Art oratoire : Le « taaxuran » en quête d’un nouveau souffle

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Si le yéla, le pékane et le wango font penser au Fouta, le « taaxuran » renvoie au Baol. Dans cette partie du pays, riche de ses expressions culturelles, cet art oratoire qui revêt une fonction historique, didactique et récréative, source de fierté et élément indispensable de la vie culturelle, tend à disparaître progressivement. Pour les puristes de la musique traditionnelle, ce genre folklorique, le « taaxuran », est en pleine décrépitude par rapport aux autres rythmes. Et selon les acteurs culturels, il nécessite une sauvegarde urgente pour redonner une nouvelle vigueur à ce chant populaire, afin qu’il puisse retrouver la place qui fut jadis la sienne aussi bien dans le Baol que dans le Cayor.

Art oratoire : Le « taaxuran » en quête d’un nouveau souffle
Art oratoire : Le « taaxuran » en quête d’un nouveau souffle

La musique, dit-on, adoucit les mœurs, mais le chant rythmé comme le « taaxuran » revigore les troupes, les amène à aller plus vite dans les tâches qui leur sont assignées. Dans le Baol, ce rythme d’animation populaire était exécuté lors des travaux collectifs, notamment les semailles, les récoltes, les constructions communautaires de grande envergure. Ndiol Niang, Niaw Thiaw et Samba Sow, pour ne citer que ceux-là, résument à eux seuls cet art autrefois très populaire dans le Baol, mais aussi dans le Cayor. Ces grands spécialistes de l’oralité dont le répertoire se résume en des louanges, des hauts faits des ascendants, sur la vie et l’œuvre d’un guide religieux, ont laissé à la postérité des œuvres musicales pleines de symboles.

Le « taaxuran », selon les gardiens de la tradition orale, a accompagné les habitants du Baol dans le processus de défrichement des terres. L’initiateur serait Ndiol Niang. Alé Niang, historien, chanteur, batteur et spécialiste en contes et légendes, confirme. « Le « taaxuran » a été créé par Ndiol Niang », nous dit ce communicateur traditionnel considéré comme une vraie mémoire vivante du Baol.

Cette forme d’art vocal, indique-t-il, s’est ensuite largement répandue. Il n’est un secret pour personne que pour récolter ses champs, Serigne Fallou Mbacké faisait toujours appel à Ndiol Niang pour galvaniser les condisciples à la récolte de plusieurs hectares d’arachide, rappelle-t-il. « Serigne Fallou Mbacké avait des champs qui s’étendaient à perte de vue. Des lenteurs étaient constatées lors de leur défrichage. C’est alors que le saint homme a fait appel à Ndiol Niang, un maître du « taaxuran » qui est venu galvaniser les gens qui étaient là. Dès qu’il a fait des déclamations, ils sont devenus très dynamiques », renseigne Alé Niang.

Pour Samba Awa Ndiaye, le « taaxuran » fait partie intégrante des facettes culturelles et artistiques du Baol. Ce communicateur traditionnel, très connu d’ailleurs à Diourbel, nous fait d’emblée savoir que Niaw Thiaw, Ndiol Niang, Samba Sow, Alioune Ndiaye sont les précurseurs de cette époque où, après les travaux champêtres, la vie était rythmée par des spectacles de « taaxuran » ou de séances de lutte qui faisaient évader certains pour suivre les troubadours.

Comme dans le Cayor, dit-il, le « taaxuran » était également très ancré dans la tradition au Baol. Certains gardiens de la tradition perpétuaient ce rituel à travers une troupe qui était, nous dit-on, composée exclusivement d’hommes dont un parolier confirmé, des danseurs hors pair et de percussionnistes talentueux, le tout dans une tenue immaculée.

Mais, la particularité du « taaxuran » est que les maîtres de cet art oral transmettaient, à l’époque, des messages très importants, instructifs et qui galvanisaient les gens au travail. Selon El Hadj Bara Ngom, communicateur traditionnel que nous avons interrogé sur le sujet à Diourbel, ceux qui exhibaient le « taaxuran » étaient assimilés à de grands communicateurs.

