Batiactu en a profité pour donner la parole à Sylvie Faure, actrice de la féminisation du bâtiment en France. Elle a analysé le sujet de la pandémie, des pénuries de certaines matières premières mais aussi de la réalité que connaissent les femmes dans le secteur, tout en donnant sa vision du monde de demain, plus durable et connecté.
Batiactu : Qu’est-il ressorti de cette réunion que vous avez tenue en mars ? En quoi la crise sanitaire a-t-elle bouleversé les méthodes de travail ?
Sylvie Faure : Cette réunion avait pour but de s’exprimer sur la façon dont on a chacune vécu la situation du covid-19 dans nos entreprises respectives, et parler des solutions qu’on a trouvées pour y faire face. Parmi la quarantaine de participantes, Anne-Sophie Panseri, directrice générale de Maviflex, Sylvie Guinard, à la tête de la PME experte en conception et construction de machines spéciales d’emballages souples Thimonnier, et Marie-Hélène Pons, dirigeante de la société d’installations de chauffage Sogics, ont apporté leur témoignage. Nous avons constaté que nous avions rencontré les mêmes problèmes mais n’avions pas développé les mêmes solutions. Ce qui en est ressorti, c’est que les salariés ont été porteurs de solutions. Si les entreprises ont souvent des problèmes de communication descendante, cette crise nous aura réappris à communiquer. Les salariés absents, en chômage partiel ou en télétravail, ont dû être remplacés par des personnes qui occupent des postes d’encadrement. Ceux-ci sont allées sur le terrain, ce qui a été instructif.
Batiactu : Justement, comment cela s’est passé pour les encadrants, qui doivent maintenant faire respecter de nouvelles règles de sécurité ?
Sylvie Faure : C’est psychologiquement compliqué pour eux. Certains avaient peur que la crise sanitaire se transforme en crise économique. La sécurité a toujours été une priorité dans le BTP mais la crise ajoute une dose supplémentaire de contraintes, qui entraînent une perte de temps et débouchent sur plus de contrôle. Tout le monde a néanmoins joué le jeu et les ouvriers ont pris soin les uns des autres sur les chantiers. On a été, malgré tout, un secteur privilégié car on nous a autorisés assez rapidement à reprendre les chantiers. Dans mon entreprise, il a fallu fournir de nouveaux cabanons pour les employés. La pause déjeuner se fait en petit comité. On maintient l’activité, on ne peut donc pas se plaindre. La filière de la construction est habituée aux coups durs, aux retards et à un certain niveau de sécurité. Nous avons été bien entourés, par nos fédérations départementales, régionales et nationale et le guide sur le covid de l’OPPBTP a dégrossi notre boulot.
« Quand cette crise s’arrêtera, notre façon d’être, professionnelle et personnelle, aura, je pense, profondément changé »
Batiactu : Vous avez évoqué le fait que, durant cette réunion, des dirigeantes ont exposé les solutions qu’elles avaient trouvées. À quelles solutions pensez-vous ?
Sylvie Faure : Les solutions étaient davantage communicationnelles que techniques. Une cheffe a, par exemple, demandé à ses ingénieurs de descendre dans les ateliers, pour qu’ils voient la réalité du terrain et que cela leur serve à l’avenir. Le télétravail s’est imposé et certains dirigeants d’entreprise, qui étaient auparavant contre, ont compris qu’ils pouvaient faire confiance en leurs employés. Il y aussi eu une vraie solidarité entre entreprises et une cohésion entre salariés. Lorsque s’est posée la question du manque de masques au printemps 2020 pour les hôpitaux, certains n’ont pas hésité à donner leurs équipements. Quand cette crise s’arrêtera, notre façon d’être, professionnelle et personnelle, aura, je pense, profondément changé. Nous aborderons les problèmes différemment.
Batiactu : Certaines cheffes ont-elles émis des inquiétudes quant à la situation actuelle, entre la pandémie et les pénuries qui touchent certaines matières premières ?
