Décès de Henry Kissinger, diplomate du siècle et figure controversée

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Henry KISSINGER © Malick MBOW

L’ancien secrétaire d’État américain (1973-1977) et prix Nobel de la paix Henry A. Kissinger est mort mercredi à l’âge de 100 ans. Considéré comme l’un des plus grands diplomates de tous les temps, ce chantre de la realpolitik et intellectuel conservateur reste une figure controversée pour son rôle dans certaines des pages les plus sombres de la Guerre froide.

Le secrétaire d'État américain Henry Kissinger, le 25 mars 1974 à Tel Aviv. (AFP)
Le secrétaire d’État américain Henry Kissinger, le 25 mars 1974 à Tel Aviv. (AFP) © AFP

Il était certainement le diplomate le plus célèbre et le plus écouté de la planète. L’ancien secrétaire d’État américain (1973-1977) et influent conseiller géopolitique Henry Kissinger est mort mercredi 29 novembre à l’âge de 100 ans après avoir marqué de son empreinte de géant la marche du monde.

Grand artisan du rapprochement historique entre les États-Unis et la Chine communiste au début des années 1970, initiateur de la politique de détente avec l’URSS, son nom reste également associé aux accords de Paris qui ouvriront la voie au retrait américain du Vietnam et lui ont valu le prix Nobel de la paix en 1973.

Mais ce bilan prestigieux n’a jamais cessé de susciter le débat aux États-Unis. À l’occasion du centième anniversaire du diplomate en mai 2023, le magazine The Nation, engagé à gauche, publiait un dessin d’Henry Kissinger prêt à se délecter d’un gâteau d’anniversaire nappé du sang des victimes de toutes les crises qui ont marqué sa carrière.

Bombardements meurtriers au Cambodge, rôle occulte dans le renversement du gouvernement démocratiquement élu de Salvador Allende au Chili en 1973, blanc-seing donné à la brutale invasion indonésienne au Timor-Oriental, appui à l’opération Condor, une vaste campagne d’assassinats d’opposants dans six dictatures militaires d’Amérique latine en 1975… Henry Kissinger a régulièrement été qualifié de « criminels de guerre » par ses détracteurs les plus virulents mais sans rien perdre ou presque de son aura de virtuose des relations internationales.

Un rêve américain

Heinz Alfred Kissinger est né en Allemagne en 1923 dans une famille juive de la bourgeoisie bavaroise. En 1938, il fuit les persécutions nazies avec ses parents pour rejoindre New York. Naturalisé américain, il intègre le contre-espionnage militaire où sa maîtrise de l’allemand et sa connaissance du terrain se révèlent de précieux atouts pendant la Seconde Guerre mondiale, puis lors de la période de dénazification.

De retour aux États-Unis, il poursuit des études à Harvard. C’est pendant cette période clé qu’il forge sa vision des relations internationales inspirée par le diplomate autrichien Metternich et « l’ordre européen » de la première moitié du XIXe siècle. Organisé par les puissances qui ont battu Napoléon, il visait à éradiquer l’héritage de la Révolution française.

Pour maintenir l’ordre du monde en plein affrontement entre l’Est et l’Ouest, Henry Kissinger, méfiant envers les grandes idéologies, prône au contraire une politique étrangère pragmatique, cynique diront ses critiques, visant un équilibre des pouvoirs bâti autour de Washington, Moscou et Pékin.

Devenu professeur au département des études gouvernementales de Harvard, Henry Kissinger se fait un nom après la publication en 1957 de « Nuclear Weapons and Foreign Policy », un traité sur l’usage de l’arme nucléaire dans lequel il anticipe la doctrine de la riposte graduée.

Intellectuel d’action, le docteur K commence à être consulté par les responsables républicains sous la présidence de Dwight Eisenhower et John Fitzgerald Kennedy lors de la seconde crise de Berlin, marquée par la construction du mur en 1961.

Proche de Nelson Rockefeller, gouverneur de l’État de New York, Henry Kissinger le soutient contre Richard Nixon lors des primaires républicaines de 1968. Pendant la campagne, il propose un plan de retrait américain du Vietnam. L’initiative sera finalement retenue par Nixon une fois élu, qui le nomme assistant pour les affaires de sécurité nationale et secrétaire exécutif du Conseil de sécurité nationale.

Si William Rogers est alors le secrétaire du département d’État, c’est bien Henry Kissinger qui mène la politique étrangère de Washington. Il devra attendre le second mandat du président Nixon en 1973 pour accéder officiellement à la fonction, devenant ainsi le premier chef de la diplomatie américaine né à l’étranger.

« Il y a quelque chose d’extraordinaire dans le parcours de ce petit garçon juif allemand, qui naît à quelques kilomètres à peine de Nuremberg, grandit au cœur même de l’enfer nazi et devient le plus grand diplomate que les États-Unis aient connu », écrit Jérémie Gallon dans son autobiographie intitulée « Henry Kissinger l’Européen » paru en 2021, voyant dans cette ascension fulgurante un concentré du rêve américain.

