Antoine Glaser et Francis Kpatindé dressent le portrait d’une ex puissance coloniale qui n’a pas su anticiper les mutations sur le continent. Les récentes demandes de retrait des troupes françaises du Sénégal et du Tchad illustrent ce divorce croissant
Un entretien majeur avec deux spécialistes reconnus de l’Afrique vient éclairer le déclin accéléré de l’influence française sur le continent. Antoine Glaser, journaliste chevronné et auteur du « Piège africain de Macron » (Fayard), ancien fondateur de La Lettre du Continent, et Francis Kpatindé, ancien rédacteur en chef de Jeune Afrique et du Monde Afrique, aujourd’hui maître de conférence à Sciences Po, dressent un constat sans appel de la situation.
Les récentes demandes simultanées du Sénégal et du Tchad exigeant le départ des troupes françaises marquent un tournant historique dans les relations franco-africaines. Antoine Glaser pointe du doigt une France qui « s’est un peu endormie en Afrique », révélant une incapacité à comprendre les mutations profondes du continent.
« La France n’a pas vu l’Afrique se mondialiser », analyse Glaser, soulignant un aveuglement historique qui remonte aux indépendances. Selon lui, Paris est restée prisonnière d’une vision dépassée, celle de la « Françafrique », un système intégré qui a perduré bien au-delà de sa pertinence historique. Cette posture reflète une conviction erronée : celle d’une présence française éternellement désirée sur le continent.
Francis Kpatindé met en lumière un décalage croissant entre une Afrique en pleine mutation et une France figée dans ses certitudes. « L’Afrique change, elle a beaucoup changé depuis deux décennies. Et en face, la France ne change pas », observe-t-il. Il souligne particulièrement le fossé générationnel avec une jeunesse africaine qui n’a « aucune référence par rapport à la France, à l’ancienne puissance coloniale. »
Un des aspects les plus alarmants soulevés par Kpatindé concerne l’érosion de l’expertise française sur l’Afrique. « Il n’y a plus d’experts : il n’y a plus de gens qui connaissent vraiment l’Afrique. Et surtout, il n’y a plus de gens qui ressentent l’Afrique », déplore-t-il. Cette perte de compréhension profonde conduit à une politique de réaction plutôt que d’anticipation, laissant la France systématiquement « un train de retard dans les événements en Afrique. »