Malgré les difficultés, le président turc est arrivé en tête du premier tour de l’élection présidentielle, car il a su incarner le sentiment d’une fierté nationale retrouvée en se présentant comme un continuateur des principes fondateurs du kémalisme, analyse l’historien Olivier Bouquet, dans une tribune au « Monde ».
On explique ce résultat comme l’effet d’une « démocrature » instaurée depuis le coup d’Etat manqué de 2016. On répète qu’Ankara joue contre ses intérêts. On est tenté de penser à la place de la Turquie. Comprend-on ainsi pourquoi 26 millions de Turcs se sont déplacés pour voter en faveur d’Erdogan, alors que tout semble aller mal, qu’ils sont nombreux à ne pas pouvoir boucler leurs fins de mois et que le tremblement de terre a illustré les impasses de la gouvernance du Parti de la justice et du développement (AKP) ? Non.
La coalition au pouvoir est arrivée en tête parce qu’Erdogan a su articuler son bilan à une projection. Je le constatais encore le 14 mai à Erzurum, en Anatolie orientale, où je me trouvais et où le président a obtenu plus des deux tiers des suffrages : le pays s’est enrichi ; partout des routes et des hôpitaux, partout des parcs et des écoles. Mais surtout parce que le président islamiste a su incarner l’un des principes fondateurs du kémalisme : « heureux celui qui se dit turc », en y ajoutant le bonheur de se proclamer musulman.
L’erdoganisme est un postkémalisme. Se vouloir occidental, c’était craindre de ne l’être jamais assez. Vouloir rejoindre l’UE à tout prix, c’était prendre le risque de ne jamais être accepté comme un Européen et d’être un peu moins turc en devant partager la souveraineté nationale. Dont acte.