EN ATTENDANT LA BIENNALE

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PAR HAMIDOU ANNE
Hamidou Anne© Malick MBOW

Quand le report de l’édition 2024 a été annoncé, j’ai pensé à une phrase qu’aimait répéter Abdoul Aziz Mbaye, à l’époque où il était ministre de la Culture. Il disait: «Dans la vie, quand on a assez, on organise, quand on n’a pas assez, on s’organise.»

Hamidou ANNE  |   Publication 28/05/2024

Dak’Art est la première biennale d’Afrique et parmi les plus grandes manifestations d’art contemporain au monde. Notre pays s’honore tous les deux ans d’ac[1]cueillir des milliers de personnes qui viennent restituer durant la Biennale les contenus des disputes et des tribulations de l’art africain.

Quand le report de l’édition 2024 a été annoncé, j’ai pensé à une phrase qu’aimait répéter mon ami Abdoul Aziz Mbaye, à l’époque où il était ministre de la Culture. Il disait : «Dans la vie, quand on a assez, on organise, quand on n’a pas assez, on s’organise.» Or donc, artistes, galeristes, curateurs, collectionneurs et amateurs ont poursuivi leurs activités pour que le mois de mai reste une période de monstration des arts et de la créativité contemporaine sénégalaise et africaine. Tout de suite le slogan est lancé #TheOffisOn, puis à la suite d’un gentil et compréhensible rappel à l’ordre du Secrétariat général de la Biennale, le concept fédérateur est devenu TheNonOffIs On. Cet Off, qui n’en est pas un car n’ayant pas reçu le label des autorités compétentes, accueille de magnifiques expositions. J’en ai visité certaines qui m’ont plu, voire touché.

J’ai été heureux de voir «Dem Dikk/Viavai» à l’institut culturel italien dont la programmation est constante dans sa richesse et sa subtilité. L’exposition accueille des œuvres du duo Jukai dont une installation immersive qui rappelle les lumières scintillantes et les sonorités qui nous embrasent en tant que promeneurs réguliers dans les dédales de Sandaga. On y retrouve aussi Djibril Dramé Gadaay, brillant photographe, qui montre une autre facette de son talent à travers une nouvelle proposition artistique. Ses clichés sont produits sur des sacs de riz et des tissus tirés de son studio itinérant et en plein air «Ndeweneul». La silhouette que le visiteur aperçoit rend hommage à sa mère, qui a été elle-même vendeuse à Sandaga. La troisième artiste mise en valeur est Stefania Gesualdo dont la tapisserie qui s’effiloche comme un rappel du chantier permanent qu’est devenu Sandaga malgré les promesses d’une restauration en quelques années. Le compositeur de cette belle alchimie, Mohamed Al Amine Cissé, ancien banquier d’affaires reconverti en commissaire d’exposition, est bouleversant encore une fois dans son approche sensible de l’art. Il compose les œuvres comme il vit : dans une harmonie entre sens, passion et exigence. Cette exposition, minimaliste dans son aspect mais remplie de sens, est touchante dans son évocation du célèbre marché dakarois : un lieu-vie, symbole des espoirs anéantis et des rencontres du hasard fortuit.

Hasard fortuit, c’est tout le rapport que j’ai avec la curatrice et galeriste Océane Harati. Ce bout de femme énergique et passionnée voit grand, bouscule les codes et repousse les limites du possible dans un marché de l’art exigu et complexe. OH Gallery revient avec deux sublimes expositions des maîtres Soly Cissé et Viyé Diba. J’ai été touché par les grandes toiles du «Monde perdu» de Cissé, la puissance de son geste et la profondeur de ses évocations mystiques. Soly Cissé dessine ici les drames du monde, met en exergue les fantômes qui rôdent dans les villes et plongent les hommes et les femmes dans la peur, l’effroi et l’angoisse. Dans son texte consacré à l’exposition, le critique d’art Babacar Mbaye Diop évoque des scènes qui font écho à la déshumanisation et au désenchantement du monde. Les guerres, les génocides, la famine et le basculement du monde confèrent une dimension documentaire au récit pictural de Soly Cissé présenté par Océane.

Dans la deuxième salle de la galerie, figure le travail de Viyé Diba intitulé «Archives textiles». Artiste reconnu de la scène dakaroise et africaine et critique exigeant, Diba est un interrogateur de son temps, pour ne point verser dans les facilités et les certitudes. Dans cette exposition, ses boulettes de textile fabriquées à partir de chutes de tissu sont une interrogation et un doigt pointé sur la société de consommation dans une période d’obsolescence programmée des objets et de frénésie de l’achat, notamment dans les villes.

Artiste visuel engagé, Viyé Diba, qui a rejoint OH Gallery il n’y a guère longtemps, poursuit ainsi sa critique du capitalisme, de l’importation des matières que nous, citadins surtout, consommons. Il vient d’ailleurs d’être sélectionné pour l’une des plus grandes manifestations d’art contemporain au monde, Art Basel, dans la section Histoire, à la mi-juin. Selon le critique Malick Ndiaye, outre la critique des rapports économiques asymétriques entre l’Europe et l’Afrique, Viyé Diba esquisse ici une manière pour les archives textiles d’être des objets pour nourrir «le vocabulaire des langues nationales avec l’introduction de nouveaux termes importés (Borodé, Wax, Gezner)».

Le Off officieux de la Biennale en attendant la grand-messe du mois de novembre, regorge de pépites sur lesquelles je reviendrai peut-être. Mais en attendant, les Dakarois ont des choses sublimes à voir pour nourrir l’interrogation permanente sur l’art et la société en ces temps d’incertitude politique, morale et spirituelle.

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