« Ils étaient également maîtres dans l’art de l’entretien, de l’oralité et du rythme associés à toutes les formes de l’activité collective. Car, ils étaient conscients que seul le travail paie et que l’homme doit bien travailler pour subvenir à ses besoins sans compter sur qui que ce soit », indique-t-il.

Un art en perte de vitesse 
Ainsi, le « taaxuran » a connu, au Baol, des périodes fastes avec l’avènement de Mame Cheikh Ibra Fall qui, pour galvaniser ses talibés sérères dans les champs, les autorisait à battre le tam-tam et à danser en lieu et place des zikrs. « C’était une belle manière de motiver les gens au travail, surtout durant les travaux champêtres pour galvaniser les cultivateurs. Aujourd’hui, c’est ce qui manque aux générations actuelles, une conséquence de la baisse de pavillon de ce chant séculaire face aux notes de la modernité », renseigne le communicateur traditionnel.

Il est bien loin le temps où le « taaxuran » rythmait les travaux champêtres, mais aussi l’époque où les soirées récréatives avaient la cote et drainaient beaucoup de monde dans le Baol. « Ndiol Niang était régulièrement invité pour animer des soirées payantes. Il n’était pas le seul. Il y avait aussi d’autres maîtres du « taaxuran ». Mais tout cela, c’est fini. La musique moderne a tué pas mal de faits historiques. Aujourd’hui, si un Alé Niang jouait et qu’on dise que Youssou Ndour était à côté, je ne verrai personne », soutient Alé Niang.

Pour El Hadji Bara Ngom, les chants de khassaïdes, les zikrs de Baye Fall et les rappeurs sont autant de phénomènes sociaux qui menacent, de façon considérable, la pratique de cet art. Ces expressions ont fini de prendre le dessus sur toutes les autres dans la capitale du Baol où, il est même rare de voir des jeunes se retrouver dans des boites de nuit,  qui n’existent plus d’ailleurs.

El Hadj Bara Ngom pense qu’il est « impératif de repenser notre culture pour permettre aux générations actuelles et celles à veni,r de mieux comprendre la vie qui était enseignée à travers des messages comme ce fut le cas lors des séances de « taaxuran » et d’autres activités culturelles de l’époque ». Il invite le ministre de la Culture, à défaut de réhabiliter ces rites, à demander aux groupes locaux à véhiculer leur importance pour les populations.

« Le « taaxuran » fait partie de nos traditions, de nos cultures comme l’est le « ndiam », le « ngomar », le « bawnaan » ou encore le « reub khodane » », explique Alé Niang. Toutes ces richesses, dit-il, ont, aujourd’hui, disparu. « Les gens qui l’aimaient et le pratiquaient avec une passion inégalable, sont partis. On nous a inculqué d’autres civilisations et l’on a oublié la nôtre. Cela est vraiment regrettable et ce que je condamne, c’est le fait qu’on n’ait pas intégré la tradition dans le système éducatif. C’est le ministère de l’Education nationale qui devait le faire, mais cela n’a pas été fait », soutient-il.

Art oratoire : Le « taaxuran » en quête d’un nouveau souffle 
Malgré cette présentation un peu alarmiste de la situation, certains artistes musiciens essaient tant bien que mal de préserver cette richesse culturelle. Alioune Ndiaye fait partie de ceux-là. Ce bonhomme a grandi dans le milieu de la musique, si bien qu’en 1981, alors qu’il n’était âgé que de 20 ans, il est devenu un grand batteur. Et deux ans plus tard, il créé son propre groupe « déglou djarignou » et obtient, par la même occasion, sa carte du Bureau sénégalais des droits d’auteur (Bsda), grâce au soutien de feu Doudou Ndiaye Rose.

