Dr. Yoro Dia : « Si Sonko suit les conseils de son gourou idéologique Mélenchon, le Sénégal deviendra le Venezuela »

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Portrait de Yoro Dia © Malick MBOW
Portrait de Yoro Dia © Malick MBOW

Loup Viallet, directeur de l’Aurore – Du 14 au 19 mai, Jean-Luc Mélenchon est l’invité du Premier ministre du Sénégal et président du PASTEF, Ousmane Sonko, qu’il a activement soutenu lorsque ce dernier était l’opposant de Macky Sall. Accompagné d’une délégation de parlementaires de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon a annoncé que ce voyage avait pour but, « l’étude des causes ayant provoqué l’insurrection populaire et des méthodes ayant permis la victoire électorale contre le régime libéral de Macky Sall devenu autoritaire ». Grand entretien avec Dr. Yoro Dia, politologue, ancien ministre, porte-parole de la Présidence de la République du Sénégal.

 

Vendredi 17 Mai 2024

Dr. Yoro Dia : « Si Sonko suit les conseils de son gourou idéologique Mélenchon, le Sénégal deviendra le Venezuela »

Pensez-vous, avec Jean-Luc Mélenchon, que l’élection présidentielle sénégalaise de mars 2024, représente un modèle d’ « insurrection populaire », dont devraient s’inspirer des leaders politiques étrangers ?

Contrairement à ce que dit Mélenchon, l’insurrection a été vaincue grâce au professionnalisme de nos forces de défense et de sécurité. Dans les pays de la sous-région, l’Etat serait tombé au bout de quelques semaines. Sonko avait été arrêté et mis en prison pour répondre de ses actes. Les Grecs, qui ont inventé la démocratie, ont aussi inventé l’amnistie. L’amnistie qui a permis à Sonko de sortir de prison, résulte de la magnanimité du Président Sall, qui a voulu réconcilier le pays avant de partir. Après l’amnistie, le PASTEF a retrouvé le droit chemin, en renonçant aux cocktails Molotov et en revenant à un comportement d’opposition légale, dans notre tradition.

Il faut que Mélenchon comprenne qu’en France, dans son propre pays, personne ne s’exprime avec des cocktails Molotov, pour faire avancer le débat public. Chez nous aussi, on ne l’accepte pas, et Sonko l’a compris aujourd’hui. Il faut se rappeler que l’Université Cheikh Anta Diop où Sonko a reçu Mélenchon, a elle-même été incendiée par les partisans de Sonko. Jusqu’à présent, le PASTEF, ses universitaires, ses intellectuels organiques, n’ont toujours pas condamné cet incendie. A l’époque, citant Heine, je rappelais : « Là où on brûle des livres, on finira par brûler des Hommes ». Et PASTEF brûlait des femmes quand ses militants jetaient des cocktails Molotov dans un bus. Malgré l’amnistie, on n’oublie pas la mort de ces jeunes filles.

Pour la culture générale de Mélenchon, il faut qu’il comprenne qu’ici, on vote depuis plus de deux siècles. Chez nous, l’insurrection populaire se fait dans les urnes, pas avec des cocktails Molotov. On compte sur Sonko pour le lui expliquer, parce que Mélenchon incarne un certain paternalisme de gauche, qui frise le racisme. Au moins, avec ce qui s’est passé au Sénégal, où l’alternance politique est devenue une banalité, notre pays ne deviendra jamais comme le Venezuela, la référence absolue de Mélenchon. Pour Mélenchon, apparemment, c’est « vérité en-deça des Pyrénées, erreur au-delà », car Madame Adji Sarr, qui accuse Sonko de viols à répétition, est victime d’une double peine (précarité économique et psychologique). Mélenchon a choisi le camp des puissants contre celui de l’orpheline.

Quel rôle a eu l’appui politique de Jean-Luc Mélenchon dans l’ascension d’Ousmane Sonko et du PASTEF au Sénégal ?

