La demande d’intégration du Maroc à la CEDEAO, transmise à Son Excellence Ellen Johson Sir leaf, Présidente du Libéria, le 24 février 2017, a quasiment été entérinée. En effet, l’accord de principe a été obtenu ce dimanche 04 juin 2017. Les dirigeants ouest-africains ont ainsi donné leur accord de principe et ont « chargé la Commission d’examiner les implications d’une adhésion du royaume du Maroc au regard des dispositions des traités de la CEDEAO et de soumettre ses conclusions » au prochain sommet de l’organisation, selon le communiqué final. Cette nouvelle donne serait-elle profitable aux peuples comme le stipulent les textes fondateurs de l’institution mise en place en 1975. En termes de perspective, faut-il s’en inquiéter autrement ou s’en réjouir ?
Dans tous les cas, sur le plan démographique, la CEDEAO grossit de 35 millions d’individus, ce qui élargit le marché des consommateurs et déplace le centre de gravité de la zone. Mieux, le Maroc est un pays à revenu intermédiaire dont l’adhésion à la CEDEAO composée essentiellement de pays à faibles revenus pourrait redistribuer la carte d’influence des quatre grands pays de la zone, à savoir le Nigéria, le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, notamment en aidant à contre balancer le poids du Nigéria qui représente à la fois la moitié de la population et de la richesse de la zone.
Selon Rémi CARLIER de France 24, « si le Maroc, État structuré à la vision stratégique bien rodée, a tout à gagner en intégrant l’organisation ouest-africaine, il est moins sûr qu’une adhésion au bout du compte décidée à huis-clos par les chefs d’État de 15 pays plus fragiles apporte les retombées économiques attendues par les plus de 300 millions d’habitants de la région. ».
Toutefois, les autorités politiques de la CEDEAO estiment qu’il s’agit d’une opportunité à saisir !
L’analyse effectuée dans cette note ne porte que sur les relations bilatérales entre le Maroc et le Sénégal pour voir si celui-ci pourrait tirer partie de cette nouvelle donne.
Au préalable, il convient de rappeler que le Sénégal et le Maroc ont signé une convention générale commerciale et tarifaire depuis le 06 septembre 1966. Celle-ci prévoit l’Exonération des droits d’importation pour les produits originaires et en provenance des deux pays, figurant sur la liste jointe à la convention. Un autre protocole d’accord est également intervenu le 13 septembre 1987 pour actualiser la liste des produits concernés.
Pa ailleurs, la mobilité des personnes est effective entre nos deux pays eu égard aux liens historiques et culturels qui les unissent. Les voyages sont effectués sans formalité de visa.
S’agissant du commerce extérieur entre les deux pays, le SENEGAL est largement déficitaire au profit du Maroc.
En effet, les exportations du Sénégal vers le Maroc demeurent faibles, évaluées en moyenne à 3, 4 milliards FCFA par année, soit 0,3% des exportations totales du Sénégal pour toute la période 2011-2015. Elles concernent essentiellement des produits alimentaires primaires, notamment : (i) les poissons/crustacés et mollusques, (ii) les fruits comestibles, écorces d’agrumes ou de melon, et (iii) les produits de parfumerie et de toilettes et dans une moindre mesure le miel naturel.
Par ailleurs, le Maroc exporte vers le Sénégal principalement des produits énergétiques, des fils et câbles électriques, des produits alimentaires, des médicaments et des produits de confection. Les importations du Sénégal en provenance du Maroc enregistrent une hausse moyenne annuelle de 14% sur la période 2011-2015, reflétant le dynamisme de la pénétration des produits marocains au Sénégal. Elles sont passées ainsi de 26 milliards en 2011 à 43,2 milliards en 2015.
Source : nos calculs à partir des informations de la note d’analyse du commerce extérieur de l’ANSD
En conséquence, le solde est déficitaire au profit du Maroc de 30,5 milliards FCFA en moyenne sur la période 2011-2015.
Le Maroc est favorisé dans le cadre des échanges par son développement industriel ; ce qui explique pourquoi, le Sénégal n’y exporte que des produits primaires tandis que le Maroc vend au Sénégal des produits finis à plus haute valeur ajoutée.
Analyse des risques et profits de l’intégration
Les échanges entre les deux pays devraient s’intensifier, en raison de l’adhésion du Maroc à la CEDEAO qui verra la suppression du Tarif extérieur commun de l’UEMOA (04 bandes) et celui de la CEDEAO (05 bandes).
Toutefois, cette situation pourrait menacer à priori trois secteurs au Sénégal :
- L’industrie pharmaceutique composée, outre de Valdafrique, des firmes internationales telles que Pfizer et Laborex (dans le secteur de la distribution). Convient-il de noter tout de même que le Maroc a implanté une industrie de reconditionnement des produits pharmaceutiques dénommée West Afric Pharma.
