Boubacar Boris Diop démonte le mythe d’un Rwanda impérialiste et appelle la RDC à une introspection nécessaire. Pour lui, la solution passe par la reconnaissance des Congolais rwandophones et le désarmement des FDLR
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(SenePlus) – Dans la seconde partie du récent entretien accordé au site d’information Impact.sn, l’écrivain et intellectuel sénégalais Boubacar Boris Diop propose une analyse sans concession de la crise qui secoue l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), appelant à dépasser les lectures manichéennes du conflit pour en comprendre les véritables ressorts.
L’auteur de « Murambi, le livre des ossements » questionne d’emblée l’image d’un Rwanda impérialiste qui se serait répandue dans l’opinion publique. « Si on se réfère aux luttes révolutionnaires du temps de la guerre froide, il serait question dans un tel cas de figure d’une impitoyable superpuissance ravageant tout sur son passage », déclare-t-il, avant de souligner le déséquilibre flagrant des forces en présence : « La seule RDC a une superficie de plus de 2.344.858 kilomètres carrés contre 26.338 pour le Rwanda et une population de 105 millions d’habitants contre environ 15 millions pour le Rwanda. »
Pour illustrer l’absurdité de cette thèse, il cite l’auteur américain Phillip Gourevitch qui ironisait en 1998 : « Prêter au Rwanda l’intention d’envahir le Zaïre, cela revient d’une certaine façon à dire que le Liechtenstein s’apprête à envahir l’Allemagne ou la France. »
Pour l’écrivain sénégalais, la chute récente de Goma et Bukavu, si elle est embarrassante, devrait inciter à « une saine introspection » sur l’état de la RDC. Il invite notamment à s’interroger sur « l’incroyable déliquescence de l’État congolais » et la « corruption endémique » qui mine le pays. Boubacar Boris Diop établit un parallèle saisissant avec le Rwanda, décrivant « un pays bien organisé où une lutte efficace contre la corruption permet aussi de réduire la pauvreté », sous la direction d’un président Kagame qu’il décrit comme intègre et déterminé.
Le romancier, observateur attentif de la région des Grands Lacs depuis trois décennies, souligne l’importance cruciale de comprendre le contexte historique, particulièrement le génocide de 1994. Citant un récent discours de Paul Kagame concernant les violences contre les Congolais rwandophones, il rapporte : « Nous avons vécu les pires souffrances en 1994 et personne n’a voulu venir à notre secours. »
Selon l’intellectuel sénégalais, cette dimension historique est indispensable pour comprendre les enjeux actuels : « Si on veut analyser ce qui se passe actuellement dans le Kivu sans prendre en compte le génocide, plus précisément la période allant du 1er novembre 1959 au 4 juillet 1994, on a toutes les chances de passer à côté. »
L’écrivain évoque la transformation remarquable du Rwanda post-génocide, tout en s’interrogeant sur les implications d’une possible « opération amnésie » trop réussie auprès des jeunes générations. « Il y a un équilibre à trouver entre l’amnésie réparatrice et l’obsession mémorielle », note-t-il, tout en reconnaissant la complexité de cette démarche.
Face aux tensions actuelles, l’écrivain plaide pour une solution négociée, rappelant que « c’est trop facile d’appeler aux armes quand on ne court personnellement aucun risque. » Il met en garde contre les risques d’une déstabilisation prolongée de la région dans un contexte international incertain, particulièrement face à la montée en puissance de figures comme Trump. Citant Cheikh Anta Diop, il rappelle : « L’Afrique doit, ne serait-ce que par égoïsme lucide, basculer sur la pente de son destin fédéral. »
Boubacar Boris Diop trace les contours d’une possible résolution du conflit. Il appelle Kinshasa à « reconnaître la citoyenneté pleine et entière des Congolais rwandophones et à désarmer les FDLR. » Pour l’écrivain, il est « impossible de comprendre qu’un pays aussi gigantesque, doté de tant d’atouts, en soit réduit à appeler à son secours le Burundi pour le protéger du Rwanda. » Une situation qui, selon lui, reste « le cœur du problème » et nécessite une réponse politique courageuse pour sortir de l’impasse actuelle.