L’INVESTISSEMENT CULTUREL 1er INVESTISSEMENT ENDOGÈNE, ÉTHIQUE  ET ÉCONOMIQUE DU SÉNÉGAL.

Date:

 

Amadou Lamine SALL ©Malick MBOW

Amadou Lamine Sall

poète.

Lauréat des Grands Prix de l’Académie française

Lauréat du Grand Prix International de Poésie africaine, Rabat, Maroc

Avant que ton pays ne te demande en mariage, marie-le ! Un État, un pays, on doit en être amoureux, l’épouser, vivre avec lui, le combler, le protéger, faire de beaux enfants avec lui. Pour dire que la culture est le 1er lien social, économique et d’encrage.

L’Afrique n’est pas un continent mais des continents ! L’Afrique enjambe l’Afrique ! L’Afrique est un mensonge ! Un mensonge de l’Europe et de tous les envahisseurs ! L’Afrique est un don. Un don du passé. Un don du présent. Un don du futur. Les cultures y nourrissent l’âme.

On se rappelle le reproche souriant de l’Europe à l’Afrique, au lendemain des indépendances -et ce clin d’œil au Sénégal- : « Tiens, il leur faut des techniciens, ils forment des poètes ! » Ce que la vieille Europe ignorait, c’est que l’Afrique avait besoin, au premier matin de ses affirmations nationales, d’affirmer ses valeurs de vie et de culture sans lesquelles aucune identité, aucune nation ne peuvent se bâtir !  Le « mortier » comme outil ménager africain, est « contemporain », mais il n’est pas « moderne ». Ce qui est moderne, c’est le « moulinex ». Mais ce n’est point le moulinex qui domine dans nos campagnes et nos villes. Le mortier est encore dominant. Il est notre marqueur de départ. Il est encore là. Il est utile et pragmatique. C’est cela la culture, c’est-à-dire commencer par nos propres biens.

Ce qu’il faut surtout redire, c’est qu’il n’existe pas d’indépendance économique. Nulle part. Arrêtons de le faire croire. Par contre, ce qui existe, c’est une indépendance culturelle, soubassement et ciment d’un peuple, d’une nation. C’est la plus noble, la plus durable des indépendances. C’est elle qui accompagne, escorte, dope toute volonté d’identité non meurtrière, toute indépendance économique qui part d’un modèle de croissance endogène. Ne nous leurrons pas. L’interdépendance des économies et des échanges mondiaux gouvernent nos États. Il serait illusoire de faire croire que l’on peut être économiquement souverain. Cependant, l’Afrique dont les pays regorgent de richesses,  nous désespèrent au regard de la pauvreté durable de leur peuple et de l’errance de leur jeunesse. C’est le sauve qui peut et qui ne peut pas !

L’industrie est la première mamelle de toute économie ! Sans production, pas de développement. Ne faire que consommer, ne mène nulle part. Aucune révolution proclamée ne saurait s’y soustraire. Quant à la culture, son minerai le plus précieux est son identité et son invincibilité. Elle doit être souveraine et verser ses acquis et sa créativité au monde. La Chine, le Japon, l’Inde, l’Arabie au sens large, attestent d’une identité culturelle forte, gagnante et nominée.

Je me réjouis, et c’est un signe, que le 1er acte national et international du Président  Diomaye Faye et de son gouvernement, fut  culturel : le rachat  la bibliothèque de Senghor mise sauvagement et goulûment en vente aux enchères en France. L’occasion faisant le larron,  il n’existe pas, par ailleurs, deux pères de la nation sénégalaise. Senghor a porté l’indépendance du Sénégal, bâti une République et au-delà, une nation. Et de la Culture, il fit « le ciment de la nation ». Voilà le legs. Il s’y ajoute l’hymne national dont, en plus, Sédar est l’incomparable auteur sans compter la devise de l’armée nationale dont il est l’inspirateur et dont le serment est : « On nous tue, on ne nous déshonore pas. » Cette indépendance qu’il nous a donnés, il faudra encore et encore la nourrir, la consolider, la défendre, la protéger.

