Au Maroc, en Algérie ou en Tunisie, cela fait des années que les populations, toutes régions confondues, vivent un véritable enfer pour leur approvisionnement en eau : coupures soudaines durant plusieurs jours consécutifs, eau courante imbuvable, déficit cruel d’irrigation agricole… Et le Maghreb, qui vit au-dessus de ses moyens hydriques, risque de voir la crise s’aggraver dans les prochaines années si rien n’est fait. État des lieux.
Le Maroc est l’un des premiers pays du Maghreb à avoir reconnu l’ampleur de la menace, en annonçant la mise en place, mardi 27 novembre, un vaste programme 2018-2025 pour l’approvisionnement en eau potable et en eau d’irrigation (voir ci-dessous). Il y a peu, la Banque mondiale avait elle aussi établi un verdict sans appel, dans son rapport intitulé « Au-delà des pénuries la sécurité de l’eau au Moyen-Orient et en Afrique du Nord », publié à la fin août, qui faisait écho aux nombreux mouvements sociaux dénonçant une situation de plus en plus insupportable pour les habitants de la région. Et l’institution n’a pas ménagé les pays ciblés, dès le préambule de son rapport : « De tous les problèmes auxquels est confrontée la zone MENA, c’est la crise liée à l’eau à laquelle elle est la moins prête à faire face ».
La BM souligne que ce sont les mêmes pays qui « érodent déjà leurs ressources en eau », et que les efforts d’investissements et d‘innovations sont insuffisants, en parallèle d’un rythme de prélèvement d’eau outrancier et d’une « médiocre gouvernance ». Une accusation que confirment les manifestants, de Ouarzazat à Médenine, ainsi que les militants et les experts, qui s’époumonent depuis des mois, voire des années, à avertir de l’urgence de la situation. Le point, pays par pays.
Au Maroc, la « Révolution de la soif » accélère l’action du gouvernement
Après le feuilleton d’Al-Hoceïma dans le Rif, les manifestations de la soif se sont succédé au Maroc. Depuis le début de l’été 2017 – là où le besoin d’eau se fait le plus ressentir – les régions du sud-ouest subissent de longues coupures d’eau, alors que celle-ci « n’est elle-même pas buvable », accuse Jamal Akchbabe, président de l’Association des amis de l’environnement de Zagora. Dans cette ville, les protestataires peinent d’abord à être pris au sérieux, malgré plusieurs rassemblements durant les mois de septembre et octobre, réprimés par les autorités. Mais les habitants de cette province du sud du Maroc ont finalement eu gain de cause, après que Rabat s’est préoccupé de la situation et a créé, fin septembre, une commission spéciale pour étudier les mesures d’urgence à prendre.
La pénurie de l’eau dans la région de Drâa-Tafilalet, aux portes du Sahara où se situe Zagora, est connue pour son climat aride et extrêmement chaud. Traditionnellement, la région connaissait une année sèche suivie de cinq années pluvieuses. Or depuis une vingtaine d’années, le climat alterne entre une année pluvieuse et une année sèche, selon les experts agricoles. Une perturbation climatique qui affecte grandement les réserves d’eau potable du royaume, dont 90% sont utilisées pour l’agriculture. Mais seulement 15% des terres sont irriguées, ce qui laisse les 75% restantes à la merci des précipitations, qui sont de plus en plus rares.
C’est pourquoi, en collaboration avec la branche marocaine de l’Association pour un Contrat Mondial de l’eau, le Comité ministériel de l’eau du gouvernement Othmani s’est réuni et a annoncé, le 27 novembre, la mise en place d’un programme 2018-2025 prévoyant la construction de 25 barrages, soit 5 par an pour la période 2017-2021, ainsi que de « dix petits barrages annuellement » et l’augmentation des capacités de stockage des barrages existants. L’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE) développera également son projet dans les régions et villages qui n’étaient pas concernés par ses anciens programmes, ceci afin de réduire les disparités territoriales de distribution de l’eau. Enfin, l’ONEE prévoit de remplacer les systèmes d’irrigation traditionnels par des systèmes localisés modernes pour la distribution d’eau à 51 000 hectares supplémentaires par an.
En Algérie, le gaz de schiste avant l’eau
Le chiffre est inquiétant : début septembre, 16 wilayas algériennes sur 48 ont rapporté un déficit d’eau. À Annaba, dans l’est, une pénurie est signalée depuis la fin de l’été, due à la baisse considérable des volumes d’eau emmagasinés dans le barrage Cheffia, qui alimente la ville, à son plus bas niveau de remplissage, ce qui le rend inexploitable, selon le ministère algérien des Ressources en eau.
