«LA FRANCE VIT ACTUELLEMENT UN CAUCHEMAR EVEILLE EN AFRIQUE…»

Date:

Barka Bâ© Malick MBOW

Barka Ba journaliste, analyste politique et spécialiste des questions internationales s’est exprimé sur la situation politique en Afrique subsaharienne, particulièrement à l’Ouest et au Centre, marquée par une série de coups d’État militaires.

Propos recueillis par Youssoupha BA  |   Publication 07/09/2023

Barka Ba journaliste, analyste politique et spécialiste des questions internationales s’est exprimé sur la situation politique en Afrique subsaharienne, particulièrement à l’Ouest et au Centre, marquée par une série de coups d’État militaires.

Le Témoin – Le continent africain a été frappé par pas moins de six coups d’État en deux ans. Quelle analyse faites-vous de cette « épidémie » ?

Barka BA – Avec la récurrence des coups d’Etat en Afrique, on semble assister à une sorte de retour du refoulé. Parmi les nombreuses choses par lesquelles on caricaturait le continent, figurait en bonne place la fréquence des coups d’Etat, quelques années après les indépendances. On avait le privilège — si l’on ose dire— de partager ce triste record avec certains pays d’Amérique du Sud adeptes du « Pronunciamiento », c’est-à-dire la prise illégale du pouvoir par une junte de galonnés. Après les années 90, après la période des « conférences nationales » et la vague de démocratisation qui avait soufflé dans une bonne partie de l’Afrique, les coups d’Etat, hormis dans quelques pays, étaient devenus plutôt rares. Les élections, plus ou moins transparentes, étaient devenues le mode le plus fréquent d’accession au pouvoir. Mais, la mauvaise gouvernance chronique notée dans certains pays, la corruption endémique, la pratique malsaine de « capture de l’Etat » par des élites prédatrices, la volonté de confisquer le pouvoir par des artifices juridiques comme le « troisième mandat » dans d’autres ou la fragilité des institutions…tout cela a pu faire le lit de la plupart de ces coups d’Etat, chaque pays ayant évidemment ses spécificités sur lesquelles il serait fastidieux de revenir dans les détails.

Ces putschs sont souvent salués par des populations en liesse. Que signifient ces réactions d’approbation ?

A Bamako, Conakry, Ouagadougou, Niamey ou même à Libreville, on a assisté après chaque coup d’Etat aux mêmes scènes : des foules en délire saluant la prise du pouvoir par les militaires. Même si certaines manifestations de soutiens sont loin d’être spontanées et ont plutôt l’air d’avoir été organisées de main de maitre par des activistes agissant pour le compte des putschistes, force est de reconnaitre que peu de régimes renversés bénéficient d’une base populaire ou d’une adhésion politique susceptibles de mobiliser l’opinion publique contre ces coups d’Etat. A ce niveau, on peut facilement observer le grand décalage qui existe entre les condamnations de principe d’organisations comme la Cedeao ou l’Union africaine qui surviennent après chaque coup d’Etat et les réactions des populations africaines. Avec l’avènement des réseaux sociaux et la polarisation extrême des opinions publiques, travaillées parfois au corps par des officines ayant un agenda caché, les coups d’Etat en Afrique semblent obéir à une sorte de « désirmimétique ». Il est quand même assez symptomatique qu’aussi bien au Mali, en Guinée, au Burkina Faso ou au Niger, ce sont à chaque fois les unités les mieux entrainées et équipées de ces pays qui sont les fers de lance de ces coups d’Etat et installent des transitions calées souvent comme par hasard sur une durée moyenne de 3 ans

Au Mali, au Burkina et maintenant au Niger, les militaires qui ont pris le pouvoir ont réclamé le départ des troupes françaises. Est-ce que nous sommes en train de vivre le début de la fin de la Francafrique ?

La France est en train de vivre un cauchemar éveillé en Afrique et les scénarios catastrophes se succèdent pour l’ancienne puissance coloniale. Le plus surprenant à ce niveau, c’est que malgré les moyens colossaux dont elle dispose en terme de renseignement, la France semble n’avoir pas pu anticiper la plupart des putschs qui l’ont mise dans une situation inconfortable. La volonté de conserver coûte que coûte des emprises coloniales dans certains pays est en total déphasage avec une opinion publique africaine qui n’a pas attendu, comme on le croit assez souvent, la propagande russe sur les réseaux sociaux pour développer un « sentiment anti-français ». Avant Evegueni Prigojine et ses officines, une bonne partie de la jeunesse africaine était déjà sensible aux discours d’un Tiken Jah Fakoly ou d’un Alpha Blondy sur le mode «Armée française, rentrez-chez vous! ». S’il est incontestable que l’intervention française au Mali sous la présidence de François Hollande avait été saluée sur le continent pour avoir aidé un pays en grosse difficulté face à la menace djihadiste, il n’en demeure pas moins que la présence durable de ces mêmes troupes et surtout l’incapacité des régimes en place à venir définitivement à bout de l’hydre djihadiste a pu cristalliser le ressentiment de larges couches de la population. A ce sujet, la France est devenue un bouc émissaire idéal qui permet aux putschistes de Niamey ou Bamako de surfer sur une vague populiste, en occultant leurs propres responsabilités dans cet échec. Pour le cas spécifique du Niger, le Président Bazoum était plutôt sur la bonne voie avec une perspective économique favorable et des succès indéniables enregistrés dans la lutte contre le djihadisme. Cela n’a pas empêché pourtant le chef de sa garde prétorienne de le renverser et de se proclamer calife à la place du Calife

Après l’Afrique de l’Ouest, le centre du continent vient d’entrer dans la danse. Des militaires qui tiennent le pouvoir pour, disent-ils, rétablir l’ordre constitutionnel. Quelles conséquences cette vague kaki peut-elle occasionner ?

Pour l’Afrique centrale, après ce qui s’est passé au Gabon, il est à craindre qu’il y’ait un effet domino. Le régime gabonais partageait beaucoup de traits communs avec certains de ses voisins : longévité au pouvoir, crainte d’une succession dynastique, accusations récurrentes de détournements de fonds publics, absence de transparence dans les élections, entre autres dysfonctionnements de la pratique démocratique. En Guinée équatoriale, Théodore Obiang Nguéma est en place depuis 1979, Sassou Nguesso dirige le Congo depuis 1979, hormis l’intermède avec Pascal Lissouba et au Cameroun Paul Biya est pouvoir depuis 1982. Il est à craindre qu’avec ce qui s’est passé au Gabon et qui est un véritable séisme politique, on assiste à des répliques car il me semble difficile de voir les populations supporter encore longtemps ces anachronismes.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

+ Populaires

Articles similaires
Related

Gabon: l’ex-président Ali Bongo annonce son « renoncement définitif »

L'ex-président gabonais Ali Bongo, déposé en août par une...

Diplomatie : Diomaye Faye aux États-Unis le…

Pour son prochain voyage à l’étranger, le Président Bassirou...
Share with your friends










Submit
Share with your friends










Submit
Share with your friends










Submit
Share with your friends










Submit
Share with your friends










Submit