L’auteur, qui est de l’ethnie peule, est un Grand Homme de culture, à la fois, Ecrivain, Historien, Ethnologue, Poète et Conteur ; il est né au Mali en 1900 et décédé à Abidjan (Côte-d’Ivoire) en Mai 1991.Il a donc pratiquement traversé le 20ème siècle.
HOMMAGE A AMADOU HAMPATE BA
L’auteur, qui est de l’ethnie peule, est un Grand Homme de culture, à la fois, Ecrivain, Historien, Ethnologue, Poète et Conteur ; il est né au Mali en 1900 et décédé à Abidjan (Côte-d’Ivoire) en Mai 1991.Il a donc pratiquement traversé le 20ème siècle.
Il a consacré sa vie à la diffusion de la Culture peule et des Traditions Africaines; il fut l’un des premiers Intellectuels Africains à recueillir auprès des Sages, tous ces trésors de la littérature orale traditionnelle, enfouis dans les contes, récits, fables, mythes et légendes, qu’il a su transcrire et expliquer avec talent et inspiration, au point d’être considéré comme celui qui a fait renaître la « Civilisation de l’oralité ouest-africaine »
Tour à tour, chercheur, dès 1942, à l’Institut Français d’Afrique Noire de Dakar, et Membre du Conseil Exécutif de l’UNESCO, où il lança, en 1962, son fameux cri d’alarme devenu célèbre : « En Afrique, quand un Vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ».
Voulant signifier, par là-même, l’extrême fragilité de la Culture Ancestrale Africaine ; si Hampathé BA a privilégié le genre littéraire du conte pour exprimer, en français, l’essentiel de sa pensée, à côté de ses écrits historiques, ou des essais religieux, tel que « Jésus vu par un Musulman », voire, de ses Mémoires publiés en France, à partir de sa mort en 1991, c’est parce qu’il a compris deux choses.
Tout d’abord, l’importance du conte dans la Sagesse Africaine, où le conte constitue un instrument pédagogique de haute portée, mis à la disposition des « Messagers du Savoir caché », toujours à la recherche d’un esprit fertile et d’un cœur humble, à doter de cette miraculeuse fortune que le Possesseur peut entièrement dépenser, sans arriver à l’entamer.
Ensuite, le choix du conte s’explique par le fait que Hampaté BA pense que la Vraie Sagesse doit s’exprimer par l’intermédiaire du langage allégorique, d’une façon générale, langage dont le conte constitue un cas particulier en Afrique Noire traditionnelle.
Il s’y ajoute que l’auteur de « KAÏDARA » est de la génération des Africains qui avaient pour projet de faire connaître l’Afrique Profonde et Eternelle, au Monde entier, et en particulier à l’Europe, dans cet esprit qui a toujours animé la pensée de Léopold Sédar SENGHOR, sur l’Universalisme.
Ainsi, il visait donc une double réussite :
1/ Exprimer, avec exactitude, l’essentiel de la Culture Africaine, c’est-à-dire, l’Esprit de sa Sagesse ;
2/ Réussir à faire dire toute cette spécificité culturelle, par l’utilisation de la langue française.
Il y est parvenu : parce qu’il est un « Grand Sage Africain », et un éminent « Usager de la langue française » : tout ce qu’il a écrit le montre et le démontre.
Ces contes l’attestent. Et, parmi ces contes, il avait, nous semble-t-il un faible pour « KAÏDARA », comme si la valeur symbolique de ce conte permettait de saisir l’essentiel de sa Philosophie.
De quoi parle « KAÏDARA » ?
Il s’agit d’un conte qui se déroule selon les phases significatives d’une initiation dont l’ensemble du texte nous révèle le Mystère de l’existence et/ou l’angoisse d’être tout simplement un Homme.
Ce conte peul, qui fut raconté à l’auteur dès sa plus petite enfance, est un enseignement par symboles et par paraboles. Il est à la fois futile, utile et instructeur comme l’écrit l’auteur.
Futile : il l’est lorsqu’il est raconté comme une histoire fantastique aux enfants.
Utile : il l’est lorsqu’on le déroule comme un passe-temps agréable devant les fileuses de coton pendant les longues nuits de l’hiver ; et, pour « les talons rugueux ou les nés vers » qui attestent ainsi le grand nombre d’années qui auraient dû être consignés sur les registres de l’état-civil, c’est une véritable révélation.
Instructeur : « KAÏDARA », l’est aussi, car c’est l’histoire de trois hommes qui sortent un beau jour de leur maison, se rencontrent à un carrefour et se laissent entraîner dans le plus invraisemblable des voyages souterrains, et ce, sur la seule suggestion d’une voix invisible. Ainsi, commence l’aventure de nos trois héros, entreprenant une quête dont le but est la réalisation pleine de l’individu parvenu à percer le « Mystère des choses et de la vie ».
Au cours de ce « voyage d’intériorisation », ils rencontrent des évènements ou des animaux dont chacun est un symbole à déchiffrer, ou un miroir qui renvoie à chacun de nos héros,sa propre image, à moins qu’il ne s’agisse d’un enseignement dispensé sur leur chemin et interprétable en vue de son application dans la vie de tous les jours.
Il y a, ainsi, onze étapes à franchir avant d’arriver au cœur du Pays de KAÏDARA, celui qui les attire et dont ils entendent et apprennent le nom, au fil des épreuves initiatiques.
