EXCLUSIF SENEPLUS – Le grand artiste est parvenu à cet ultime paroxysme de la création et son œuvre, comme une pierre sacrée, nourrira plusieurs générations d’êtres de manière éternelle

Notre patrimoine littéraire est un espace dense de créativité et de beauté. La littérature est un art qui trouve sa place dans une époque, un contexte historique, un espace culturel, tout en révélant des vérités cachées de la réalité. La littérature est une alchimie entre esthétique et idées. C’est par la littérature que nous construisons notre récit qui s’inscrit dans la mémoire. Ainsi, la littérature africaine existe par sa singularité, son histoire et sa narration particulière. Les belles feuilles de notre littérature ont pour vocation de nous donner rendez-vous avec les créateurs du verbe et de leurs œuvres qui entrent en fusion avec nos talents et nos intelligences.
Issa Samb est sans conteste un créateur tout à fait unique dans le monde des arts du Sénégal. Eclectique et inclassable, il n’a pas cherché à composer, il a construit une œuvre qu’il a incarnée parce qu’il était à l’écoute de la vie tout simplement. Un artiste pur, authentique au sens humain qui savait dialoguer avec les autres par l’écriture, la peinture, la poésie. C’est cette alchimie qui nous est offerte dans Poto-Poto Blues.[1]
A travers un texte tout à fait étonnant dédié à Paul Lods, personnage singulier, peintre et enseignant, ami de Senghor et amoureux de l’Afrique, Issa Samb nous livre un récit où le « je » est un autre. Il raconte Pierre Lods qu’il connaît bien et s’approprie la beauté de la création artistique de son ami pour écrire un texte absolument poignant. Tout y est juste, émouvant dans la compréhension de la sensibilité de l’autre qui est aussi la sienne. Du coup, le lecteur s’élève à ce niveau de communion. La langue pour décrire les matériaux de la peinture, inspiration humaine de la nature, est splendide et possède une forte incarnation. C’est ainsi que les arts se rejoignent, il y a un réel partage de la beauté voluptueuse du monde. Lumière, couleurs, vapeurs de l’océan, drapé des tissus, ébène, cosmogonie enchanteresse, tout est rassemblé dans l’épaisseur saisissante, fascinante de l’Art Nègre.
« Lorsqu’on est l’autre, on a cet immense avantage de ne pas être trompé par les petites habitudes »[2], voici ce qui résume l’état d’esprit de Issa Samb qui se refusait toute vanité pour exprimer son art et pour vivre. C’est à travers le regard du double qu’il trouve la poétique de l’écrit, l’esthétique de la peinture, mouvement charnel, dense, il bâtit son œuvre dans le dialogue culturel qui réunit les artistes dans un monde parallèle où les frontières, les origines, les différences sont absentes. C’est un univers métaphysique, cérébral et humainement plein. « Nous devons aller ensemble à l’essentiel. A l’amitié. A la solidarité et à la fraternité. »
Quel bel exemple que ce cheminement à poursuivre dans l’espoir que les hommes et le monde se transforment pour parvenir à cette grandeur humaine.
Chez Issa Samb, ce ne sont pas que des mots, il y a une authenticité palpable et déchirante dans cette déclaration à l’autre.
Courtisé par les marchands, les politiciens, Issa Samb s’est battu pour demeurer un homme libre. Selon lui, l’artiste ne doit appartenir à aucun clan, « la liberté est son [seul] parti »[4]. La lucidité qui l’accompagne tout au long de son existence en fait un homme douloureusement inconsolable. Il redoute la perte des valeurs humaines, l’absence de respect pour les morts « [qui] se suivent et ne se ressemblent pas »[5], la disparition des idéologies qui construisent un futur, l’accélération de la misère, de la terreur, de la souffrance. Il dénonce les injustices pour ceux qui mendient pour manger, « pour passer, pour travailler », et le pouvoir des finances imperméable à la douleur « des hommes squelettiques ».
C’est ainsi que l’artiste se réfugie dans la création qui ne saurait être mensongère ou habitée de calcul. Le verbe est magnifique et une esthétique flamboyante embrase les phrases de Issa Samb : « Moi, je crée le vent, le temps, je t’invente une vie avec plusieurs paliers […]. J’y pose des couleurs et attends que le hasard t’invente une réalité ».[6]
C’est cette quête de l’absolu, celle d’une humanité reconquise, qui traverse la vie, l’œuvre de Issa Samb et cela nous transporte dans une bouleversante vérité.
Cette belle justesse se retrouve dans sa poésie qui offre parallèlement une esthétique mystérieuse. La langue est d’une grande beauté naturelle, sans fard, sans maquillage. Le regard du peintre s’aiguise et les couleurs, les matières éclatent pour former une poétique singulière, « l’odeur de la poussière efface la couleur des fleurs ».[7]
Peinture, poésie, essai, théâtre, opéra, tous les arts nourrissent l’œuvre de Issa Samb car ils représentent la vie sous toutes ses formes.
Le grand artiste sénégalais est parvenu à cet ultime paroxysme de la création et son œuvre, comme une pierre sacrée, nourrira plusieurs générations d’êtres de manière éternelle.
Car l’art est indestructible, il n’est pas poussière dans le vent, il est l’expression de la vie, des particules qui peuplent la terre et les airs, de la conscience humaine et de la beauté des cœurs.
« Et le soleil répand ses lumières
Et ce sculpteur trace ses lignes molles sur ce basalte
La mer à côté gonfle ses nerfs
Ses abîmes percées de mille autre soleils »[8]
Amadou Elimane Kane est écrivain, poète.