Dans l’ombre du Président : le discret Pap Ndiaye quitte le ministère de l’Education

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Portrait de Pap NDIAYE - Ministre de l'éducation de la République de France © Malick MBOW
Portrait de Pap NDIAYE – Ministre de l’éducation de la République de France © Malick MBOW
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Pap Ndiaye, ministre de l'Éducation nationale, le 11 juillet 2023 à l'Assemblée nationale
Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale, le 11 juillet 2023 à l’Assemblée nationale 

© AFP – Geoffroy VAN DER HASSELT

Sa nomination au poste stratégique de ministre de l’Éducation avait fait grand bruit, à droite où on le qualifiait de « wokiste », et à gauche où l’on était intrigué par ce profil atypique. Un an après, il quitte son ministère en ayant déçu ses détracteurs comme ses soutiens.

Sur les 27 membres du gouvernement Borne nommés en mai 2022, il avait attiré l’attention un peu plus que les autres. En lieu et place de Jean-Michel Blanquer, tenant d’une ligne très stricte, notamment sur les questions de laïcité, la nouvelle Première ministre nommait alors Pap Ndiaye : historien, intellectuel noir et progressiste, spécialiste de l’histoire sociale des Etats-Unis et des minorités, dénonçant le déni de la France sur les violences policières… De quoi lui valoir la sympathie (a priori) d’une grande partie de la gauche, et l’hostilité (par principe) de la droite.

« Un homme qui défend l’indigénisme, le racialisme, le wokisme », selon Marine Le Pen. Un homme qui serait là pour « déconstruire l’histoire de France », pour Éric Zemmour. Même la droite dite républicaine l’accusera, via Eric Ciotti, de « complaisances avec le wokisme »Des accusations que le principal intéressé accueillait avec calme, dans un entretien au Monde en juin 2022 : « Ce sont ceux qui prétendent que Pétain a sauvé les juifs français qui sont les véritables falsificateurs de l’histoire de France », estimait-il. La ligne était claire : Pap Ndiaye était là, avec ses idées, et il allait bien falloir s’y faire.

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Pap Ndiaye s’en va quelques jours après avoir essuyé une violente polémique alimentée par les droites après ses propos visant la branche média du groupe Bolloré, en particulier CNews qu’il a qualifiée, mi-juillet, de chaîne « d’extrême droite ». Le ministre n’aura pu que constater la faiblesse de ses soutiens dans son propre camp. Jusqu’à ce qu’Emmanuel Macron concède à le défendre au nom de la « liberté d’expression », quatre jours après ces propos.

Ministre effacé et peu soutenu

In fine, la nomination de cet universitaire aura sonné comme un énième coup politique d’Emmanuel Macron, sans permettre de resserrer les liens avec des enseignants en déshérence et en rupture avec leur tutelle. La faute à beaucoup d’inexpérience et à un chef de l’Etat omniprésent et omnipotent sur l’école.

Rue de Grenelle, Pap Ndiaye a voulu mettre en avant des débats peu évoqués par Jean-Michel Blanquer, comme la mixité sociale, ou tenté une approche différente sur la laïcité. Si la forme avait nettement changé, la feuille de route largement dictée par Emmanuel Macron lui a en effet laissé très peu de place, le chef de l’Etat se réservant la primauté de toutes les grandes annonces, par exemple sur la revalorisation salariale des enseignants en avril.

Idem sur son plan sur la mixité sociale et scolaire : après des mois d’attente, il s’était finalement contenté en mai de donner des objectifs généraux aux recteurs, laissant deviner un manque de soutien politique. Et si le budget de l’enseignement scolaire restera et de loin le premier de l’Etat à 64,2 milliards d’euros en 2024 (+3,9% par rapport à 2023) en raison d’une revalorisation inconditionnelle de la rémunération enseignante, le « pacte » couplée à cette augmentation (hausse supplémentaire de rémunération conditionnée à de nouvelles missions) reste compliqué à comprendre et à mettre en musique.

La crise du recrutement des enseignants est elle aussi loin d’être réglée, malgré le chantier lancé des concours dans le premier degré ramenés à bac+3 contre bac+5 actuellement.

Moins tranchant sur les violences policières

Quelques mois après sa nomination, certaines positions s’étaient largement assouplies. Difficile par exemple de continuer à parler de « violences policières » quand son collègue Gérald Darmanin assure « s’étouffer » en entendant le terme. Pap Ndiaye a donc dû mettre de l’eau dans son vin sur cette question, et il y a tout un monde entre ce qu’il affirmait en tant qu’historien, en 2020, et en tant que ministre, en 2023.

