Le ministre de l'Education nationale, Pap Ndiaye, le 28 février 2023 à Jarnac (Charente)

Le ministre de l’Education nationale, Pap Ndiaye, le 28 février 2023 à Jarnac (Charente)

afp.com/STEPHANE MAHE

Il existe peut-être un monde parallèle où le passage de Pap Ndiaye au ministère de l’Education nationale est une réussite. Dans notre réalité, les conditions n’ont jamais été réunies pour que l’intellectuel parvienne à s’imposer. Emmanuel Macron en a tiré les conséquences en le remplaçant, ce jeudi 20 juillet, par Gabriel Attal. Lorsque le président de la République le nomme au gouvernement, en mai 2022, il n’ignore rien des particularités du professeur à Sciences Po : spécialiste de l’histoire des Etats-Unis et des questions de discrimination, il est engagé contre le racisme et a milité pour le Conseil représentatif des associations noires (Cran).

Dans le débat virulent qui oppose la pensée « woke » aux défenseurs de l’universalisme, il a pris des positions en décalage avec le courant social-démocrate auquel il appartient. Il défend par exemple la notion de « racisme structurel » concernant la France. L’opposé presque chimiquement pur de Jean-Michel Blanquer, son prédécesseur. Et le symbole plaît au chef de l’Etat, qui y voit une représentation de son « en même temps » et de « l’égalité des chances », comme il l’affirme dès le mois de juin. Emmanuel Macron commet là une première erreur : il sous-estime la vigueur et la longévité du mouvement qui s’enclenche contre son ministre.

La deuxième erreur d’Emmanuel Macron tient à une mauvaise appréciation du tempérament de Pap Ndiaye. Le président de la République pense en faire son André Malraux, son intellectuel organique théorisant la dimension progressiste du macronisme. Pas de doute, l’historien est un vrai intellectuel, avec la hauteur de vue et la subtilité qui va avec. Mais le débat politique ne se mène pas à fleurets mouchetés. Trop « droit dans ses bottes », Ndiaye peine dès qu’il doit répondre à une polémique. La verve et le goût du sang lui manquent. Sur la question des abayas, ces robes longues portées dans les pays où un islam rigoriste est pratiqué, et qui font irruption dans les lycées français, le ministre louvoie, refuse de trancher. Les chefs d’établissement sont sommés d’apprécier eux-mêmes le caractère religieux ou non du vêtement. Quant à la polémique sur ses propos sur Cnews, qu’il qualifie de chaîne « très clairement d’extrême-droite », il suffit de regarder la vidéo de son passage sur Radio J pour constater que le propos n’est pas préparé. L’intellectuel répond en toute sincérité à la question posée et relancée. Une erreur qu’un vrai politique n’aurait sans doute pas commise.

Anti-Claude Allègre

Comme un vrai politique ne se serait pas laissé torpiller sa seule réforme d’ampleur. En février 2023, il annonce vouloir réformer la mixité scolaire, et mettre davantage à contribution les établissements privés, structurellement favorisés. Deux mois plus tard, le projet est vidé de toute ambition. Les mesures coercitives disparaissent. Le 11 mai, une heure après avoir annoncé aux recteurs que son plan mixité était reporté à une date ultérieure, Pap Ndiaye reçoit L’Express pour évoquer ses engagements intellectuels de jeunesse. A la sortie, un de ses conseillers nous interpelle, ironique : « Alors, vous avez dépassé le stade de l’école élémentaire ? » Trop décalé, sans doute, le ministre inspire un respect fluctuant à ses équipes.

Loin d’avoir l’énergie manœuvrière d’un Claude Allègre, Pap Ndiaye avait semblé finir par s’accommoder de la situation. « Ça ne m’intéresse pas de laisser mon nom sur le mur des réformes », expliquait-il récemment à L’Express. Il confiait être touché par la campagne menée par la droite et l’extrême-droite contre lui : « J’ai quand même l’impression d’être particulièrement visé. »

Au fond, Pap Ndiaye aurait pu être un bon ministre par temps calme. Dans la France des Trente glorieuses, sa pondération et son élégance auraient fait merveille. Dans le contexte brûlant de la France de 2023, il ne faisait pas l’affaire.