NDEER EN ACTIONS, POUR QUE LE 8 MARS NE SOIT PAS UNE FOLKLORIQUE SAINT VALENTIN

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par Jean Pierre Corréa
Ndatté YALLA©Malick MBOW

Il serait temps que l’on parle d’autre chose que de parité et d’égalité, et qu’on exige enfin du respect pour ce genre qui est avant tout celui de nos mères, de nos sœurs et de nos filles

Jean Pierre Corréa  |   Publication 08/03/2025

Il est à redouter qu’encore cette année, le 8 mars soit une nouvelle fois une occasion ratée de remettre au milieu du village, la problématique récurrente des « Droits de la Femme », que l’on se plaît à célébrer au Sénégal sous le vocable forcément réducteur de « Journée de la Femme », fêtée avec le folklore qui sied aux traditionnelles gaudrioles avec lesquelles nous savons si bien dérouler notre sens aiguisé du futile et du vaporeux. Même sous des auspices proclamés de « Ruptures », nous n’échapperons pas aux cérémonies bruyantes et dissipées durant lesquelles des femmes de toutes organisations, drivées par le convenu et inévitable ministère de la Femme, sapées dans un dress-code grégaire et désuet, vont faire assaut des discours habituels vantant et relatant d’exceptionnels parcours de femmes, qui servent d’arbres à cacher la forêt dense qui enveloppe les tourments et les drames que vivent souvent la majorité d’entre elles.

Dans l’expression de mon métier, je plante ça et là, quelques « marronniers », et le 8 mars en fait partie, sauf qu’il me semble plus pertinent de proclamer mon amour pour les femmes, la veille, c’est-à-dire le 7 mars, date qui depuis 2015 marque Talaatay Ndeer, référence à la dignité conquise de haute lutte par ces femmes qui ont illuminé le sens aigu de la rébellion des Sénégalais, et que l’Association Ndeer en Actions a choisi pour célébrer les Femmes, en pointant ces faiblesses sociétales, qui comme des « cailloux dans nos babouches », nous empêchent d’avancer avec hardiesse et élégance sur les chemins qui balisent nos aspirations égalitaires.

Les engagements intelligents et dynamiques ayant pour vertus de s’agréger, la directrice du laboratoire genre de l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan), le professeur Fatou Sow Sarr diffuse cette conviction et accentue le plaidoyer pour l’intégration dans le calendrier républicain de la date du 7 mars pour célébrer la journée de la femme sénégalaise. Si la date du 8 mars est retenue, depuis 1977, à l’échelle internationale, en référence à la lutte des femmes ouvrières, elle estime « qu’il est temps pour le Sénégal de célébrer ces « Linguères » qui se sont immolées le 7 mars 1820 pour sauver l’honneur de leur patrie, et de consacrer la date du 7 mars au temps de la réflexion pour revisiter l’histoire des femmes de Talaatay Ndeer et faire du 8 mars un moment des festivités. Il est vrai que le brouhaha des tamas peut ne pas être propice à l’expression porteuse de changements audacieux et…urgents.

Hom-Deff : cela ne s’invente pas !

Loin des célébrations festives organisées par toutes sortes d’associations et groupements féminins, souvent issus d’entreprises ou d’institutions, cette date du 7 mars est épinglée dans le calendrier national par une association dénommée Ndeer en Actions, au sein de laquelle, c’est à souligner, des hommes et des femmes défendent, animés par leurs convictions, les principes qui sous-tendent la quête d’un certain égalitarisme entre hommes et femmes pour faire rimer femmes et démocratie. C’est d’ailleurs une singulière particularité de Ndeer en Actions, que d’accueillir en son sein l’Association des Hommes pour la Défense des Droits des Femmes et des Filles, Hom-Deff, comme pour dire « l’homme fait », ça ne s’invente pas, tout en décernant des « Diplômes de Reconnaissance » chaque année à des hommes qui ont par leurs actes, contribué à faire avancer la cause des femmes et des jeunes filles.

Mame Binta Cissé incarne dans un enthousiasme entraînant Ndeer en Actions. MBC est politique, d’essence et de nature. Parce que son environnement a toujours été politique, dans son sens premier et le plus noble, celui rattaché à la racine « polis » qui évoque la cité et donc ses citoyens.

Mame Binta Cissé est conquérante, au sens où elle aborde les problématiques qui lui tiennent à cœur, avec le goût du combat, et l’objectif de la victoire, à travers les résolutions des problèmes.

Les cercles de femmes, n’ont plus de secrets pour cette dame de Rufisque qui a toujours mis un point d’honneur à participer ou organiser la journée internationale des femmes, créant en outre l’association « Ndeer en actions » en 2015, avec pour mission de faire du 7 mars une journée nationale des femmes commémorant Talaatay Ndeer.

En 2022, les réflexions portaient sur le comportement que devraient avoir les jeunes filles en milieu scolaire sur internet pour éviter les dérives et promouvoir l’égalité, en 2024 sur le rôle des hommes dans l’émancipation des jeunes filles et l’autonomisation des femmes en milieu urbain.

La session de réflexion de 2025, inspirée du principe qu’il faut « continuer le début et que ce n’est qu’un combat », proposait en ce mois de Ramadan un thème d’une grande acuité : « Femmes et Islam. Quelles réformes pour le Code de la Famille ? ».