Il estimait ainsi sur France Inter le 4 juin 2020 qu’il était absurde de ne pas comparer les affaires George Floyd et Adama Traoré (une ligne rouge absolue pour la majorité et pour la droite), dans un esprit « critique » pour trouver « des pistes d’améliorations », estimant qu’il existe « un déni en ce qui concerne les violences policières en France depuis longtemps »« J’ai d’autres fonctions actuellement », dit-il trois ans plus tard, en avril 2023. « Chacun a son vocabulaire mais cette question des relations entre la police et la jeunesse se pose en France et dans bien d’autres pays. Ça n’entre pas dans mes fonctions, mais j’ai intérêt en tant que ministre de la Jeunesse à ce que ces relations se passent au mieux. »

En juillet, lorsque les émeutes qui suivent la mort de Nahel soulèvent d’importantes questions éducatives et de discriminations, Pap Ndiaye reste, encore une fois, en retrait.

Une volonté (clivante) d’éviter le conflit

Sur sa compatibilité idéologique avec la gauche, là aussi, Pap Ndiaye a évolué. À Jean-Luc Mélenchon qui saluait sa nomination dans laquelle il voyait « une audace », le ministre de l’Éducation nationale répondait quelques semaines plus tard que « les Insoumis, par certaines de leurs expressions et véhémences, paraissent en situation limite du point de vue de l’arc démocratique et républicain ».

Cette question de l’arc républicain était l’une des obsessions de son prédécesseur, et Pap Ndiaye semble s’être senti obligé de donner des gages sur le sujet, comme pour prendre à contrepied les critiques de l’opposition de droite. Ces dernières ont d’ailleurs peiné à le prendre en défaut sur la question de la laïcité, tout juste ont-ils pu l’accuser de « diluer » la mission du Conseil des sages de la laïcité, créé par Jean-Michel Blanquer. Mais son successeur a simplement étendu ses missions à « la lutte contre le racisme et l’antisémitisme et toutes les formes de haine et de discriminations, l’égalité femme-homme, la promotion du principe de fraternité à l’école », et nommé le président du jury Samuel-Paty à sa tête, pour couper court à toute attaque.

Toujours pour tenter de convaincre ses adversaires qu’il était sur une ligne proche de celle du précédent ministre de l’Éducation, Pap Ndiaye a aussi adopté récemment une attitude qu’il aurait pu avoir, certes un peu forcé par Christian Estrosi : le maire de Nice s’alarmait de prières effectuées par des élèves de CM1 et de CM2 dans des cours d’école de sa ville.

Il saisit la Première ministre, mais c’est le ministre de l’Éducation qui lui répond directement, en se disant exactement sur la même ligne que l’élu de droite. « Fermeté face aux atteintes à la laïcité », lance Pap Ndiaye dans une déclaration commune avec Christian Estrosi, où il annonce « renforcer la coopération » avec la ville « pour que l’École reste préservée de toute influence religieuse. Le principe de laïcité n’est pas négociable dans notre République. »

L’autre adversaire apparent, et plus étonnant, de Pap Ndiaye lors de son passage au ministère de l’Éducation, fut une certaine… Brigitte Macron. Que le Président lui-même l’accompagne en déplacements pour faire les annonces à sa place, passe encore… Mais que son épouse (elle-même ancienne professeure de lettres) prenne des positions publiquement sur les questions d’éducation, de manière plus visible que le ministre en charge du dossier, c’est un autre problème.

Coincé par les choix des autres

Ce fut le cas notamment sur la question de l’uniforme à l’école, une idée que la femme d’Emmanuel Macron a défendue dans le Parisien en janvier 2023, quand Pap Ndiaye ne veut pas en faire une mesure nationale. Il assure ainsi sur BFMTV qu’il « ne veut pas ouvrir ce débat »« Je ne veux pas de loi sur ce sujet, imposer le port de l’uniforme à tous les élèves, c’est non. En revanche les établissements ont toute liberté pour imposer, s’ils le souhaitent, une tenue scolaire. »

Brigitte Macron qui éclipse à nouveau, quelques semaines plus tard, en juin : une adolescente victime de harcèlement, Lindsay, se donne la mort, suscitant une vive émotion nationale. Le ministre de l’Éducation reçoit la famille, mais sans les convaincre de sa volonté d’agir en la matière : l’épouse du Président, elle, les rencontre deux jours plus tard et leur donne l’impression « d’avoir été écoutée ». Pap Ndiaye, là encore, ne peut que suivre le mouvement : il annonce en catastrophe une « heure de sensibilisation » sur le sujet. La mesure est jugée insuffisante par les parents d’élèves et professeurs, et écorne à nouveau l’image du ministre.

Il doit aussi assumer les décisions prises par d’autres : sur la réforme du bac, imposée malgré les protestations du corps enseignant par Jean-Michel Blanquer, dont Pap Ndiaye finira par reconnaître à demi-mot qu’elle a créé plus de problèmes que de solutions (« Cela fait quinze ans que les ministres de l’Éducation nationale parlent de reconquérir le mois de juin, maintenant c’est le troisième trimestre qu’il faut reconquérir », lance-t-il sur France 2) ; ou encore sur le SNU, une autre idée à l’image désastreuse chez les enseignants, porté par Sarah El Hairy et avant elle par Gabriel Attal. Ce même Gabriel Attal qui prend aujourd’hui sa place comme ministre de l’Éducation : plus question d’audace ici, ce qui limite d’autant les chances de déception.

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