Lorsque nos trois héros atteignent le cœur du Pays de KAÏDARA, c’est à cet instant que « KAÏDARA, le Dieu de l’Or et de la Connaissance » à la fois, lointain et proche, leur dévoile certains de ses secrets, et met à leur disposition, pour le retour, de l’or, c’est-à-dire, le métal le plus précieux, qui est un moyen de puissance aussi bien matérielle que spirituelle. Il faut souligner que le chemin du retour vers le monde habituel des hommes, est la phase la plus importante du voyage de nos trois héros : des épreuves particulières et déterminantes les y attendent, liées qu’elles sont à l’usage que chacun fera de son or.
Parmi les trois héros de ce conte, seul Hammadi franchira les épreuves avec succès, grâce aux conseils d’un « Petit Vieillard en haillons », qui n’est autre que KAÏDARA, lui-même, déguisé de la sorte, et auquel il aura accepté de donner son or, en échange de son enseignement.
Tandis que ses deux compagnons ne termineront pas leur voyage : ils se sont trompés de quête, car c’était l’or seulement qui les intéressait, ils vont donc périr pour n’avoir pas compris que l’or est le socle du savoir, et que si l’on confond le savoir et le socle, le socle tombe sur vous et vous anéantit.
Dans la culture traditionnelle africaine, l’Homme est considéré comme pouvant vivre selon trois états :
-un état grossier, tout extérieur, appelé « écorce » ;
-un état médian, déjà plus affiné, appelé « bois » ;
-un état essentiel, central, appelé « cœur ».
L’un de nos deux perdants sera jeté comme l’écorce, l’autre brûlé comme le bois.
Finalement, Hammadi, le victorieux, qui représente le cœur, bénéficiera de son propre voyage, mais également, de celui de ses deux compagnons, récupérant et l’écorce et le bois, reconstituant ainsi, en lui, « l’arbre de la connaissance ».
A ce propos, écoutons, le « Petit Vieillard en haillons », donc KAÏDARA, s’adressant au victorieux dans le conte initiatique rapporté par Amadou-Hampaté BA
Hammadi ! tes deux compagnons ont choisi des fins graves : la fortune et le pouvoir. Et toi tu as choisi « la vérité qui est le savoir ; dans le fond du savoir tu as trouvé pouvoir et fortune que convoitaient tes « amis qui en furent épuisés ».
Ainsi, Hammadi reste le seul à posséder l’étoffe de l’initié.
L’auteur, pour illustrer l’attitude de Hammadi, aimait évoquer la navette du tisserand, dont le métier composé de trente trois pièces, est lié au symbolisme de la « Parole créatrice », se déployant dans le temps et dans l’espace.
La vie s’appelle « lâcher » disait Hampaté BA, en écho à une parole de son propre Maître spirituel Thierno Bocar, reprenant le chant traditionnel peul attribué à la navette du tisserand. Peut-on mettre en perspective la Sagesse peule et toute la littérature universelle sur la notion de sagesse et d’initiation ?
Dit autrement, quelle est la portée universelle de ce conte, qui met en évidence la supériorité du savoir sur la fortune et le pouvoir ?
Il faut rappeler ici la quête du « Graal » dont parlait toute la littérature de la fin du Moyen-âge, en particulier sous la plume de Chrétien de Troyes et de Guillaume de Dole : c’est une quête de ce qu’il y a de plus universel et éternel ; c’est la manifestation du sacré et du divin.
On peut donc se demander ce qui rattache en définitive le conte de Hampaté BA à la Sagesse Universelle et à tous les ouvrages connus à ce sujet : de Platon à aujourd’hui, en passant par Dante Alighieri avec sa « divine comédie » et l’écrivain anglais John Milton avec son poème « le Paradis perdu » poème où il évoque deux épisodes de la Bible que sont : la chute de l’ange déchu, Satan et le péché originel commis par Adam et Eve ?
Réponse, c’est ceci : le thème de la quête, la notion de voyage, la notion d’épreuves à subir, la notion d’étapes à franchir, l’importance de la connaissance et du savoir, l’importance du langage et des symboles, l’importance de la rencontre, l’importance de l’intersubjectivité dans la quête de la connaissance, l’opposition entre apparence et réalité etc…
On retrouve tous ces ingrédients narratifs dans le récit initiatique peul KAÏDARA rapporté par Hampaté BA : à la vérité, c’est par là que ce grand conte africain rejoint la « Littérature Universelle ».
Pour conclure et achever ici nos réflexions, il faut dire que dans toutes les cultures et sous toutes les latitudes, l’Homme est à la recherche de lui-même, et des fondations ultimes de son existence, c’est-à-dire Dieu, et l’âme humaine, dans ce qu’elle a d’universel, d’intemporel et d’éternel.
La Sagesse est l’objet de la quête des ultimes raisons de vivre de l’être humain, qui passe par l’initiation, qui n’est rien d’autre que la quête du sens, par-delà les sens et c’est sur ce thème de l’initiation et de la sagesse que toutes les cultures se rencontrent et retrouvent leur unité.
C’est ce que nous montre la lecture des contes de Hampaté BA, dont, très précisément, KAÏDARA constitue le moment culminant vers la Sagesse et vers l’Universalité. On pourrait dire avec l’auteur que c’est en s’enracinant dans sa spécificité ethnique que l’on accède le plus humainement et le plus efficacement à l’Universalité et à l’Humanité.
Montaigne ne disait-il pas que chaque homme porte en lui-même la forme entière de l’humaine condition ? C’est à cette dimension de ce conte qu’il s’agit de rester plus particulièrement attentif.
Telle est la leçon ultime qu’a voulue nous transmettre, en conteur talentueux et inspiré, notre Sage Peul de l’Afrique Noire Francophone, qu’est Amadou Hampaté BA.
Seydou KALOGA
Avocat au Barreau de Paris