Les superpouvoirs de “Super K”

Dès la fin du premier mandat de Richard Nixon, Henry Kissinger construit son mythe de diplomate omnipotent et infatigable : en ce début des années 70, il négocie secrètement à Pékin et à Moscou. En 1972, il contribue notamment à la signature du traité Salt I qui limite les armes stratégiques déployées par les États-Unis et l’URSS.

L’année suivante, la signature de l’accord de Paris sur le Vietnam lui vaut le prix Nobel de la paix qui restera l’un des plus controversés de l’histoire. De nombreux défenseurs des droits humains et historiens lui reprochent en réalité d’avoir inutilement prolongé le conflit et de l’avoir élargi au Cambodge et au Laos en menant des campagnes de bombardements massifs et illégaux sur les positions Viet Cong.

Après la guerre du Kippour en octobre 1973, il passe plus d’un mois au Moyen-Orient pour trouver une sortie de crise entre Israël et la coalition arabe menée par l’Égypte et la Syrie. Il initie alors « la diplomatie de la navette », multipliant les rencontres avec les parties adverses pour arracher un compromis.

En janvier 1974, un premier accord décide du retrait des troupes israéliennes du canal de Suez et de leur remplacement par des troupes de l’ONU. Puis, en mai, Israël consent à rendre le territoire conquis pendant le conflit d’octobre 1973, mais conserve le plateau du Golan.

Encensé par la presse, Henry Kissinger le séducteur accède à une notoriété inégalée pour un simple diplomate. Il fait la une des grands médias tel Newsweek qui en 1974 le dépeint en “Super K”, le super-héros des relations internationales.

Seule ombre au tableau en ces années fastes : le scandale de l’affaire d’espionnage politique du Watergate dans lequel Henry Kissinger est un temps soupçonné d’avoir participé. Le diplomate parvient finalement à sortir indemne de la tempête. À la suite de la démission de Richard Nixon en 1974, il conserve son poste de secrétaire d’État sous Gérald Ford mais quitte celui de conseiller à la sécurité nationale, mettant fin à un cumul de fonctions inédit dans l’histoire diplomatique américaine.

Une longévité exceptionnelle

En 1977, l’élection du démocrate Jimmy Carter le conduit à quitter un pouvoir qu’il n’exercera plus directement mais dont il ne se tiendra jamais éloigné, jouant un rôle d’éminence grise de la Maison Blanche et restant une figure influente de Washington associée à de nombreux groupes politiques et commissions.

Brillant chroniqueur, le « docteur K » publie de nombreux ouvrages inspirés de son expérience au gouvernement américain et dans lesquels il distille ses leçons de géopolitique. En 1982, il entame également une activité de conseil pour des grandes firmes privées à travers le cabinet Kissinger Associates qui lui permet de faire fortune.

Loin des projecteurs, Henry Kissinger est toutefois rattrapé par sa légende noire au tournant des années 2000. En séjour en France, l’ancien diplomate, âgé de 78 ans, est convoqué en mai 2001 comme témoin par le juge Roger Le Loire dans le cadre d’une instruction pour « crimes contre l’humanité », « génocide » et « séquestration » ouverte contre le dictateur chilien Augusto Pinochet. La procédure a été ouverte en France après la plainte de plusieurs familles de Franco-Chiliens disparus dans les années 70.

Le magistrat s’appuie sur des documents déclassifiés montrant que la CIA avait connaissance des campagnes d’assassinats d’opposants menés dans plusieurs dictatures d’Amérique latine. Henry Kissinger ne répondra jamais à l’appel de la justice française.

Après avoir reçu la visite de la brigade criminelle au Ritz où il séjournait, « Super K » a jugé préférable de s’envoler précipitamment pour les États-Unis.

Malgré des apparitions publiques de plus en plus rares et un âge avancé, Henry Kissinger continuait d’être une personnalité dont l’avis compte. En juillet 2023, sa visite en Chine en pleine montée des tensions avec les États-Unis a marqué les esprits. Qualifié de « diplomate de légende » par les médias chinois, ce dernier avait été reçu par le président Xi Jinping en personne dans la villa d’État du gouvernement à Pékin, là où un demi-siècle plus tôt il avait entamé le dégel des relations avec la Chine de Mao Zedong. Des rencontres secrètes qui avaient ouvert la voie à la visite de Richard Nixon en 1972, la première d’un président des États-Unis en République populaire de Chine.

Ces dernières années, celui qui n’a jamais réussi à totalement gommer son accent allemand partageait régulièrement lors de conférences ou d’interviews son point de vue sur les grandes crises que traversent le monde. En 2014, après l’annexion de la Crimée et la guerre dans le Donbass, Henry Kissinger plaidait pour la neutralité de Kiev face à la Russie. Il change d’avis lors de l’invasion russe en 2022 et défend l’aide militaire apportée à l’Ukraine. Dans un entretien fleuve de 8 heures accordé en mai 2023 à The Economist, l’ancien diplomate estimait qu' »il n’y avait plus d’autre issue que de prendre l’Ukraine dans l’Otan, pour sortir l’Europe de l’insécurité ».

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