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Bakku : architectures locales, arène universelle
Malick Mbow a été enfant. Et qui n’a pas été enfant ? Et qui a gardé son âme d’enfant ? Malick a encore la sienne intacte. Cette âme nourrit son art de rêve et d’enthousiasme. Et, la personne d’un certain âge qu’il est devenu pense à impulser un Bakku national…
C’est un enfant : il a la chevelure grise. C’est un enfant, par l’enthousiasme dont il fait preuve quand il montre son art. Et comme l’enfant de sept ans à qui on a offert feuilles, crayon noir, de couleurs et gomme, puis donné feu vert pour gribouiller, il gribouille. Il y a sans doute au bout de ses doigts le souvenir de cet écolier (qu’il fut et) qui avait décroché un prix lors d’un concours de dessin. Loin, le souvenir. Loin, le pays : c’était en Côte-d’Ivoire.
Loin, l’enfant, près, son esprit : le Maam dessine. C’est un enfant, il a une chevelure grise, s’habille complètement en noire. Il peint : pas de pinceau, pas de palette, pas de chevalet…juste un ordinateur. Le logiciel Paint est le chevalet, son pinceau.
Le logiciel Paint est sa palette, il est l’atelier. Monsieur Paint. Malick Mbow est un enfant : ce Maam gribouille sur un écran. L’enfant lauréat une vie auparavant, peignant à l’écran dans celle-ci en tant que Maam, nous donne sa définition du Paintisme. « C’est une conceptualisation qui remet en cause la façon de peindre qui est traditionnelle ».
Paintisme, pas encore officiel dans la section «P» des dictionnaires. Paintisme, l’enfant d’hier et Maam aujourd’hui en est le père. Ce Maam ne veut pas être un «magum xamoon naa ko». Il est dans le «waxoon naa ko». Il est dans le « jëf naa ko». « Le téléphone fixe, il est où ? », interroge-t-il. Dans son esprit, ce n’est qu’une question rhétorique.
Par-là, Monsieur Mbow veut ouvrir les yeux des artistes et autres sur ce fait : de même que le fixe est phagocyté par le mobile, la peinture classique le sera par celle qu’il a expérimentée et pratique.
Paternité de ça, anticipateur sur ce qu’on appelle maintenant digital painting, Malick Mbow est. Malick Mbow n’est-il pas aussi anticipateur sur l’idée de ces IA qui génèrent de l’image ?
Ce, dans le principe même d’utiliser le numérique quand tous se salissent les mains. Illustration : monsieur a fait une exposition, avec plus de 300 toiles…sur clé Usb. On imprime…et puis la vie continue. « C’est ça le concept nouveau de l’art »!
Philosophe du Bakku Ce Maam est en outre connu pour être architecte. Et quand on regarde dans l’écran de son passé, on voit qu’il a travaillé sur le projet de l’hôpital Pompidou. Qu’il a travaillé dans le projet du stade de France. Qu’il a travaillé dans la pyramide.
Qu’il a travaillé dans l’hôpital de Nancy. Après la Côte-d’Ivoire en effet, ce fut la France où, très jeune, il a eu la chance de toucher à ceci et cela. Ainsi, le qualificatif International qui accompagne le nom de son cabinet Archi Concept n’est pas qu’un adjectif posé là pour l’esthétique.
Le parcours, le parcours, le parcours ! Il en est fier, mais, il n’en « bàkku » pas. Lorsque M. Mbow doit « Bakku », il le fait dans un élan qui transcende sa personne, qui veut entraîner le pays !
« Un mouvement philosophique, culturel », c’est ce qui doit être compris, lorsque l’architecte évoque son Bakku, qui, pense-t-il, a son rôle à jouer dans le renouveau incarné par les nouvelles autorités étatiques. Bakku : « c’est le concept qui dit que le lutteur, quand il est dans l’arène », dansant, « n’offense pas les gens. Il montre sa puissance à travers l’esthétique, les pas de danse, les chants… ».
Paintisme, Picasso, sfumato : l’art, toujours à l’horizon… Le concept n’est pas encore dans la section «B» des dictionnaires. Mais, qui sait ! L’Allemagne et l’Europe et le monde ont connu quelque chose qui s’appelle le Bauhaus.