Qu’il se soit agi de Madame Sophie Cissé, modératrice, ou d’Alassane Niang, spécialiste en Charia et législation islamique, ou  d’El Hadj Mbaye Bassine, Imam de la Mosquée de Keury Souf, tous ont évoqué la Sacralité de la Femme en Islam, et précisé sa place de choix, que certains ont choisi justement de ne pas voir… Il est vrai que notre particularité, réside dans le fait que les Sénégalais, souvent, ne comprennent pas…ce qu’ils savent.

Les acquis ne sont jamais définitifs et requièrent pour être pérennes, vigilance, sagacité et…convictions citoyennes.

Alors, que ce soit le 7 ou le 8 mars, ce qui est en jeu n’a rien à voir avec « la Fête des Femmes », mais avec « Le Droit des Femmes », lequel dans ce monde où le masculinisme à la Trump et à la Poutine pousse à chahuter certaines avancées acquises de haute lutte, nécessite vision, élégance, combativité et convictions.

Des activistes et universitaires appellent à la révision du code de la famille au Sénégal. Il semble exister une unanimité sur la nécessité de réformer le code de la famille. Mais conservateurs et progressistes ne s’entendent pas sur comment réformer ni sur quoi réformer. Selon le présent code de la famille au Sénégal, qui a pris un peu de poussières, seul un homme peut être reconnu comme chef de famille, décidant de quasiment tout. De l’endroit où vit la famille, à comment ou quand établir des documents administratifs à ses enfants, l’homme est le chef suprême de la famille. Ces réticences racontent quelque chose qui ressemble à une forme de régression.

« Touches pas à mon voile » !

La plateforme nationale des femmes musulmanes « Ndeyi Askann Wi » a pris des positions fermes contre l’agenda du genre et les politiques qu’elles jugent contraires aux valeurs traditionnelles sénégalaises.

Face à ce qu’elles considèrent comme une « propagande déguisée », alternant les termes « violences faites aux femmes » et « violences basées sur le genre », les membres de la plateforme dénoncent une tentative de normalisation des idéologies qu’elles rejettent. Selon elles, ces concepts sont utilisés de manière intentionnelle pour créer des amalgames et faire passer des idées contraires aux normes morales et religieuses du Sénégal.

« Nous refusons la féminisation de la famille », ont-elles déclaré, rappelant que pour elles, la quintessence de la cellule familiale réside dans l’union entre un homme et une femme, conformément aux valeurs islamiques et humaines universelles.

La ministre de la Famille et des Solidarités a été directement interpellée, à la limite de la menace : « Si vous choisissez l’agenda du genre, nous n’hésiterons pas à vous faire face ».

C’est la grande force du patriarcat et de notre société sexiste, qui est de réussir à diviser l’humanité en deux moitiés, puis de morceler l’une des deux moitiés en plein de petits groupes pour être sûr que les choses ne changent pas. Diviser pour mieux régner, en somme, et cibler l’influence des lobbies féministes et des organisations internationales, accusées d’imposer des idéologies étrangères au Sénégal.

Chronique du viol ordinaire

S’il existe un domaine où il est plus indiqué d’être de Ndeer du 7 mars, plutôt que de la bamboula du 8 mars, c’est assurément celui du grand danger, et du grand mépris que notre société sexiste et patriarcale destine et inflige à nos jeunes filles, nos très jeunes filles, violées dans une indifférence coupable, par des tontons, des « édukateurs » ou des précepteurs religieux, sans véritables châtiments, malgré l’adoption de la loi criminalisant le viol et la pédophilie. Malgré ces mesures draconiennes, les viols, les uns plus odieux que les autres, font légion dans le pays.

L’Association des juristes sénégalaises (AJS) rapporte que « sur 331 victimes de viol recensées en 2022, 43% avaient entre 4 et 14 ans ». Plus inquiétant encore, selon un rapport de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) cité par le journal du soir, le Centre de guidance infantile et familiale de Dakar a comptabilisé « 97 cas de viols ou d’incestes sur mineures et 21 cas de viols suivis de grossesse, avec une moyenne d’âge de 11 ans » sur la seule période 2016-2017 dans la région de Dakar.

Face à ce drame, les nouvelles autorités sénégalaises, élues en mars, restent muettes. Malgré la signature du protocole de Maputo en 2004, qui prévoit l’autorisation de l’avortement dans les cas extrêmes, aucun gouvernement n’a osé légiférer sur la question, craignant les pressions religieuses.

Malgré tout ce pouvoir des hommes, il serait temps que l’on parle d’autre chose que de parité et d’égalité, et qu’on exige enfin du respect pour ce genre qui est avant tout celui de nos mères, de nos sœurs et de nos filles. Quel que soit le niveau de pouvoir des hommes qui détruisent l’avenir de ces jeunes filles, quels que soient la beauté d’une jeune fille et l’attrait de ses atours, il faut que les hommes du Sénégal sachent que : « Un HOMME ça s’empêche ». Et comment « ça s’empêche » ? En calmant sa braguette en pensant à sa mère, à sa sœur, à sa fille. Tout simplement.

Le 8 mars c’est tous les jours qu’il faut le célébrer en faisant du respect absolu des femmes, de leur liberté et de leur dignité un enjeu essentiel de civilisation. Le Professeur Fatou Sow nous enseigne que « Cela permettra de reconstituer l’histoire de nos sociétés traditionnelles, qui a été construite par des femmes. A travers cette approche, il sera possible de restaurer des valeurs qui sont nôtres et de booster l’estime de soi des femmes et leur obligation à participer à la construction du pays ».

Et surtout, cela nous éviterait de vivre comme des bêtes.

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