Sylvie Faure : Oui, on a vécu dans la peur pendant un temps. Les chantiers ont pris du retard et les clients mettent des pénalités. Un gros travail de négociation est d’ailleurs engagé pour que ces pénalités ne soient pas appliquées. Les équipements supplémentaires contre le covid ont aussi engendré des surcoûts. Cette réunion a eu le mérite de permettre aux cheffes d’entreprise de se parler avec sincérité. Certaines ont réalisé qu’elles n’étaient pas seules à vivre ces difficultés. Quant aux pénuries, on en entend parler mais le département n’est pas trop en souffrance. Ça risque sûrement de se durcir à la rentrée.
« Nous, les femmes, avons une sensibilité qui permet de dire les choses clairement »
Batiactu : Une quarantaine de femmes se sont retrouvées à votre réunion. La féminisation au sein du secteur est lente mais progressive. Quel constat dressez-vous, en tant que femme dans un secteur essentiellement masculin ?
Sylvie Faure : Cela fait trente ans que je suis dans le métier. L’époque évolue, les femmes obtiennent des postes avec plus de responsabilités, ce qui libère la parole. Je ne me sens pas à l’aise avec les catégories, je n’aime pas créer des clans. Je pense tout de même que nous, les femmes, avons une sensibilité qui permet de dire les choses clairement. On n’a pas de temps à perdre. Mais en tant que femme, on rame dans le BTP. On doit faire nos preuves deux fois plus que les hommes. Le nerf de la guerre, c’est le terrain, là où il y a très peu de femmes. Après avoir fait leur apprentissage, elles finissent souvent par travailler dans des bureaux d’étude. La production reste majoritairement un métier d’homme, et les chefs d’entreprise sont à 90% des hommes. Bien qu’ils soient très entourés de femmes avec des postes à responsabilité, ça reste compliqué. De mon côté, il a fallu que je tape plusieurs fois du poing sur la table pour qu’on m’écoute. Il y a encore du chemin à faire, ce n’est pas gagné mais il y a tout intérêt à travailler ensemble. On est encore loin, à compétence, expérience et ancienneté égales, d’avoir le même salaire.
« On est encore loin, à compétence, expérience et ancienneté égales, d’avoir le même salaire »
Batiactu : La formation pourrait-elle être le moyen d’encourager plus de femmes à choisir le terrain ?
Sylvie Faure : C’est compliqué de travailler sur les chantiers, même si le poids du sac de ciment a été divisé par deux. On n’est pas taillées comme les hommes. Tout n’a pas été mis en place pour que la femme puisse être l’égale de l’homme mais de nouvelles technologies arrivent et pourraient bien faire changer les choses. L’exosquelette pourrait être une solution, tout comme les nouveaux matériaux, plus légers. La différence se fait moins dans les bureaux.
Batiactu : En parlant de nouveaux matériaux, observez-vous une volonté de la part des entreprises de répondre aux enjeux environnementaux ?
Sylvie Faure : Il est clair que nous devons adopter une vision écologique et construire différemment, avec des matériaux parfois plus légers. On n’est pas tous impliqués de la même façon dans l’écologie, cela dépend notamment de la taille de la structure et le type d’activité. Je crois que, d’ici quelques années, on aura de plus en plus de maisons en bois, isolées en chanvre. On peut allier le béton et des matériaux biosourcés. À ceux qui avancent que certains matériaux pourraient ne pas avoir la même longévité que des matériaux dits classiques, je répondrais que cela créera du travail dans la rénovation. Ce sont les générations futures qui nous apprendront le bâtiment de demain, avec des matériaux durables et des constructions plus écologiques. Revenir aux bases peut se relever compliqué. Je cherche depuis deux ans des formations sur des techniques de façade de revêtement à la chaux, c’est ce qu’on faisait cinquante ans auparavant. Mais il existe très peu de formations en France et elles sont souvent coûteuses.
Batiactu : Outre les formations destinées à apprendre des techniques traditionnelles, qu’est-ce qui doit être fait pour améliorer la formation dans notre pays ?
Sylvie Faure : Il faut coacher les chefs d’entreprise sur le lâcher-prise. Ils doivent apprendre à faire confiance en leurs salariés. Les techniques managériales doivent évoluer, mais ce n’est pas donné à tout le monde.