Presque nul. Dans notre démocratie, l’opinion de Sandaga (un grand marché de Dakar) est plus importante que celle de Saint-Germain-des-Prés. Nous avons un peuple décomplexé, mais la plupart de nos élites, à commencer par les tenants du discours souverainistes, sont encore extravertis et complexés. C’est pourquoi, aussi bien dans les majorités que dans les oppositions, on accorde trop d’importance à la France. Il faut en juger par la visite de Mélenchon, reçu comme un chef d’Etat par notre Premier ministre, qui est convaincu de se légitimer ainsi à Paris. Ce que ne ferait jamais un Premier indien avec un opposant britannique. Ce sont les millions d’électeurs sénégalais qui ont voté pour Diomaye Faye et dont les 3/4 ne connaissent pas Mélenchon et n’ont jamais lu aucun de ses livres ni aucun de ses tweets.

Jean-Luc Mélenchon et Ousmane Sonko sont tous deux porteurs d’un discours qui attribue aux pays développés, l’essentiel des causes des malheurs des pays sous-développés ou en voie de développement. L’idéologie tiers-mondiste est-elle une bonne feuille de route pour la jeunesse sénégalaise ? Pour l’avenir des relations Afrique-Europe ?

Le Tiers-monde est devenu un village africain. Dans les années 50 et 60, nous étions dans le Tiers-,monde avec des pays asiatiques et latino-américains. La plupart de ces pays comme l’Inde et la Chine ont rejoint le Premier monde pour parler comme Lee Kwan Yu de Singapour. Les Africains sont demeurés dans le Tiers-monde parce qu’ils se sont contentés de rester figés devant le mur des Lamentations, alors que la Chine ou l’Inde, tout en continuant à dénoncer l’iniquité du système mondial, ont cherché une meilleure place. C’est pourquoi nous ne voulons pas de l’idéologie tiers-mondiste, et encore moins de cette arme de distraction massive qu’est devenu le souverainisme. La vraie souveraineté, c’est la force de l’économie, comme le montrent les exemples de la Chine et de l’Inde.

C’est pourquoi je préfère que le Sénégal devienne un Dubaï plutôt que le Venezuela, la référence de Mélenchon et de son supplétif Sonko. Macky Sall et Diomaye Faye qui sont nés après les indépendances, ne peuvent pas avoir le même rapport à la France que Senghor ou Wade. C’est pourquoi l’importance que Sonko donne à la visite de Mélenchon, est complètement anachronique.

Lorsqu’il était dans l’opposition, le PASTEF se présentait comme un « parti antisystème » et prétendait vouloir « rompre » avec une supposée « dépendance-soumission » à l’ « extérieur ». Cependant depuis son élection à la tête de la République du Sénégal le 24 mars dernier, le président Bassirou Faye a changé de ton. Il a conclu son discours d’investiture par une promesse d’ « ouverture aux amis et partenaires du Sénégal » et son allocution prononcée à l’occasion du 64e anniversaire de l’indépendance du Sénégal, a été focalisée sur « la gouvernance vertueuse ». Comment interprétez-vous ce revirement ? Les promesses de campagne du PASTEF n’étaient-elles que des trompe-l’œil démagogiques destinées à leur assurer la victoire ?

Depuis l’élection, le duo Diomaye-Sonko a mis beaucoup d’eau dans son bissap, pour ne pas parler de vin. Je m’étonne de la surprise de mes concitoyens qui ont constaté ces reniements dès les premiers jours. Ces reniements et ce populisme sont consubstantiels à la gouvernance de PASTEF. La manipulation a été un instrument de conquête du pouvoir. Elle sera donc aussi un levier de gouvernance. Sonko lui-même a reconnu que le projet dont il parlait depuis 10 ans, n’existe pas encore. Son programme de gouvernement sera finalisé en décembre, donc rédigé en grande partie par l’administration. Espérons que d’ici décembre, PASTEF sortira de l’indigence intellectuelle, en trouvant au moins un nom à son projet. Mais à coup sûr, notre grande administration, qui est déjà mise à contribution, transformera ce mirage en un plan, qui ne peut être que la continuité du PSE (Plan Sénégal Emergent, programme porté sous la présidence de Macky Sall). Le plus grand problème auquel PASTEF sera confronté, est la clarté brutale de la réalité, qui est le plus grand ennemi de la manipulation.

