RAPPEL LEOPOLD SENGHOR : « Au nom des peuples souffrants »

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L'aéroport Léopold Sédar Senghor se soumet à un nouvel exercice de certification
L’aéroport Léopold Sédar Senghor se soumet à un nouvel exercice de certification

Depuis maintenant deux mois, les relations diplomatiques sont rompues entre le Sénégal et Israël. Quelques jours après que le gouvernement de Léopold Senghor eut officiellement notifié la rupture aux autorités de Jérusalem, le président sénégalais recevait, d’un membre du comité central de l’Association des Ecrivains hébraïques en Israël, Azriel Oukhmany, une lettre personnelle. S’adressant au poète plus encore qu’au chef d’Etat, l’auteur de la missive exprimait son émotion et son regret devant une telle décision. Le président Senghor a communiqué au

« Nouvel Observateur » le texte de cette lettre

— dont nous 1 reproduisons ici un extrait

— ainsi que la réponse qu’il y a faite.

1 Au moment où s’ouvre à Genève la difficile conférence d’où ; peut naître enfin la paix entre Juifs et Arabes, ce point de vue d’un Africain nous a semblé mériter toute notre attention…

 

 La lettre d’un Israélien

 

C’est avec un grand regret que les écrivains israéliens ont appris que Votre Honneur avait ordonné, lui aussi, à son gouvernement, de rompre les relations diplomatiques avec notre Etat, associant de ce fait sent prestige aux vagues malveillantes dont la digue a été ouverte par ce raciste cruel qui a banni de son pays tous les originaires d’Asie, Idi Amine.

Ce geste nous a d’autant plus’ stupéfaits qu’il venait ide quelqu’un dont nous avons longtemps admiré l’attitude digne qu’il avait su prendre face aux flots de haine et de cruauté qui inondaient le monde ; de quelqu’un dont la poésie ardente annonce avec fierté le message de la fraternité et de l’amitié.

[…] Vous nous avez causé une grande peine, à nous autres écrivains d’Israël, pour avoir, en ces jours si graves et pour- tant si pleins d’espoir pour la paix, or- donné de rompre les relations diplomatiques avec notre Etat, qui lutte pour le droit de vivre dans la liberté. […]

 AZRIELOUKHMANY,

 Membre du comité central de l’Association

des Ecrivains hébraïques en Israël.

1_, La réponse du président Senghor

 Je voudrais, tout d’abord, vous rassurer. En ce qui me concerne, non seulement j’ai de nombreux amis juifs mais l’une de mes nièces a épousé le fils du poète Tristan Tzara, qui, comme vous le savez, était juif. D’autre part, la seule fois où j’ai risqué ma vie pour sauver d’autres vies humaines, je l’ai fait en pleine occupation nazie, en cachant, dans mon appartement, pendant trois semaines, un ami juif et son fils, qui ont été ainsi sauvés.

Si nous avons rompu les relations diplomatiques avec le gouvernement israélien, cela n’a pas été pour des raisons morales ou culturelles mais pour des raisons poli- tiques. Comme j’ai l’habitude de le dire, quand on fait l’historique d’un problème, on l’a, à Moitié, résolu. C’est ce que je vais essayer, de faire.

Vous le s’avez, j’ai été amené à m’occuper du conflit israélo-arabe en 1970, comme président de la « sous-commission des Sages >>. A ce titre, la sous-commission a été, deux fois, à Jérusalem, et, deux fois, à Tel-Aviv. La principale conclusion que nous avons, à la fin de notre mission, tirée des discussions que nous avions eues avec le gouvernement israélien et le gouvernement égyptien était que l’on pouvait amener les deux parties à négocier ; que, d’autre part, l’on avait la possibilité d’aboutir à une paix juste et durable, qui aurait permis à l’Etat d’Israël d’obtenir la reconnaissance juridique de ses voisins arabes. A une seule condition, c’est que le gouvernement israélien fasse une déclaration de non-annexion de territoires arabes en général, de territoires égyptiens en particulier. Malheureusement, le gouvernement israélien n’a jamais voulu faire cette déclaration. C’est ce refus qui a été à l’origine de la guerre du 6 octobre 1973. Nous aurions pu rompre les relations diplomatiques avec l’Etat d’Israël pour ce seul motif. Nous ne l’avons pas fait mais nous avons continué, pendant trois ans et à chaque occasion, à demander la déclaration de non-annexion. Nous avons continué, en même temps, à soutenir la même thèse : celle que nous avions développée au Caire même, en répondant à un toast du président Sadate. Ma thèse était celle-ci : la guerre israélo-arabe est une guerre absurde parce que fratricide. Fratricide parce que les deux peuples appartiennent à la grande famille sémitique qui a apporté des messages irremplaçables au monde.

Si donc les gouvernements africains ont presque tous rompu leurs relations diplomatiques avec Israël, cela a été, essentiellement, à cause du refus de celui-ci de faire la déclaration que voilà, qui, seule, aurait permis des négociations aboutissant à une paix juste et durable. Une paix juste, parce qu’elle n’aurait pas comporté la destruction de l’Etat d’Israël. Une paix durable, parce que, d’une part, les voisins arabes d’Israël auraient reconnu, juridique- ment, l’existence d’Israël et que, d’autre part, ce dernier aurait renoncé à s’étendre aux dépens des Arabes. A cette raison essentielle s’est ajoutée, pour le Sénégal, une raison circonstancielle. C’est que l’armée israélienne a profité du cessez-le-feu

du 22 octobre 1973 pour poursuivre son avantage, franchir, massivement, le canal de Suez et encercler la armée égyptienne. Or j’avais annoncé à M. Ben Nathan, l’ambassadeur d’Israël à Paris, que, si l’armée israélienne franchissait le canal de Suez et entrait sur une terre qui était, incontestablement, africaine, le Sénégal se- rait dans l’obligation de rompre ses relations diplomatiques.

Cependant, la rupture de nos relations diplomatiques n’a jamais signifié que le peuple israélien fût un ennemi pour le peuple sénégalais. Pour nous, tous les peuples de la terre sont les frères du peuple sénégalais et, d’abord les peuples arabe et juif, parce qu’appartenant, avec nous, à la trilogie des peuples souffrants. Au demeurant, ce que nous avons décidé, c’est, en réalité, une suspension des relations diplomatiques. Dès qu’une paix juste et durable aura été conclue au Proche-

Orient, nous rétablirons nos relations diplomatiques avec l’Etat d’Israël. C’est pourquoi en signifiant, à votre ambassadeur à Dakar, la rupture des relations diplomatiques, nous lui avons dit qu’il pourrait laisser un fonctionnaire •de l’ambassade qui jouerait le rôle d’agent consulaire, tout en gardant les lieux.

Voilà, cher Monsieur, l’essentiel de ce que j’avais à dire sur le problème de la rupture de nos relations diplomatiques avec Israël. Loin que ce geste soit un geste de haine, j’ai continué d’avoir les mêmes liens avec beaucoup d’amis •juifs, qui sont, les uns, citoyens français, les autres, citoyens israéliens, et, enfin, les troisièmes, citoyens sénégalais. Car il y a des citoyens sénégalais qui sont juifs.

 

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