Début août, les wilayas algériennes ont rejoint à leur tour les manifestations de la soif, notamment à Mila, Setif, Tizi Ouzou, Khenchla ou Tiaret. Les habitants ont investis les assemblées populaires communales – les conseils municipaux algériens – ainsi que les locaux de l’Algérienne des eaux, le principal opérateur du pays dans le domaine.
L’eau du robinet en Algérie. Qui a soif ? pic.twitter.com/dCQj9hNDrx
— SNOUSS (@BenaraibiM) 20 août 2013
Ces régions sont habituées aux pannes d’eau, courantes l’été, période durant laquelle l’État tente de réduire la consommation excessive de la ressource. Sauf que, cette année, l’attente a duré plus longtemps que d’habitude. L’État a donc eu recours aux camions citernes, circulant dans les quartiers et alimentant les foyers en eau. Cette stratégie a été néanmoins insuffisante : les sétifiens se sont retrouvés dans l’obligation d’acquérir des citernes d’eau, vendues au prix fort (18.50€), ou de simples bidons d’eau, vendus sans encadrement ni contrôle des autorités.
Par ailleurs, le gouvernement a donné son feu vert pour le lancement de l’extraction du gaz de schiste, une opération qui requiert des quantités significatives d’eau – alors qu’elle n’est pas disponible en continu pour les habitants depuis l’été 2017 – malgré la loi de 2005 sur l’eau qui accorde la priorité de l’exploitation et la distribution de l’eau pour l’alimentation.
En Tunisie, l’eau potable de moins en moins buvable
Raoudha Gafrej, professeur universitaire à l’Institut Supérieur des sciences biologiques appliquées de Tunis, avait déjà attesté d’une « pénurie de l’eau en Tunisie, absolue et chronique. » Le seuil international pour déclarer une pénurie est de 500 m³ par habitant et par an. Or, en Tunisie, le chiffre est de 467 m³ par habitant et par an, comme le note le Secrétaire d’État à la production agricole, Omar Elbahi.
Comme c’est la cas pour l’ensemble de la région, les changements climatiques n’ont fait qu’accentuer la gravité de la situation. Mais c’est aussi la détérioration des infrastructures de la Sonede, la compagnie nationale de distribution des eaux, qui en est la cause, ce qui crée des pertes d’eau importantes lors des transferts des eaux (30% de pertes de la quantité totale selon l’Observatoire tunisien de l’eau) à travers le pays.
Le 10 octobre, les habitants de Houmet El Souk à Djerba ont dénoncé la dégradation de la qualité de l’eau distribuée par la Sonede, à la couleur et à l’odeur anormales. « L’eau est un droit et non une faveur, nous ne paierons pas pour de l’eau empoisonnée », avaient clamé les manifestants, soutenus par le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES).
Des laboratoires ont démontré que l’eau du robinet de Djerba ne correspondait pas aux normes tunisiennes et internationales pour être considérée comme potable
« Des laboratoires ont démontré de par des analyses de l’eau du robinet de Djerba qu’elle ne correspondait pas aux normes tunisiennes et internationales pour être considérée comme potable, compte tenu de sa trop forte teneur en chlorure, en sodium ou en sulfate, qui relève du double des quantités conventionnées », déplore Morched Gharbouj, le président de l’association tunisienne SOS environnement. Une fois de plus, la Sonede est montrée du doigt : une station de déssalement de l’eau de mer était attendue et promise à Djerba pour la fin de 2016, puis « avant l’été 2017 ». Après vérification, le projet est toujours « en cours », selon les communiqués de presse de la Sonede.
L’Observatoire avait déjà prévenu en 2016 d’un éventuel « soulèvement de la soif », après la vague de protestations en continu depuis le printemps 2016 dans toutes les régions du pays. Au banc des accusés : la Sonede, qui n’assumerait pas ses responsabilités en matière de piètre gestion, selon les plaintes citoyennes recueillies par l’association (419 à la fin de l’été 2016 comme l’indique la carte ci-dessous). La Sonede reporterait, d’autre part, l’intégralité de sa responsabilité au consommateur, à travers ses campagnes de sensibilisation, et en communiquant sur les coupures d’eau après qu’elles se sont produites.
source : Jeune Afrique