Par ailleurs, qu’est-ce qui incarne plus le « système » que des inspecteurs des impôts ? Ils en sont l’ossature. Avec Senghor, nous avons eu la République des enseignants, sous Diouf celle des administrateurs civils, sous Wade, celle des avocats et avec Macky Sall, ce fut celle des ingénieurs, d’où cette frénésie des infrastructures. Avec Diomaye, ce sera celle des inspecteurs des impôts, qui ne sont pas formés pour créer la richesse, consubstantielle à l’émergence, mais plutôt pour la capter.

En lieu en place de l’encouragement à la création de richesses, qui est le levier de l’émergence, nous aurons 5 ans d’inquisition (comme en témoigne l’arrêt arbitraire des travaux sur la corniche) et un populisme tropical, qui va encourager et alimenter l’industrie populaire du ressentiment contre les riches et les milliardaires. En tout cas, on n’a encore jamais vu de pays se développer sans grandes fortunes. Le dernier exemple en date est la Chine, décollant avec Deng Xiaoping qui a encouragé les Chinois à s’enrichir.

Ce que Diomaye et Sonko appellent de façon démagogique, le Système, est l’Etat, dont ils sont eux-mêmes les produits. Cet Etat qui est l’avantage absolu du Sénégal, comparé aux pays de la sous-région, cet Etat qui, comme le roseau, peut plier mais ne rompt pas. Cet Etat qui a vaincu l’insurrection de PASTEF, jeté les meneurs en prison, avant que ces frères égarés ne retrouvent le chemin droit de l’opposition légale. Cette opposition légale lancée par Wade à l’ère des guérillas et des luttes armées et qui a été un des poumons de l’exception sénégalaise, avec la volonté de Senghor de maintenir le multipartisme à l’époque des partis uniques.

Quant à la rupture avec l’extérieur, on se rend compte aussi que ce n’était qu’une arnaque, pour ne pas dire une douce plaisanterie avec le nouveau gouvernement parti à Canossa devant le FMI. Les éruptions et les irruptions populistes sont des symptômes de la fragilité des vielles démocraties. L’Allemagne, le pays de Kant, de Goethe, de Nietzche, le pays de la pensée est tombé entre les mains du caporal Hitler et de son gang de nazis. L’Italie, un des phares de l’Antiquité et berceau de la Renaissance, est tombée entre les mains des obscurs fascistes.

La chance du Sénégal, contrairement à l’Allemagne et à l’Italie des années 30, est d’être un Etat fort, ainsi qu’une République debout, qui va dompter PASTEF et le rendre soluble dans les institutions, à l’exemple de notre Premier ministre, qui comprend chaque jour un peu plus, qu’il a quitté la poussière du Colisée pour le marbre du Sénat. Quant au Président Faye, ses premières sorties à l’étranger montrent qu’il est entré dans le moule, et ce, même si son Premier ministre cherche à amuser la galeri,e en voulant créer une diplomatie parallèle, avec sa visite annoncée dans les pays de l’Association des Etats du Sahel et en Guinée. Ces pays où des putschistes cherchent à légitimer leurs coups d’Etat par des discours opportunistes sur le panafricanisme et le souverainisme, dont les accents sont aussi désuets qu’anachroniques. Nous sommes tous des panafricanistes, mais nous préférons un panafricanisme démocratique dont le Sénégal est le phare, plutôt que le panafricanisme douteux des coups d’Etat des pays de l’arrière-garde.

Dans son fameux livre blanc sur les émeutes au Sénégal, le PASTEF avait écrit noir sur blanc, que le premier coup d’Etat en Afrique avait eu lieu au Sénégal en 1962, avec l’objectif de torpiller les fondements de l’exception sénégalaise. En voulant se rendre dans les pays de l’Alliance des Etats putschiste, Sonko poursuit son combat de la négation du Sénégal et de la banalisation de l’exception sénégalaise. Au moins, sur ce point, il est constant.

Quant au reste… Comme dit Sénèque « long est le chemin des principes, court, celui de l’exemple ». Le Premier ministre Sonko, nouveau chef de l’administration, rappelle désormais aux fonctionnaires, les principes d’obligation de réserve et de discrétion, alors lui-même été révoqué de l’administration pour manquement à ces principes. Comment pourra-t-il leur servir d’exemple, alors qu’il a traité nos soldats de mercenaires, menacé nos généraux, insulté nos magistrats ?

