Six des neuf limites planétaires sont dépassés, et deux autres vont probablement suivre le même chemin.
RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE – La Terre pourrait désormais se situer en dehors de la « zone de sécurité » pour l’humanité. C’est le titre pour le moins alarmiste d’une étude publiée le 13 septembre dans le journal Science. Fruit du travail de 29 chercheurs internationaux et dirigée par la biologiste Katherine Richardson, il s’agit d’une mise à jour des célèbres, et déjà pessimistes, limites planétaires.
Créées en 2009 sous l’impulsion du scientifique suédois Johan Rockström (l’un des auteurs de cette nouvelle étude), les limites planétaires désignent les différents points à ne pas dépasser pour garder la planète dans un état stable et vivable.
Il y a 14 ans, trois limites étaient déjà dépassées : le changement climatique, la perte de la biodiversité et le dérèglement du cycle de l’azote menaçant les écosystèmes marins. Deux autres limites avaient été identifiées mais non mesurées, les pollutions chimiques qui comprennent notamment les microplastiques (aussi appelées « nouvelles entités ») et les rejets d’aérosols dans l’atmosphère.
Une mise à jour avait ensuite été réalisée en 2015, grâce au travail du défunt chimiste Will Steffen (ayant lui aussi collaboré sur la dernière étude). Il avait découvert qu’une quatrième limite était franchie, les rejets de phosphates dans l’environnement.
Plus récemment, en 2022, diverses études avaient démontré que la cinquième limite planétaire (les nouvelles entités), ainsi que la sixième (cycle de l’eau douce) avaient été dépassées. Mais un an plus tard, le tableau continue de noircir.
Les limites dépassées continuent d’empirer
Les chercheurs ont ainsi mis en lumière que « pour toutes les limites précédemment identifiées comme dépassées, le degré de transgression a augmenté depuis 2015. » En gros, la situation s’est encore aggravée pour chaque limite dépassée. Prenons l’exemple de trois d’entre elles.
Du côté de la biodiversité d’abord : le sujet est divisé en deux, avec d’une part, la biodiversité dite génétique, qui rend compte de l’extinction des espèces et de la perte du patrimoine génétique. Aujourd’hui, environ 1/8 des espèces connues sont menacées de disparaître. L’autre partie concerne la biodiversité fonctionnelle, à savoir le degré danger menaçant les écosystèmes. Sur ce sujet, il s’avère que la ligne rouge a aussi été franchie et ne cesse de s’aggraver.
Autre limite dépassée, celle du cycle de l’eau douce. Il y a d’abord l’eau « verte » : « Il s’agit de l’eau présente dans le cycle des végétaux, comme l’humidité des sols », détaille Natacha Gondran chercheuse en sciences et génie de l’environnement. L’autre partie concerne l’eau bleue, que la chercheuse définit comme « les océans, mers et toute l’eau que l’on va pouvoir prélever et consommer ». Pour ces deux éléments, la situation continue empire.
La limite était également franchie, bien plus que ce qui était estimé précédemment, concernant le cycle de l’azote et du phosphore, une autre limite planétaire. Ces deux éléments chimiques sont essentiels au fonctionnement de la vie sur terre. Lorsqu’il y en a trop (à cause des surplus d’engrais qui ne sont pas absorbés par les végétaux), ils dérèglent la nature. C’est notamment ce qui cause les fameuses algues vertes sur nos plages. Mais il y a bien pire.
Bientôt huit limites dépassées
Deux nouvelles limites planétaires risquent ainsi d’êtres bientôt franchies. La première concerne l’acidification des océans. À cause du réchauffement climatique et des émissions de Co2, le PH des océans est modifié, ils deviennent plus acide.
En conséquence, ce sont tous les écosystèmes marins qui sont menacés, comme en atteste le blanchissement des récifs coralliens (qui signifie leur mort). Sur ce point, la limite n’est plus très loin et selon Dominique Bourg, professeur des sciences de l’environnement à l’université de Lausanne : « la limite va être franchie. On en est très proche et les choses sont en train de s’accélérer ».
Une fois franchie, cette limite fait craindre une régression marine, s’alarme le chercheur« La vie marine va s’amenuiser. C’est très inquiétant car pour chacune des cinq grandes extinctions précédentes, la vie s’est effondrée dans les océans puis sur terre. Et la vie marine est indispensable. »
La seconde limite frôlant le dépassement concerne les aérosols présents dans l’atmosphère. Il s’agit de toutes les particules fines en suspension dans l’air, qui favorise les épisodes de pollution dans les grandes villes, donnant l’impression qu’elles sont noyées dans un brouillard épais.
En plus d’être dangereux pour la santé, ces aérosols biaisent le réchauffement climatique. Leur présence limite l’augmentation des températures, mais dérègle le cycle de l’eau, laissant craindre de graves sécheresses. C’est le cas dans certaines régions du monde comme l’Asie du Sud et l’est de la Chine, où la limite planétaire a déjà été franchie.
« La situation est gravissime »
« C’est très effrayant », juge Natacha Gondran. La chercheuse, tout comme Dominique Bourg, fait remarquer qu’une fois la ligne rouge franchie, on ne revient pas en arrière. Si certaines sont dépassées et d’autres en voie de dépassement, il s’agit de limiter les dégâts, pour réduire l’impact des changements qui s’annoncent. Mais pour cela, il ne faut pas agir uniquement sur une limite ; car elles « sont interdépendantes les unes avec les autres », explique le professeur de l’université de Lausanne.
« Des études récentes ont montré qu’une transgression supplémentaire ou plus importante d’une limite planétaire peut modifier les gradients de risque pour d’autres limites », note l’étude. Elle prend pour exemple le réchauffement du climat, troisième cause de la perte de biodiversité. En retour, cette destruction de la biodiversité déséquilibre les écosystèmes, qui aident à capturer le Co2, ce qui aggrave le réchauffement climatique.
Un véritable cercle vicieux dont la Libye, la Grèce ou encore le Brésil ont fait les frais récemment. « Avec ce qui s’est passé cet été, c’est effrayant », s’alarme Dominique Bourg, ajoutant que « les tropiques risquent de ne plus être habitables, on commence à le toucher du doigt. La situation est gravissime. »
Mais tout n’est pas encore perdu. Comme le rappellent sans arrêt le GIEC et l’ensemble des chercheurs, « chaque dixième de degré (ndlr : de réchauffement climatique) compte ». Toutefois, il ne faut pas traîner. « Il est urgent de prendre des mesures très fortes, rapidement », s’exclame Natacha Gondran.
L’horloge tourne ainsi à toute vitesse. L’étude insiste dans sa conclusion sur le besoin de comprendre les liens entre les limites planétaires. Cela permettrait notamment de savoir où se situe le point de non-retour, et connaître quand arrive la fin de l’holocène… Et très probablement de l’humanité.
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