- Les Industries chimiques du Sénégal (ICS) avec la production d’engrais, de phosphate et d’acide phosphorique. L’Office Chérifien des Phosphates (OCP), leader mondial en matière de production de phosphate pourrait récupérer beaucoup de parts de marché aussi bien au Sénégal que dans la sous-région, notamment le Mali, le Burkina Faso, le Niger, etc.
- Les compagnies aériennes nationales des pays membres de la CEDEAO, à l’instar de SENEGAL AIRLINES pourraient être davantage concurrencées par la compagnie marocaine royal Air Maroc.
En outre, le Maroc, devenu hub de production et de montage de véhicules automobiles pourra également vendre ses véhicules au Sénégal et dans la sous- région CEDEAO, à un prix compétitif ; ce qui devrait mener une pression à la baisse des prix de l’automobile au grand bénéfice des populations.
Mieux, de par sa position, le Sénégal et le Mali sont les pays les plus proches du Maroc. Ces deux pays devraient intensifier le commerce avec ce dernier.
Sur le plan environnemental, le Sénégal et l’ensemble des pays membres de la CEDEAO pourront bénéficier de l’expérience marocaine en matière de promotion du développement durable à travers l’économie verte avec une bonne gestion des déchets (recyclage et valorisation énergétique), le développement des énergies renouvelables, la réhabilitation des terres dégradées, etc. L’Initiative 3S (sécurité, stabilité et durabilité) lancée lors de la Cop22 par le Sénégal et le Maroc avec l’appui de l’UNCCD et des Chefs d’Etats Africain, pour freiner la migration des jeunes au travers de la lutte contre la désertification et des effets adverses du climat ainsi que la promotion des métiers verts, dans les pays africains sahélo sahariens constitue un exemple à suivre et à renforcer.
Par ailleurs, au niveau régional, la Commission de la CEDEAO pourra bénéficier des apports financiers du Maroc en tant que pays membre devant contribuer à hauteur de 0,5% de la valeur de ses importations de biens et services. Cette contribution serait précieuse dans la mesure où les importations du Maroc sont de 51,3 milliards de dollar US en 2014, correspondant à une contribution de 256 millions dollars US. Cette contribution serait la bienvenue dans ce contexte marqué par la récession au Nigéria, consécutive à la baisse prolongée du prix du baril de pétrole, principale source de revenus de ce pays qui est le premier contributeur.
Dans le même sillage des avantages sont escomptés dans le cadre de l’implication des forces armées royales marocaines dans la force ECOMOG. En effet, la zone CEDEAO est marquée par l’instabilité de beaucoup de pays tels que le Nord du Mali, le Niger et le Nigéria avec Boko Haram. L’expertise et l’équipement de l’armée marocaine devraient favoriser le relèvement du niveau de l’ECOMOG.
Nous pouvons enfin prévoir une hausse des investissements directs étrangers marocains dans la région CEDEAO en général et au Sénégal en particulier et par la suite un transfert de technologies consécutif à un partenariat mutuellement bénéfique entre les investisseurs marocains et ceux des autres pays de la CEDEAO, dont le Sénégal. Les IDE peuvent prendre la forme de redéploiement des unités industrielles marocaines telles que l’implantation d’une usine de production de phosphate au Sénégal ou de chaussures en collaboration avec les artisans de Ngaye. Les terres arables du Sénégal seront également convoitées par le Maroc en proie à une raréfaction de l’eau dans la zone. Une stratégie optimale pourrait permettre de favoriser l’agro business tourné vers l’exportation avec un pourcentage dédié à la consommation locale.
Dans le sillage des IDE, nous savons déjà que le secteur bancaire, à travers le groupe ATTIJARIWAFA BANK se déploie dans la zone et que des projets immobiliers prennent forme dans les pays de la zone.
Dans le secteur financier, une harmonisation des bourses de Lagos, d’Abidjan (BRVM) et de Casablanca devrait augurer des lendemains meilleurs et favoriser le financement des économies de la zone ainsi que l’inclusion financière encore faible. Bien entendu, le projet de monnaie unique de la CEDEAO, initialement prévu en 2020 avec la convergence de la seconde zone dite ZMAO, constituée des pays n’appartenant pas à l’UEMOA trouve encore toute sa pertinence avec cette nouvelle situation, même si les délais pourraient être revus. A terme, une zone CEDEAO avec une monnaie unique et une union bancaire favorisant l’émission de titres publics et/ou privés tels que les emprunts obligataires à l’échelle de la zone offrirait un large spectre pour l’essor du secteur privé et par ricochet la création de richesse, l’emploi des jeunes et la réduction de la pauvreté.
Au total, le Sénégal et l’ensemble des autres pays de la CEDEAO doivent se préparer à saisir les opportunités et faire face aux menaces liées à l’adhésion du Maroc dans la zone.
Souleymane DIALLO
Ingénieur Statisticien Economiste
Directeur de Cabinet du Ministre
de l’Environnement et du Développement durable
source : Dakar Actu