Ces dernières années, l’avocat médiatique franco-espagnol Juan Branco, s’est particulièrement ingéré dans la vie politique sénégalaise. Conseil d’Ousmane Sonko, il a contribué à exacerber les tensions entre partisans du PASTEF et les forces de l’ordre sur les réseaux sociaux, déposé une demande d’enquête à la CPI contre le président Macky Sall, pour « crimes contre l’humanité » et, est entré clandestinement sur le territoire sénégalais en juillet dernier, avant d’être refoulé. Quel impact son action a-t-elle eu dans l’ascension du PASTEF, sur l’image du Sénégal à l’étranger et dans la polarisation de la vie politique sénégalaise ?

Enfin, un journaliste qui s’intéresse à la suite que la CPI a réservée à la plainte de Branco. J’ai essayé plusieurs fois de relancer la presse de mon pays sur cette fanfaronnade de Branco, en vain. Malgré le bavardage de PASTEF sur le souverainisme, le complexe d’infériorité a encore de beaux jours devant lui, quand on voit comment Branco avait réduit les avocats de Sonko, en supplétifs judiciaires et comment Sonko accepte d’être un supplétif idéologique de Mélenchon, en annonçant sa visite comme celle d’un chef d’Etat. Si Sonko suit les conseils de son gourou idéologique, le Sénégal pétrolier sera un futur Venezuela, la référence de Monsieur Mélenchon.

Il serait bon que Branco nous dise la suite que la CPI a réservée à sa plaisanterie. Comme tous les « sorciers blancs », Branco était venu se recycler au Sénégal, comme le fait aujourd’hui Mélenchon. La réponse de la CPI à la plainte de Branco, montre qu’il n’a eu aucun impact sur l’image du Sénégal. Macky Sall et ses prédécesseurs ont gravé son image dans le marbre, alors que Branco a gravé ses fanfaronnades dans des tweets. Le marbre demeure, les tweets passent et Branco plaide sur Twitter.

Lors de la crise de 1962, Me Badinter était venu plaider au Sénégal pour défendre Mamadou Dia, mais dans le respect de nos institutions et dans la courtoisie. Badinter faisait du droit, quand Branco fait du buzz. L’action de Branco n’a eu aucun impact, elle a seulement souligné la persistance d’un complexe d’infériorité vis-à-vis des Blancs au sein de l’élite de PASTEF qui, à un certain moment, avait placé tous ses espoirs dans les tweets de Branco.

Ousmane Sonko avait bâti la première marche de sa popularité, en publiant en 2017, l’ouvrage « Pétrole et gaz au Sénégal ». Chronique d’une spoliation, dans lequel il affirmait que les contrats d’exploitation des hydrocarbures offshore du Sénégal n’avaient pas été attribués selon les règles des marchés publics. Nommé Premier ministre, le même Ousmane Sonko n’a toujours pas révélé les vices de procédure scandaleux qu’il dénonçait lors de son ascension politique. Pour quelle raison, selon vous ?

Sur le pétrole et le gaz, le Sénégal a eu beaucoup de chance. Au moment où le pays découvre le pétrole, il a à sa tête Macky Sall, ingénieur géologue passé par l’Institut Français du Pétrole, puis dirigeant de la société nationale Petrosen et Ministre de l’Energie. C’est pourquoi le secteur du Pétrole a été très bien géré aussi bien au niveau technique que légal. Le Sénégal va avoir son premier baril cette année, grâce à Macky Sall qui a évité au Sénégal le syndrome de la malédiction des ressources.

Qui au Sénégal prend au sérieux les accusations et les spéculations de Sonko sur le pétrole, alors qu’il a été déjà condamné pour diffamation ? Le Sénégal veut atteindre l’émergence en 2035 et un des prérequis de celle-ci, est la sécurité juridique et judiciaire. Heureusement que les investisseurs et les milieux économiques font la différence entre les propos d’Ousmane Sonko opposant et ceux de Monsieur Sonko, Premier ministre, dont le gouvernement est récemment parti à Canossa devant le FMI.

S’inspirant du modèle de la construction européenne, à savoir que les démocraties ne se font pas la guerre entre elles et que deux pays liés par le business, se font rarement la guerre, Macky Sall a saisi l’opportunité de la découverte des ressources gazières et minières, pour raffermir nos relations avec la Mauritanie. Relations que le candidat Sonko menaçait à la Présidentielle de 2019. Aujourd’hui, il est heureux que le Président Faye ait choisi la Mauritanie pour sa première sortie à l’étranger. Un signe d’avant-garde, contrairement à Sonko, qui se trouve dans l’arrière-garde, en se rendant dans l’alliance des Etats putschistes, faisant ainsi comme à l’accoutumée, l’apologie de la violence politique.