Nous vivons un autre temps du monde singulièrement marqué par une jeunesse dont la stupéfiante démographie recadre tous les plans, les prévisions, les projections, les budgets. Autrefois, dit-on, quand un jeune passait, un vieil homme  lui demandait de venir l’aider à se lever. De nos jours, c’est le jeune qui demande au vieil homme de venir l’aider à se relever ! Qu’est-ce qui a donc changé à ce point ? C’est dans cette angoissante et si complexe époque que le Président Diomaye Faye est arrivé au pouvoir, en ce mois d’avril de l’année 2024. Il n’existe pas de jeune Président. On grandit très vite dans le fauteuil présidentiel. Exercer le pouvoir au sommet de la pyramide, c’est avoir l’âge de la pyramide. Ce qui compte et en premier, ce sont les réponses face à l’attente de son peuple.

C’est sur le socle de la culture et des savoirs,  que Senghor a fondé le rayonnement du Sénégal. On lui a beaucoup, beaucoup  reproché d’avoir trop aimé la France et sa langue. Il a eu raison. Pourquoi donc prendrait-il pour ennemi à abattre un pays qui l’a accueilli comme étudiant, boursier, comme professeur, comme soldat, comme ministre et qui lui a donné une épouse suite à son divorce avec Ginette Éboué de même race noire et de père Guyanais ? Pourquoi par ailleurs, rejetterait-il une langue qu’il a contribué avec un génie rare à réinventer, à polir, à façonner, à  faire grandir et à faire aimer ? La langue française est cette femme avec laquelle Senghor a fait de beaux enfants. Avant de quitter le pouvoir, il a déclaré avoir laissé  une réforme hardie pour que les langues nationales prennent toute leur place dans notre système éducatif. Où est passé cette réforme ? Ne jamais oublier  sa conférence de 1937 où il affirme ceci : « Il s’agit de partir du milieu et des civilisations négro-africaines où baigne l’enfant. Celui-ci doit en connaitre et exprimer les éléments dans sa langue d’abord, puis en français. » Arrêtons de prendre Senghor pour un Toubab et de le diaboliser si malhonnêtement et de manière si inculte !

La vérité est que qui ne s’attaquait pas à Senghor, n’était pas considéré comme un intellectuel ! Depuis sa disparition, nombre de tigres sont devenus des rossignols, reconnaissant la majesté et l’altitude du premier Sérère devenu Chef d’État du Sénégal. Et puis, qui des Chefs d’État qui lui ont  succédé ont vu des rues, des avenues, des écoles, des lycées et collèges, des bibliothèques, des académies, des chaires d’études, des universités, des ponts, porter leur nom à travers le monde ? Qui ? « ce n’est pas à toute oreille percée, que l’on met des anneaux d’or ! » Pour ma part, au regard de mon vécu personnel, et il faut en témoigner, deux autres Sénégalais nous valent respect et considération quand nous traversons nos frontières : l’immense sculpteur feu Ousmane Sow et cet autre compatriote qui m’a valu, avec surprise, qu’un policier russe, à Moscou, refusât de sanctionner mon chauffeur en effraction : le  footballeur El Hadji Diouf. Le policier russe en était un fou admirateur !

