DECRYPTAGE. Le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) a remis aux pouvoirs publics son rapport sur les éventuelles faiblesses de la réglementation incendie dans les bâtiments. Quels en sont les principaux enseignements ?
Un mois après avoir été missionné par les pouvoirs publics pour réaliser un audit de la réglementation incendie dans les bâtiments, le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) a remis sa copie. Le rapport est disponible sur le site de l’organisation. « Les objectifs de la mission consistent à identifier les éventuelles faiblesses dans la réglementation française des bâtiments d’habitation » et à faire des préconisations d’évolution des textes reglementaires. L’objectif est de limiter au maximum les risques de voir le scénario de la tour Grenfell se reproduire en France.
Si plusieurs spécialistes du sujet affirment que la réglementation incendie française est parmi les plus exigeantes qui existent, il semblerait toutefois, à la lecture du rapport du CSTB, que des « trous dans la raquette » existent. Notamment en ce qui concerne le risque de propagation du feu en façade et certains points relatifs aux bâtiments de quatrième famille (1) – la catégorie qui se situe en-dessous des immeubles de grande hauteur (IGH) de plus de 50 mètres. Batiactu vous propose un tour d’horizon.
Les réglementations thermiques ont augmenté la masse de combustible dans les bâtiments
Le CSTB prend tout d’abord acte du fait que les réglementations thermiques successives ont « augmenté la masse de combustible »en nécessitant des couches d’isolation de plus en plus larges (4cm jusqu’en 1988, puis 7cm, 10cm, jusqu’à 15cm avec la RT2012). Cela est vrai en façade comme en intérieur. L’ITE a toutefois bénéficié en priorité de cette évolution réglementaire, dans un souci de traitement des ponts thermiques. « Alors que dans les années 80 l’ITE restait très marginale, aujourd’hui, selon la base de données RSET 6, la part de marché de l’ITE en construction neuve est de l’ordre de 15% pour les bâtiments de 1ère et 2ème familles, 25% pour les bâtiments de 3ème famille, et 50% pour les bâtiments de 4ème famille » (1), peut-on lire dans le rapport du CSTB. Les bâtiments de 4ème famille sont donc particulièrement exposés.
En ce qui concerne les matériaux isolants, le CSTB note deux dimensions qui ne sont, pour l’instant, pas pris en compte dans la réglementation. Il s’agit des feux couvant(apparition d’une combustion sans flamme suite à un échauffement du produit) et du « maintien dans le temps des performances de comportement au feu au cours de la vie d’un ouvrage ».
De plus en plus de matériaux combustibles en structure
Une autre tendance qui s’est développée sur la base des réglementations les plus récentes est l’utilisation de solutions constructives multi-matériaux ou en matériaux combustibles, dans le secteur résidentiel. Le rapport pointe précisément le projet de construction, dans le cadre de la Nouvelle France industrielle, de dizaines d’IGH en bois. « Ces projets de construction sont aujourd’hui encadrés pour les immeubles de grande hauteur », précise toutefois le CSTB, « mais pas pour les bâtiments d’habitation, et notamment les bâtiments de la 4ème famille ».
Ainsi, l’usage de plus en plus fréquent de « matériaux combustibles » dans les constructions devraient faire l’objet « d’études d’ingénierie de la sécurité incendie dans les domaines de la résistance et/ou de la réaction au feu ».
La question de la résistance au feu des matériaux en façade
« Au vu des retours d’expérience et de quelques sinistres constatés, les exigences de réaction au feu des matériaux et revêtements de façade des bâtiments d’habitation (…) apparaissent insuffisantes », affirme clairement le CSTB. Le sujet est d’importance, car on soupçonne les panneaux de façades d’être la cause de la rapidité de propagation du feu, lors de l’incendie de la tour Grenfell.
Par ailleurs, le CSTB note que « l’exigence de réaction au feu des revêtements de façades est plus contraignante chez nos voisins européens en particulier pour les bâtiments d’habitation dont la hauteur du plancher du dernier niveau dépasse les 8 mètres ». Ainsi, la réglementation incendie française n’est visiblement pas la plus exigeante sur tous les plans.
Enfin, le CSTB milite pour que des précisions réglementaires soient apportées au sujet du risque propagation. « Dans l’arrêté du 31 janvier 1986 modifié, dans lequel la partie sur les façades n’a pas été modifiée depuis 1986, l’objectif de sécurité pour la propagation du feu en façade n’est pas explicite. De plus, les exigences des articles 11 à 14 sur les façades ne portent que sur une valeur de C+D (2) à respecter à minima en fonction de la masse combustible mobilisable présente en façade et sur une exigence de réaction au feu du revêtement extérieur », peut-on lire dans le rapport préliminaire.