Concernant les accusations de Sonko sur le pétrole, on attend encore ses preuves. On attend aussi d’autres preuves : celles qui entourent la mort de deux gendarmes que l’Etat aurait « fait disparaître » selon les partisans du PASTEF. Et celles qui entourent la mort de Mancabou qui s’est suicidé à la police, suicide que les militants PASTEF avaient à l’époque, qualifié de meurtre. Maintenant qu’ils sont au pouvoir, on attend les preuves de toutes ces accusations, qui visaient à présenter notre démocratie comme une dictature pire que celle de Pinochet ou de Idi Amin Dada, avec la complicité d’une certaine société civile rentière de la tension, qui vit du dénigrement du Sénégal à l’étranger pour capter des financements.

Les pays membres du franc CFA peuvent en sortir librement depuis la décolonisation. Cela a été le cas de Madagascar en 1963, de la Mauritanie en 1973, de la Guinée-Conakry en 1960 ou encore du Mali en 1962, avant finalement d’y revenir 22 ans plus tard, car sa monnaie était trop instable et inconvertible. Le président Faye avait donc la possibilité de dénoncer les accords de coopération monétaire avec la France dès son investiture.

Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Et pourquoi semble-t-il éviter la question ou entretenir le flou à ce sujet aujourd’hui ?

Sur le franc CFA, n’étant pas un expert, je vais me contenter d’arguments pragmatiques. Des pays frontaliers du Sénégal ont leurs propres monnaies, mais je ne vois jamais ces monnaies circuler à Dakar, alors que dans ces pays, le CFA est très demandé. D’autre part, des pays ont fait l’expérience de créer leurs propres monnaies avant de revenir au CFA. Je pense que le CFA est une bonne monnaie, mais si c’est le nom qui pose problème à cause de son passé colonial, on a qu’à le changer. Je pense aussi que le discours anti CFA est aussi devenu une sorte de rente pour des activistes. Ce débat est trop sérieux pour être laissé entre leurs mains.

En 2023, 39 910 migrants ouest-africains ont rejoint l’Europe par la mer en accostant sur les îles Canaries avec des embarcations de fortune. Entre le 1er janvier et le 15 février, le ministère de l’Intérieur du gouvernement espagnol a comptabilisé 11.704 entrées irrégulières sur son territoire, empruntant les mêmes routes. La majorité de ces migrants sont des ressortissants sénégalais. Parmi ces derniers, on dénombre de nombreux partisans du PASTEF, qui cherchaient à obtenir l’asile politique en Espagne, lorsque le président Macky Sall était en exercice.

Comment s’organisaient les relations bilatérales avec l’Espagne sur le plan migratoire lorsque vous étiez aux responsabilités ? Combien de migrants sénégalais arrivés illégalement en Espagne ont-ils été rapatriés ? Quelles actions votre gouvernement a-t-il mis en œuvre pour prévenir ces départs ?

Je suis originaire de Thiaroye-sur-mer, un des villages qui a payé le plus lourd tribut à l’émigration clandestine. Pourtant, dans ma jeunesse, ce village avait connu le plein emploi grâce à la pêche, le métier noble par excellence chez nous les lebous, et grâce à l’industrie textile avec la Sotiba. Aujourd’hui, la pêche est en crise et l’industrie textile est morte à cause de la fraude.

La question migratoire est complexe. Il faut rappeler pour l’histoire que l’Europe a aussi été le continent dont les migrants ont peuplé les Amériques et les terres australes, comme l’Australie et la Nouvelle Zélande. L’Europe avec le vieillissement de sa population, a besoin de migration pour faire marcher son économie, mais il faut que les flux soient organisés. Aujourd’hui, aucun pays n’est outillé pour freiner la migration, ni les Etats-Unis qui reconnaissent qu’il y a des millions de clandestins chez eux, et encore moins l’Union européenne ou la Guinée Equatoriale. Il y a une égalité de l’impuissance des Etats face aux flux migratoires. Contrairement à ce que faisait croire PASTEF de façon démagogique, la migration continue malgré l’alternance politique.

