Lettre d’Amérique, par Rama Yade

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Portrait de Rama YADE- Ancienne secrétaire d'État chargée des Affaires étrangères et des Droits de l'homme
Portrait de Rama YADE- Ancienne secrétaire d’État chargée des Affaires étrangères et des Droits de l’homme

Espace et Afrique : voilà deux mots qu’on entend rarement dans la même phrase. Pourtant, loin des discours misérabilistes, le continent africain y est, depuis quelques années, pleinement engagé dans la course à l’espace

Rama Yade  |   Publication 02/01/2025

«Le 11 juillet 2022 à 23 h, c’est la foule des grands jours à la Maison Blanche. Dans l’auditorium du bâtiment Eisenhower, le Président Joe Biden et l’administrateur de la Nasa, Bill Nelson, sont venus saluer un jour «historique» et, après des années d’attente, dévoiler la première image en couleur du télescope spatial James Webb, du nom de l’administrateur de la Nasa des années soixante à l’époque d’Apollo : Webb’s First Deep Field.

L’engin vient de saisir une partie de la première lumière apparue lors du big bang. L’aube des temps. Dès le lendemain, c’est un festival d’images bouleversantes : nébuleuses, falaises cosmiques, quintettes, spectres et un univers qui s’évalue à des centaines de millions d’années-lumière. Formation des étoiles après le big bang, apparition des premières galaxies, détermination des planètes habitables. L’origine de la vie.»

C’est ainsi que s’ouvre l’une de mes «Leçons de l’Amérique» que je viens de publier à Paris. L’Amérique et l’innovation : un vieux couple qui a encore de beaux jours devant lui, tant il porte les secrets de l’hégémonie économique des Etats-Unis.

L’aventure spatiale américaine continue. Et comme celle du premier homme sur la Lune, une génération va l’accompagner.

L’Afrique dans la danse

A peine cinq mois plus tard, le 13 décembre 2022, un évènement passé inaperçu a aussi eu lieu à Washington : Isa Ali Ibrahim, ministre des Communications et de l’économie numérique de la République fédérale du Nigeria, et Francis Ngabo, Directeur général de l’Agence spatiale rwandaise, ont signé les Accords d’Artemis, en présence de ce même Bill Nelson, de la secrétaire d’Etat adjointe aux Océans et aux affaires environnementales et scientifiques internationales, Monica Medina, et du Secrétaire exécutif du Conseil national de l’espace des Etats-Unis, Chirag Parikh. Le Nigeria et le Rwanda rejoignaient ce jour-là 23 autres pays affirmant leur engagement en faveur d’une exploration spatiale transparente, sûre et durable. «En tant que premiers pays africains à signer les accords Artemis, le Nigeria et le Rwanda illustrent la portée mondiale des accords et démontrent leur leadership dans l’exploration spatiale», déclarait Nelson. Sans doute le moment le plus confidentiel du Sommet Usa-Afrique était le plus important.

Elon Musk

Espace et Afrique : voilà deux mots qu’on entend rarement dans la même phrase. Pourtant, loin des discours misérabilistes, le continent africain y est, depuis quelques années, pleinement engagé dans la course à l’espace.

Il n’est pas étonnant que, lors de son dernier passage à New York, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, Elon Musk, patron de Space X et de Starlink, rencontrait une série de leaders africains comme le Président sud-africain, Cyril Ramaphosa, le Président namibien, Nangolo Mbumba, et le Premier ministre du Lesotho, Sam Matekane. Au même moment, le President du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, s’envolait au cœur de la Silicon Valley pour rencontrer les champions de la tech, y compris les responsables de Space X. Celui-là même dont la fusée Falcon 9 avait, quelques semaines plus tôt, accueilli le premier satellite -le Gaindesat1A nanosat- conçu et lancé par des ingénieurs sénégalais depuis la Californie.

Des partenariats tous azimuts

Il n’y a pas que les Etats-Unis. La Russie, la Chine et l’Union européenne développent également des programmes de partenariat avec les pays africains. Ainsi, l’Afrique du Sud et le Kenya ont signé avec la France des accords de coopération. Dans leur nouvelle politique de diversification, les Etats africains multiplient les accords : ainsi, Maram Kairé, chef de l’Agence sénégalaise d’études spatiales (Ases), et Li Guoping, ingénieur en chef de l’Administration spatiale nationale de Chine (Cnsa), ont signé en septembre dernier, un accord de coopération lors de la deuxième Conférence internationale sur l’exploration de l’espace lointain (Tiandu) à Tunxi, en Chine. Quelques mois auparavant, en avril, c’est avec la Turquie que le Sénégal concluait un mémorandum d’entente avec l’Agence spatiale turque pour renforcer la formation et les infrastructures technologiques entre les deux pays.

Le nouvel eldorado de la course à l’espace

Cette effervescence s’explique par le fait que l’Afrique est la région où la croissance de l’industrie spatiale est la plus rapide. En 2015, seuls cinq pays africains s’intéressaient au développement spatial. Aujourd’hui, encouragés par le développement des nanosatellites, moins chers et plus performants, une vingtaine de pays africains ont lancé des programmes spatiaux, avec un trio de tête constitué de l’Afrique du Sud, de l’Egypte et du Nigeria, l’ensemble dépensant collectivement 4, 71 milliards de dollars dans 58 projets de satellites, soit une augmentation de 100% sur cinq ans.

Space in Africa, qui a dressé les estimations dans son rapport annuel de 2023, prévoit que cette industrie atteindra une valorisation boursière de 22, 64 milliards de dollars d’ici 2026. L’Afrique jouera un rôle important dans cet essor.

Au service du développement

La particularité africaine ? Les programmes spatiaux africains ne se contentent pas de performances technologiques. Ils poursuivent un objectif de développement économique et social à l’instar du satellite sénégalais dont la mission sera de collecter des données importantes pour la gestion de l’eau. D’autres applications spatiales permettent de cartographier les épidémies, prévenir les catastrophes naturelles, repérer les zones sinistrées, assurer la sécurité des zones escarpées, etc. Comme le décrit l’Agenda 2063 de l’Union africaine : L’Afrique que nous voulons, l’espace est la prochaine frontière du commerce et du développement, et le numérique en sera un élément crucial (cloud appliqué aux satellites, technologie blockchain, Intelligence artificielle, traitement des données, etc.). Le couronnement de cette stratégie a été l’inauguration de l’agence spatiale africaine basée au Caire en janvier 2023 puis, en février 2024, l’installation du premier conseil spatial africain lors de la 37ème session ordinaire de l’Assemblée des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine. Avec ses dix membres et sous l’autorité de l’Ivoirien Tidiane Ouattara, il servira de guide à l’agence et de coordonnateur des activités spatiales africaines.

Un(e) Africain(e) sur la Lune

La multiplication de ces partenariats, si elle marque l’insertion croissante de l’Afrique dans l’écosystème spatial, trahit néanmoins une faiblesse : le continent ne dispose pas d’installation de lancement autonome. Quoi d’étonnant quand on connait l’insuffisance de l’infrastructure universitaire et la faiblesse du nombre de chercheurs africains. Indiscutablement, la conquête de l’espace par l’Afrique ne pourra pas se faire à court terme sans transferts de technologie, et au mieux, sans la formation d’une génération d’ingénieurs pouvant permettre à l’Afrique d’atteindre une pleine souveraineté technologique et pourquoi pas un jour d’amener l’un de ses fils (ou filles) sur la Lune !

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