Alioune Ndiaye qui travaille à la Maison de la Culture fait, aujourd’hui, partie des acteurs du « taaxuran », genre qu’il a seulement démarré en 1997. « Mon père a accompagné feu Ndiol Niang. Au début, il n’y avait que lui, Samba Sow et Niaw Thiaw qui vivait, à l’époque, à Thilmakha. Mais Ndiol Niang est devenu une icône dans cet art oratoire grâce à sa belle voix. Il avait un répertoire riche de chants sacrés et légendaires et ses déclamations étaient uniques », explique-t-il. Aujourd’hui, ses héritiers, Mor et Modou Niang, ont repris le flambeau.

Comme batteur, Alioune Ndiaye a accompagné Samba Sow, Allé Fall et Niaw Thiaw. En dehors des travaux champêtres, explique-t-il, le « taaxuran » est entonné lors des rassemblements festifs et d’autres formes de rencontres sociales. « De grandes soirées et veillées récréatives étaient organisées dans les villages. C’était des moments uniques pour louer la bravoure, la générosité de certains, mais aussi pour vilipender les cupides, dénoncer les mauvais payeurs, les personnes inhospitalières, les personnes plus laides, les plus insolentes. Celui qui avait des choses à se reprocher, n’était pas autorisé à aller à ces soirées-là », raconte-t-il.

Aujourd’hui, regrette-t-il, le « taaxuran » est un art délaissé. « Il n’intéresse plus un grand monde parce qu’il ne rapporte pas beaucoup d’argent », déplore-t-il. Et pourtant, note-t-il, « le « taaxuran » est un art plein de valeurs». Mais, souligne-t-il, « on ne lui a pas donné la place qu’il faut ».

Aujourd’hui, fait remarquer Alioune Ndiaye, certains précurseurs de cet art ne sont plus de ce monde et d’autres ont vieilli. Du coup, cet art a été laissé pour compte. « Il n’est plus besoin de démontrer l’importance du « taaxuran », qui est plus que menacée. C’est une bonne musique qui ne doit pas mourir, qu’on doit à tout prix préserver.

Et c’est à la jeune génération de s’approprier la pratique réelle de cet art qui a tendance à s’effriter, mais les jeunes ne s’intéressent plus au « taaxuran » », déplore Alioune Ndiaye, qui rappelle l’importance de préserver ces valeurs traditionnelles afin que les générations actuelles et futures puissent s’en inspirer.

Redonner au « taaxuran » son lustre d’antan constitue l’un des combats de cet artiste qui a signé un bail avec l’Orchestre national en 1995 puis en 2005 et qui a remporté, en 1997, le Grand prix du chef de l’État, option musique traditionnelle. Ce fervent défenseur du « taaxuran » travaille également à lui donner un rayonnement international. « Je me bats pour mettre sur pied une structure pour enseigner le « taaxuran » pour qu’il ne se perde pas. Actuellement, je suis à la recherche de partenaires pour revaloriser cet art », fait-il savoir. De même, il invite l’État, le secteur culturel notamment, à prendre des mesures concrètes pour préserver et promouvoir les valeurs uniques des expressions orales comme le « taaxuran ».

Pour Alioune Ndiaye, la révolution notée dans la musique ne doit pas tuer certaines pratiques. « Aujourd’hui, nos instruments traditionnels sont délaissés au profit des instruments modernes. Il y a un désintérêt de nos musiciens par rapport à nos instruments traditionnels alors qu’au même moment, des musiciens étrangers viennent au Sénégal s’y intéresser et les valoriser ».

Paradoxal, selon Alioune Ndiaye. « À l’école des Arts, plus de 90 % des pensionnaires ne sont intéressés que par les instruments modernes. Ils se penchent beaucoup plus sur la musique dite moderne », indique Alioune Ndiaye, qui fait partie de ces artistes qui, malgré l’avancée notoire des technologies, gardent une certaine authenticité dans la pratique de son art. « La musique traditionnelle doit nécessairement garder une place non négligeable dans le répertoire musical national et c’est l’État qui doit faire la politique de la musique traditionnelle et lui redonner plus de valeur », soutient-il.

Des politiques concrètes doivent, à son avis, être sérieusement envisagées pour préserver et maintenir haut la flamme de la musique sénégalaise, inspirée de nos richesses traditionnelles.

source : Leral

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