Aller en Espagne pour demander l’asile politique, relève de l’escroquerie, car le Sénégal est une terre d’asile politique en Afrique. Le Sénégal est un pays de liberté et la migration est fondamentalement un problème économique. Donc, la réponse est forcément économique. Nous sommes tous d’accord qu’essayer d’empêcher les jeunes de partir, en renforçant la surveillance des côtes, n’est pas la solution, mais il faut le faire pour sauver des vies. La solution est dans l’économie et la croissance. C’est pourquoi l’urgence pour le gouvernement du Sénégal, n’est pas de lancer l’inquisition contre les riches, mais d’encourager tous ceux qui en ont les moyens, à investir et à créer de l’emploi, mais aussi de pousser les investisseurs étrangers à venir massivement, comme c’est le cas à Dubaï, qui est passé de la pêche aux perles au statut de centre financier mondial. Et les investisseurs ne se bousculent pas pour venir dans un pays où le Président de la République peut faire arrêter tous les travaux sur la corniche, parce que « tel est son bon plaisir » comme disait François Ier.

Selon vous, le président Faye est-il en mesure d’offrir des perspectives pour ces jeunes sénégalais qui rêvent leur avenir en Europe ?

Je souhaite qu’il réussisse et qu’il relève ce défi, mais les actes qu’ils posent me laissent sceptique. Le seul risque politique que court le Sénégal, est une perte de temps dans la marche vers l’émergence, parce que le pays est stable et les institutions solides, donc l’urgence est dans l’économie, pas dans la réforme institutionnelle permanente, qui transforme le Sénégal en démocratie de Sisyphe. Mais apparemment, l’emploi des jeunes est loin d’être l’urgence pour le gouvernement. Quand on veut faire de l’emploi des jeunes une urgence, on doit créer un environnement propice à l’investissement, à la création d’emplois par le secteur privé. Quand on a cet objectif, on ne crée pas les conditions d’une insécurité juridique et judiciaire, comme se lever un beau jour et faire arrêter sans base légale, tous les travaux sur la corniche, on n’encourage pas une inquisition contre les riches, pour alimenter de façon populiste l’industrie du ressentiment, de l’envie et de la délation.

L’audit est un mode normal pour ne pas dire banal de gestion et ne doit pas être lié aux alternances politiques. Oui aux audits, oui à la publication des rapports mais non l’instrumentalisation politicienne, qui consiste à encourager de pseudo lanceurs d’alerte à jeter en pâture, sans preuves, des citoyens qui sont victimes de l’industrie de ressentiment et de la rancœur. Dans un pays émergent, on encourage l’initiative, la création de richesses, on célèbre la réussite, on ne dresse pas des bûchers comme Savonarole. On développe un pays avec des riches, avec des milliardaires. La Chine est passée du Tiers-monde au statut de puissance mondiale, quand elle a commencé à avoir des milliardaires en dollars.

Que seraient les Etats-Unis sans les Rockefeller, Carnegie et J P Morgan. Reagan et Tchatcher ont relancé l’économie de leurs pays en cassant les syndicats qui entravaient la croissance et nous, nous avons deux syndicalistes à la tête de l’Etat.

Le Sénégal a tout pour donner un avenir aux jeunes, avec la bénédiction du pétrole, à condition d’avoir un Etat stratège, comme à Singapour, en Malaisie, en Chine ou aux Emirats arabes. L’Etat doit investir l’argent du pétrole et du gaz dans des secteurs rentables pour créer plus de croissance et d’emplois, mais pas dans des dépenses sociales. Il ne s’agit pas de développer la culture de l’assistanat, dans un pays où tout le monde attend tout de l’Etat. Cette culture de l’assistanat que Frederich Hayek appelle la « route de la servitude », inhibe l’esprit d’initiative, surtout chez les jeunes. Aujourd’hui, avec la stabilité politique, un Etat solide, la qualité de nos ressources humaines, avec le pétrole et le gaz, tous les voyants sont verts, mais est ce que le Président Faye saura naviguer ? On le saura bientôt, mais en tout cas, les vents n’ont jamais été aussi favorables pour le Sénégal.

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