EXCLUSIF SENEPLUS – Avec ces portraits de chefs d’État africains, il opère une rupture artistique par rapport à ses œuvres antérieures. L’hubris de ces dirigeants, leurs égos démesurés, rencontré ici la naïveté politique de l’artiste Africain-américain
L’exposition du peintre Africain-Américain Kehinde Wiley ouverte le 26 septembre dernier au musée du Quai Branly à Paris intitulée « Dédale du pouvoir » ou « Maize of Power » est une glorification d’autocrates et de despotes africains.
Elle se compose de douze portraits de très grands formats de chefs d’Etat africains contemporains : Olusegun Obasanjo. (Nigeria), Alassane Ouattara (Côte d’Ivoire), Paul Kagamé (Rwanda), Denis Sassou-Nguesso (République du Congo), Alpha Condé (Guinée), Faure Gnassingbé (Togo), Sahle-Work Zewde (Ethiopie), Macky Sall (Sénégal), Nana Akufo-Addo (Ghana), Félix Tshisekedi (RDC) et Hery Rajaonarimampianina (Madagascar).
Ces tableaux qui reprennent comme toute l’œuvre du peintre les canons de la portraiture aristocratique, royale et militaire européenne des 17e, 18e et 19e siècle, suggèrent par les pauses, les attributs exhibés et l’éclairage tantôt l’autorité calme, l’audace inspirée, la vision prophétique, la majesté et la grâce au pouvoir. Ils confèrent ainsi à ces chefs d’État africains les attributs qu’ils cherchent à s’octroyer habituellement par la force et par une propagande effrénée, avec la complicité de thuriféraires et de propagandistes rétribués par toutes sortes de rapines et de prébendes.
Pourtant, contrairement aux artistes européens classiques dont il s’inspire, Wiley n’est pas le peintre de cour de ces présidents africains. Ils ne l’ont ni payé ni récompensé.
C’est lui-même qui a initié le projet qu’il a réalisé selon ses propres canons et méthodes, en mettant en œuvre son imaginaire et ses fantasmes.
Ces portraits sont cependant en complet déphasage dans leur signification avec les œuvres antérieures du peintre.
Considérons son « Napoleon traversant les Alpes » de 2005, œuvre iconique, qui est une reconstruction détournée de « Bonaparte franchissant le Grand-Saint Bernard », portrait équestre de Napoleon Bonaparte de Jacques Louis David. La figure héroïque de Napoléon devient sous son pinceau celle d’un jeune Noir quelconque, nommé Williams, habillé en streetwear des ghettos américains : pantalon de treillis, boots Timberland et bandana.
Regardons son portrait du rappeur Ice T de 2005 représenté dans le cadre et la composition de « Napoléon 1er sur le trône impérial » de Jean Dominique Ingres.
Ces œuvres sont éminemment révolutionnaires : elles subvertissent la peinture occidentale classique et la détournent pour montrer et valoriser des personnages d’Africains-Américains ordinaires.
Wiley se préoccupait alors en effet de « placer des jeunes Noirs dans des situations de pouvoir, établie par des sources historiques …Le but de la peinture étant de s’en prendre à l’histoire de la création d’images, à l’histoire du pouvoir dans la création d’images et façonner un espace pour les gens qui qui n’occupent pas d’ordinaire cet espace… ».
Son portrait du président Barack Obama qui date de 2018, qui l’a consacré comme l’un des plus grands noms de la peinture contemporaine, est naturellement une représentation du Noir au pouvoir. Mais aucunement dans le mode hagiographique : ici aucune emphase, aucune référence à une grandeur surhumaine. Obama qui pose en tant que 44e président des Etats-Unis d’Amérique, est représenté assis sur une simple chaise, le buste légèrement penché en avant, les bras croisés sur les jambes, dans une pause naturelle. Seule touche excentrique, le fond touffu de fleurs de lys, de chrysanthèmes et de jasmins.
Obama avait en effet exigé de l’artiste qu’il soit représenté avec sobriété.
« Je lui expliqué », rappellera-t-il plus tard, « qu’il devait se retenir…que j’avais assez de problèmes politiques, pour qu’il me représente en Napoléon… »
Hubris et culturalisme
Avec ces portraits de chefs d’État africains, Kehinde Wiley opère une rupture artistique par rapport à ses œuvres antérieures, particulièrement par rapport à son portrait du président Obama.
Aucune subversion ici, aucun second degré, aucun détournement de sens révolutionnaire. C’est plutôt l’emphase dans la mise en scène et la glorification du sujet représenté.
C’est que l’hubris de ces chefs d’État, leurs égos démesurés, leur désir pathétique et souvent criminel de capturer et de représenter le pouvoir totalement et sans partage, ont rencontré ici la naïveté politique de l’artiste Africain-américain. Celui-ci est visiblement inspiré par le culturalisme nationaliste noir, cet avatar idéologique de la Négritude, selon lequel le Noir au pouvoir, c’est l’avènement du Black Power, l’apothéose de la lutte de libération Noire.
La Dédale du pouvoir, un faux-pas
De ce fait, au plan artistique, la Dédale du pouvoir représente un faux-pas dans l’œuvre de Kehinde Wiley.
Les grands artistes se fourvoient quelques fois en commettant des œuvres antithétiques par leur formes ou leurs sens à leurs réalisations antérieures et à leur crédo artistique.
Ceci n’enlève cependant rien à l’importance de cet artiste qui reste l’un des plus grands peintres contemporains, sans doute l’un des plasticiens Africains-américains les plus significatifs de l’histoire avec Jacob Laurence et Jean-Michel Basquiat.