Chaque Chef d’État Sénégalais qui s’installe a vite gardé Senghor dans son rétroviseur, qu’il le dise ou qu’il le taise. Bien sûr, à chacun son école, sa vision, sa marque, ses rêves pour son pays, son peuple. Quant à rester dans l’histoire universelle, les dictionnaires et le cœur des autres peuples du monde, il y faut autre chose que la marque  politique locale  seule. Ce Sérère qui a inscrit Djilor et Joal dans toutes les bibliothèques du monde, a prouvé que c’est bien du particulier que l’on accède à l’universel. Sa poésie l’atteste, ses écrits, sa pensée, sa philosophie, son action d’homme d’État. Diomaye Faye s’en inspirera mais en restant d’abord et surtout lui-même. Il s’agira  de ne pas humilier l’esprit, de faire l’éloge des savoirs et des connaissances. En un mot, d’ériger la culture comme 1er fondement de l’élévation de l’homme, du citoyen. Senghor m’ appris deux leçons au cours de mon long compagnonnage de jeune poète avec lui : l’humilité et la patience dans le travail !

Le Sénégal est un bijou que Sédar a ciselé en commençant par l’éducation et la culture. Avant lui, l’ont précédé dans les cœurs et les esprits comme rempart à toutes les félonies, des saints comme Serigne Touba, El Hadji Malick Sy, Seydina Limamou Laye, le cheikh Al-Islam El hadji Ibrahim ibn El hadji Abdoulaye Niasse et d’autres. Ceux-là ont balisé le chemin à Senghor! Le jeune Président venu de Ndiaganiao, comme jadis Senghor de Djilor-Joal, nous réserve bien des surprises. Seul ce qui s’élève enjambe les ponts, les océans, les continents. N’oublions pas que la culture c’est l’entêtement de vivre et non de mourir. Le Président  Bassirou Diomaye Diakhar Faye ne peut y échapper, au regard de que ce matinal Chef d’État nous donne à voir comme humilité, tranquillité, écoute.

Les saints sont des héros, mais les héros ne sont pas toujours des saints. La politique n’a jamais donné au monde des personnages totalement lisses. C’est l’histoire de l’humanité qui nous l’apprend. Par contre, « Sachons que tout dont on se souvient, vit. » Les hommes politiques de ce cher pays ont longtemps choisi le ring ! Diomaye et Sonko  connaissent bien ce ring et en connaissant les uppercuts et les blessures vécues dans leur chair, ils tenteront de raser tous les rings pour mettre des nattes, de l’eau, du lait et des dattes pour tous, afin qu’ensemble, nous menions ce pays là où Le Seigneur nous a montrés qu’IL voulait le mener.

Plus jamais, dans l’histoire, un Chef d’État Sénégalais ne s’amusera à défier sa démocratie. Pouvoir et opposition  feraient mieux, désormais, d’être une  bonne et belle salade de fruits pour reposer le peuple sénégalais qui a eu si mal aux reins à force d’attendre, debout, le prochain messie. À défaut, que pouvoir et opposition « deviennent les deux faces d’une pièce de monnaie. Ils ne pourront pas se regarder en face, mais ils resteront quand même ensemble. » L’alternance s’est installée comme une femme qui sait comment tenir son mari. Alors, faisons tous ensemble preuve de civilité, de sagesse, de mesure, de dignité, de noblesse, d’humilité, de foi.

Au travail ! « L’honnêteté et l’éthique  ne peuvent que gagner ! » La corruption, l’antipatriotisme, le banditisme financier, la ruse, l’indignité, ont longtemps assassiné nos efforts de développement économique.  Alors, nous ne pouvons que gagner si chacune, chacun d’entre nous, retourne au fondamental : les valeurs radieuses et guérisseuses de nos cultures ! Oui, l’investissement culturel et des savoirs, est le premier investissement économique et éthique de notre civilisation !

Le Sénégal ne se construira pas sans retourner aux fondamentaux d’abord culturels : la dignité même dans la misère, l’humilité, l’éthique et la morale,  l’effort au travail et non au parasitage, l’affirmation de ses devoirs citoyens. L’État doit assurer le reste : la justice, l’équité, le partage des richesses, l’accès à la formation, à l’emploi ou au capital, autant que possible, la sécurité des citoyens.

Tout est culture. Tout le reste n’est qu’économie et interminable « Samba » politique !

Avril 2024.

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