Rien n’empêche, et l’enfant-maam y croit fort, le Sénégal, l’Afrique d’offrir au monde le Bakku. Au sieur en lunettes noires d’inscrire son concept dans l’histoire architecturale du pays de la Teranga. Après Senghor et sa symétrie, d’autres qui se sont mis au néocontemporain, les Cheikh Ngom et Goudiaby qui sont venus avec quelque chose issue de ce néocontemporain, qui a proposé quoi de nouveau ?
Question rhétorique, dans l’esprit de l’architecte ! Sa vraie question est : « nous architectes, qui avons fait un peu l’international et qui sommes revenus, qu’est-ce qu’on propose de nouveau ? ». Il faut « bàkku », la réponse. Car, « on peut se rattacher à ça pour développer une architecture vraiment identitaire, culturelle ».
L’enfant qui a remporté le trophée, une vie auparavant, avait 1% de génie. Cette tête qui s’est grisée dans les chantiers a architecturé une réputation via 99% d’application et de perfectionnement. Les deux conjugués donnent le siège de la Société générale en Guinée, inspirée du masque Sénoufo et qui revêt une allure de modernité. L’architecture aujourd’hui prônée par Monsieur est donc une d’universelle mais qui part des matériaux locaux.
D’ailleurs, il est contre l’idée d’une architecture qu’on dit «sénégalaise» ou «africaine». Celle dont il parle est universelle et n’est universelle que parce qu’elle a son identité, son âme. Et, « c’est ça le Bàkku »…. Picasso sera évoqué et son nom sera répété par Malick Mbow.
Picasso est aussi évoqué sur l’un des murs de son bureau, sis à Sacré-Cœur 1. Evoqué, Picasso, dans Mandela, dans une « toile » montrant Nelson avec une face multiple qui témoigne de l’influence de Pablo. Peindre à l’écran d’ordinateur : pari réussi. Esquisser du Pablo Picasso sur écran : pari réussi. Donner l’impression de pierre sculptée : l’obsession du moment, et qui s’exprime sur la face multiple du leader sud-africain. Il fut aussi dans l’histoire un certain De Vinci qui avait l’obsession de la superposition de couches de peinture, technique qui rend si particulière la Joconde. Une autre toile, sur l’un des murs du bureau de Maam, fait penser à cette technique. Maam fait dans le sfumato. L’enfant est lui assis. Devant lui, d’autres toiles nées du Paintisme.
A sa gauche, une bibliothèque. Maam parle, et puis, l’enfant jaillit. Il bondit, sort de sa bibliothèque un livre, un chantier de livre. Des faces d’architectes, le long des pages.
Des façades de bâtiments, le long des pages. Faces et façades sont dessinées avec cette « conceptualisation qui remet en cause la façon de peindre qui est traditionnelle ». Et qui sait, de même que le Bauhaus, le Bakku pourrait avoir son manifeste, à l’occurrence, avec cette compilation que l’enfant-maam montre avec enthousiasme.
« Référence architecturale », l’expression lui tient à cœur ! Surtout, ce qu’elle incarne. Sandaga, la Direction de l’architecture et de l’urbanisme, ailleurs et ailleurs, on ne peut pas démolir à tout va ! On ne peut pas, selon Malick, toucher à ce point à l’âme de l’arène où le Bakku architectural doit se faire.
Parlant d’âme, toujours : M. Mbow est contre l’idée d’une architecture qui reproduit le même à l’infini. Même si on a « uniformisé l’architecture pour la rendre commerciale », selon M.M., « c’est aux architectes de refuser ».
Qu’il soit sur Paint ou sur des croquis de bâtiments, Malick Mbow fixe toujours l’horizon de l’art. Il fixe toujours l’horizon de l’esthétisme, qu’il définit comme « l’art de raffiner les choses pour en faire un objet exceptionnel ».
Et il y a là l’influence de l’école. Paris La Villette a-t-il fait, une école flexible, dit-il. Et, dit-il, où on combinait art et architecture.
Par Moussa Seck