 et d’une limpide noirceur, est aussi l’auteur des ouvrages « Jambaar 1960-2010 » (paru en 2010) et « Opération Fodé Kaba II, des Jambaar dans le vent » (2015). Des productions qui retracent la belle odyssée des militaires sénégalais. Procédant par reconstitution, il a emprunté aux matériaux des historiens pour assouvir cette passion d’écriture. Avec surtout un « devoir » de raconter ces « belles histoires », étant entendu qu’il a noté un « déficit de retour d’expérience » dans les opérations menées. Pour lui aussi, la « mémoire des Armées doit être conservée et solidifiée par le legs des anciens ». « Si nous ne transmettons pas notre histoire, nous deviendrons étrangers à nous-mêmes, à l’histoire de notre Armée or, ce qui fait que nous aimons notre Armée, c’est son passé glorieux », explique-t-il.
Dans les tranchées en Casamance
Mbaye Cisse est aussi titulaire, au civil, d’un certificat de maîtrise es-lettres (option philosophie) et d’un certificat d’études supérieures de psychologie et de sociologie obtenus en 1990 à l’Université Cheikh Anta Diop. Mais aussi d’un master II en relations internationales (option droit public-sécurité-défense) à l’Université Paris II Panthéon Assas en 2007.
Aussi, est-il lauréat de nombreux prix dont celui du Centre d’études stratégiques pour l’Afrique (mars 2010) dénommé prix du Général Carlton W. Fulfod Jr. Ou encore le Prix du Collège interarmées de défense (Cid-Paris 2006. Il a été également lauréat du 1er prix scientifique, en 2007, (catégorie master II) de l’Institut des hautes études de la défense nationale (Ihedn) de Paris pour son travail consacré aux relations sino-africaines, à l’unanimité du jury. Il a raflé également les prix du Chef de l’Etat du Sénégal du concours de poésie internationale consacrée aux Tirailleurs Sénégalais et le prix documentaire 2010 du Chef d’Etat-major général des armées pour la recherche militaire.
La carrière du jeune officier sera ponctuée, comme celle de la plupart de ses collègues, de séjours entre la Casamance et la base arrière. Pour l’artilleur, la présence sur le terrain est indispensable eu égard à l’utilité de la batterie 105 Hm 2Alfa.
Mais très vite, la carrière bascule avec les fonctions d’aide de camp qu’il aura à assumer d’abord auprès de l’Igfa le général Amadou Tidiane Dia (2000-2001), mais aussi du Force commander de la Mission des Nations Unies au Congo (Monuc, 2001-2002), le Général Mountaga Diallo. Il était déjà lié à ce dernier, artilleur comme lui, depuis la première guerre du Libéria. Il parle du défunt Général, premier Officier Général sénégalais à diriger une force onusienne, avec déférence. Et retient surtout de lui les qualités d’un chef. : « Il était un homme courageux, d’un sens militaire très élevé. Il était surtout excellent dans le domaine politico-militaire. Il a été décisif dans la résolution de nombreuses crises en République démocratique du Congo (Rdc). Il était un travailleur infatigable qui s’est énormément donné dans de nombreuses négociations au Congo comme au Rwanda ».
Le Général Cissé retrouvera son école, Enoa, entre 2003 et 2006 pour y assumer les fonctions de directeur de promo et de chef de la cellule tactique. Un retour aux sources qui sonne comme un sacerdoce pour l’officier au commerce facile qui compte donner à ces jeunes ce qu’il a reçu des anciens. « Quand j’y suis retourné, je me suis dit, en mon for intérieur, que je ne ferai pas moins que ce que j’ai reçu durant ma formation », se remémore Mbaye Cissé. C’est à l’Enoa que le « caractère est forgé », mais aussi que la « perception qu’on est appelé à commander » prend forme. L’Enoa est aussi une « culture cosmopolite » avec dix Sénégalais et dix étrangers dans sa promotion d’élève-officier. Pour lui, il sera, tout comme les membres de sa promo, à jamais redevable à l’Enoa où il y avait une équipe « hyper-choc » dans l’encadrement, avec notamment le défunt Gormack Niang comme chef de section, le rugueux Balla Keïta comme directeur de promo et le teigneux Colonel Boissy comme directeur. Ces trois officiers ont la particularité d’appartenir à l’arme commando. Se rappelant des épreuves physiques, il répète encore comme un automate les mots de ralliements du général Balla Keïta poussant à la « volonté, courage, goût de l’action, discipline ». Le civil sort de cet antre métamorphosé et complètement endoctriné à la « bonne cause ».
