Moussa Touré, cinéaste sénégalais de grande réputation, gravit la cime des honneurs depuis un peu plus de trois décennies avec ses convictions de créateur africain préoccupé par le sort et le devenir de son peuple ; lui, pour qui, le cinéma n’était qu’un « moyen de survie » au décès de son père.
Très tôt, dans son œuvre cinématographique, il a fixé son regard sur des vies dont les destins sondent l’humanité des uns et des autres sans l’attacher aux identités. Son premier long-métrage, « Toubab bi » (1991), bien accueilli par la critique à l’époque malgré quelques blessantes railleries au début, en est une touchante illustration.
Il chatouille la sensibilité de publics disparates en cela qu’il est une épître sur les périlleuses différences et sur le devenir à construire avec intelligence. Soriba Samb, jeune technicien, qui aurait pu s’appeler Moussa Touré dans la vraie vie (car il y a, dans ce film, des fragments d’autobiographie.
Il a aussi été chef électricien du cinéaste Johnson Traoré, de « Camp Thiaroye »), quitte son espace de « confort » africain pour affronter, à Paris, la solitude, le froid, les ennuis de l’autre côté où l’on croupit dans l’indifférence.
Mais, c’est aussi un récit d’espoir. Les productions de Moussa Touré présentent une ambivalence ; ce qui en fait des sujets de questionnement mais aussi des instants d’engagement sincère et réfléchi.
Eternel « voyageur »
Moussa Touré est comme un pilote qui ne s’encombre pas d’aiguilleurs pour offrir à ses passagers des instants d’agitations morales, psychiques, devrions-nous dire. Le silence, dans son œuvre cinématographique, n’est pas un temps de répit. C’est un moment de dialogue avec soi pour être en interaction avec ses personnages, pour tirer quelque chose de ce qui s’apparenterait à du néant qu’il emplit de son imagination poétique. L’œuvre du fondateur de la société de production « Les films du crocodile » (1987) est en mouvement. Touré est un génie de la « narration » des voyages au cours desquels se déroulent des drames, des vies anéanties, s’expriment des identités, se fabriquent des destins, s’entretiennent des espoirs… Son avant-dernier film, « La pirogue », comme si la mer le hantait ou le fascinait, en dit long sur cette obsession du mouvement qui consigne des récits de l’aventure collective. « Tgv » (1997), qui a obtenu, en 1999, le prix du public lors du 9e festival du cinéma africain de Milan, capte aussi des instants de sens où l’humanité des uns et des autres imprime le rythme du trajet. Mais, ces « oscillations » le ramènent toujours vers le terreau de ces inspirations. Il l’a lui-même dit un jour : « je fais du cinéma pour rester en Afrique ».
Âme subtile
Cependant, cette Afrique dont il est question ici transcende la réalité géographique pour embrasser l’universel. Le natif de Dakar, initiateur du festival « Moussa invite » à Rufisque suit un itinéraire de rencontres. Son dernier documentaire fiction, « Bois d’ébène », en espérant qu’il continue d’enchanter les cinéphiles, est aussi un voyage dans le temps en ceci qu’il fouille dans les vestiges de l’ignominie pour relater la traite des Africains, l’esclavage et l’abolitionnisme à travers une expédition entre Nantes, Ouidah, la Guadeloupe et Nantes. Il nous replonge dans l’horreur d’un temps avec la magie du verbe et de l’œil qui bouleversent sans heurter. Le destin de l’Afrique, dans l’œuvre de Moussa Touré, n’est pas dans la narration passive de l’atrocité du passé et de l’asphyxie du présent. Les temps s’imbriquent. Et la connexité est réalisée avec subtilité. Celle-ci lui a valu bien des honneurs dans le monde.
Alassane Aliou MBAYE – Le Soleil