« La composition de ces combustibles peut grandement favoriser la propagation du feu via la façade mais peut également augmenter fortement la quantité de fumées libérées », affirme également le CSTB. Fumée qui peut s’avérer être toxique.
Des bâtiments existants « très vulnérables »
« Tous les immeubles dont la date de dépôt de la demande de permis de construire est antérieure au 31 décembre 1960 n’ont pas fait l’objet d’une demande de conformité à des obligations réglementaires relatives à leur protection contre l’incendie », alerte le CSTB. « Ces bâtiments sont donc potentiellement très vulnérables. »
Propagation du feu d’un bâtiment à l’autre
Le rapport de l’organisme estime également que les exigences de propagation du feu vers un tiers apparaissent insuffisantes, « notamment pour les bâtiments de 4ème famille ».
LES NEUF PRECONISATIONS DU CSTB :
Préconisation n°1 : Réviser l’arrêté du 31 janvier 1986 modifié en s’appuyant notamment sur les travaux des différents Groupes de Travail pilotés par la DHUP entre 2011 et 2014. Il s’agira de réviser l’ensemble de la réglementation sécurité incendie habitation. Le CSTB préconise par ailleurs d’introduire la mise en place d’un processus de révision périodique du règlement de sécurité incendie.
Préconisation n°2 : Clarifier la règlementation applicable pour les bâtiments à usages mixtes. La coexistence de différents règlements rend la détermination de la réglementation applicable incertaine pour les bâtiments d’habitation de moins de 28 mètres, créant ainsi des erreurs d’interprétation. Dans le but recherché d’éviter ces situations, le CSTB préconise de réviser l’arrêté du 31 janvier 1986 modifié afin de préciser et compléter la réglementation incendie dans le cas d’usages mixtes au sein d’un même bâtiment à usage principal d’habitation pouvant intégrer des ERP ou des bureaux.
Préconisation n°3 : Construire une réglementation relative à la protection contre l’incendie des bâtiments d’habitation adaptée aux travaux de rénovation, en transcrivant la circulaire du 13 décembre 1982 dans le corpus réglementaire et en réécrivant l’ensemble des articles s’y rattachant.
Préconisation n°4 : Renforcer les exigences sur les dispositions constructives des façades (refondation de l’instruction technique 249).
Préconisation n°5 : Faciliter la prise en compte de l’innovation dans l’analyse du risque incendie.
Préconisation n°6 : Renoncer au classement français de réaction au feu dans les textes réglementaires relatifs à la sécurité incendie des bâtiments. Le CSTB invite à renoncer au classement français pour basculer sur le système de classification dit des Euroclasses, correspondant au classement européen des produits. En effet, l’évaluation européenne permet de prendre en compte le procédé dans ses conditions finales d’usage, alors que l’évaluation française se limite au matériau.
Préconisation n°7 : Faire réaliser un audit de sécurité incendie de tous les bâtiments d’habitation de 4ème famille, sous la responsabilité des propriétaires et gestionnaires. Il aurait pour objet d’analyser et d’évaluer le risque qu’un incendie ponctuel devienne non-maîtrisable. Il consisterait en un examen des façades et de l’état des parties communes du bâtiment. Sur cette base, son coût moyen devrait être de l’ordre de 1500 € par bâtiment. Le nombre de bâtiments de 4ème famille est estimé entre 10.000 et 15.000. Une copie de l’audit serait remise aux services de la mairie qui pourrait, en raison de circonstances particulières et en vertu de ses pouvoirs de police générale, prescrire la mise en sécurité du bâtiment en fixant le délai imparti pour l’exécution de ces mesures.
Préconisation n°8 : Le CSTB préconise de renforcer l’éducation citoyenne au risque incendie en rappelant les règles de bonne conduite en prévention et en cas de survenance d’un feu d’autre part au travers de campagnes d’information et de sensibilisation menée par les propriétaires et gestionnaires de parc mais aussi dans les établissements
scolaires en application de la circulaire du 24 mai 2006 relative à l’éducation à la responsabilité.
Préconisation n°9 : Accompagner l’innovation par l’acquisition de savoirs scientifiques indispensables à la maîtrise de la sécurité.
(1) Habitations dont le plancher bas du logement le plus haut est situé à plus de 28m et à 50m au plus au-dessus du niveau du sol utilement accessible aux engins des services publics de secours et de lutte contre l’incendie.
(2) Le C+D correspond à la somme de deux distances géométriques exprimée en mètres : le C correspondant à la distance verticale séparant deux ouvrant en façade ; le D correspondant à la distance horizontale entre le plan extérieur des éléments de remplissage et le nu extérieur de la façade, à l’aplomb des baies superposées, saillies incluses si elles forment un obstacle résistant au feu.
source : Bati Actu