Savoir pour mieux servir
Titulaire du Brevet de l’enseignement militaire supérieur au collège interarmées de défense, l’ex-École de guerre de Paris en 2007, Mbaye Cissé prendra les rênes du Bataillon artillerie (2007-2009). Là, également, il passera plus de la moitié de son commandement à Oussouye, dans le secteur 51. Tout heureux que ce « séjour ait été couronné de succès vu qu’il n’y eut pas d’incidents ». Et mieux, des actions civilo-militaires ont été développées avec la bénédiction du Roi d’Oussouye ». Á son initiative, un système de casse-croûte sera institué pour les élèves qui, en allant aux cours le matin, passaient prendre du pain tartiné de chocolat. Tout comme la cérémonie de levée des couleurs à laquelle assistait une partie de la population, se rappelle-t-il. Le souvenir est aussi celui de l’engagement de ses hommes, les Artilleurs à qui il rend hommage.
Mais la Casamance a surtout été un « théâtre de vérité » pour Mbaye Cissé. Une épreuve qui a permis à l’« Armée sénégalaise d’être à la hauteur à tous points de vue puisqu’ayant réussi à préserver l’intégrité du territoire national ». Saluant également la posture et l’engagement des militaires qui n’ont « jamais hésité à aller jusqu’au sacrifice suprême ». Un brin de tristesse l’habite encore quand il évoque la perte de camarades comme ce fut le cas à Madina Mancagne, l’équipe Gasri. Ou encore le décès de Gormack Niang. Aussi, trouve-t-il « responsable et bonne », la posture adoptée par l’Armée même en période d’accalmie. L’adaptation n’est-elle pas d’ailleurs une attitude militaire ?
Le retour aux veilles amours se lit pour ce fils de gendarme dans les entrailles des casernes où il a grandi. Il n’a jamais vécu dans une enceinte civile hormis l’intermède de la période universitaire. Mbaye Cissé était donc « formaté militaire » dès son jeune âge. Il n’est pas devenu gendarme comme le souhaitait le père, mais la mère était toute heureuse de le voir réussir au très sélectif concours du Prytanée militaire de Saint-Louis, sans même en comprendre les enjeux. Á ce père, aujourd’hui à la retraite, il rend hommage pour « la discipline et la rigueur qu’il a inculquées à ses enfants ».
Le désormais Général de corps d’Armée a commandé, entre 2016 et 2019, la zone militaire n°2 (Saint-Louis, Louga, Matam), représentant un tiers du territoire national, avec des implications frontalières. Sur ce commandement, il relève le « bon niveau de coopération avec les autorités mauritaniennes avec des rencontres régulières ». Mais aussi les « interactions avec les autorités administratives, coutumières et religieuses ». Et le caractère « républicain » des Saint-Louisiens.
Á l’heure des conflits asymétriques et de l’actualité liée au terrorisme, le général Mbaye Cissé a « assuré au Centre des hautes études de défense et de sécurité (Cheds) qu’il a commandé une montée en puissance pour mieux le positionner dans le domaine de la recherche, des publications et de la formation ». Les choses étaient claires dans sa vision avec la mise en place des « programmes pour les jeunes, les femmes tout en les articulant autour des questions de gouvernance, paix, sécurité ». Mais aussi en direction des élus, des députés…
Sa nomination à la tête des Armées le met face à d’autres défis. Au Prytanée militaire de Saint-Louis, sa devise d’enfant de troupe était « savoir pour mieux servir ». Ouvrez le ban ! Le Général est prêt à servir au plus haut niveau au quartier Dial Diop, siège de l’État-major des Armées.