Tech – La bataille des hubs : « Le continent doit développer ses propres contenus »

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Karim Koundi, responsable du pôle télécoms, médias et technologie du cabinet d’audit et de conseil Deloitte, passe en revue les défis des entreprises de la tech africaine.

Installé à Tunis et associé depuis près de sept ans de Deloitte Afrique, Karim Koundi porte plusieurs casquettes au sein de ce cabinet international d’audit et de conseil. Il est responsable des secteurs télécoms, médias et technologies de l’entité conseil pour l’Afrique francophone.

Karim Koundi, responsable du pôle télécoms, médias et technologie du cabinet d’audit et de conseil Deloitte, passe en revue les défis des entreprises de la tech africaine.

Installé à Tunis et associé depuis près de sept ans de Deloitte Afrique, Karim Koundi porte plusieurs casquettes au sein de ce cabinet international d’audit et de conseil. Il est responsable des secteurs télécoms, médias et technologies de l’entité conseil pour l’Afrique francophone.

En parallèle, il pilote l’activité conseil pour l’Afrique centrale et partage son temps entre six pays : le Gabon, le Cameroun, le Tchad, les deux Congos et la Guinée équatoriale. Cet ingénieur électrique diplômé de l’Institut national des sciences appliquées (Insa) de Lyon, et titulaire d’un master de la Toulouse School of Management est passé par Accenture puis par Tunisie Telecom, dont il a dirigé les systèmes d’information.

Jeune Afrique : Les géants du web, tels que Google et Facebook, sont très présents sur le continent à travers leurs réseaux sociaux et leurs applications, mais aussi sur le marché de la connexion et des infrastructures. N’y a-t-il pas des risques de perte de souveraineté pour les États ?

Karim Koundi : Je mettrais davantage l’accent sur la fuite de la valeur que sur la perte de souveraineté. Plutôt que d’essayer de créer elle-même ses contenus, ses services et ses applications, l’Afrique prend le train de la consommation numérique. Mais utiliser les services de ces groupes américains suppose, puisque leurs plateformes sont hébergées aux États-Unis, d’emprunter la bande passante internationale, ce qui coûte cher aux opérateurs de télécoms locaux. Confrontés à une rentabilité qui baisse, ils entrent dans un cercle vicieux, investissant moins dans les réseaux locaux. La création de contenu devient donc un enjeu stratégique pour le continent, d’autant que nous disposons de main-d’œuvre et que cela créerait de l’emploi.

Ces entreprises sont aussi très présentes dans l’écosystème entrepreneurial local, sur les infrastructures de réseau. Elles captent les revenus publicitaires, les contenus, l’attention des utilisateurs… Est-il encore possible de les contourner ?

Je pense que c’est possible, justement en développant un écosystème de compétences et d’entreprises capables de développer des contenus et des services qui adressent des problèmes spécifiques au continent. L’Afrique peut faire la différence dans la santé, l’agriculture, l’énergie et l’éducation. Et ces innovations peuvent être partagées, notamment à travers le cloud.

L’intelligence artificielle peut-elle jouer un rôle dans cette émancipation ?

Des entreprises se créent d’ores et déjà grâce à l’intelligence artificielle. Dans le domaine de la santé, il existe par exemple des applications fondées sur l’imagerie médicale et sur la détection des cancers. Dans l’agriculture, il y a beaucoup d’outils prédictifs qui permettent d’optimiser l’arrosage. Mais l’enjeu numéro un du continent est l’électricité. Je crois que l’Afrique peut être pionnière dans le solaire.

La marque chinoise Transsion domine actuellement le marché du smartphone en Afrique. Le lancement récent de Mara Phones, une marque africaine dont les appareils sont fabriqués à Kigali, peut-elle prospérer sur ce créneau ?

Mara Phones est une belle initiative qui permet de lancer une dynamique d’innovation. Mais je ne pense pas qu’il existe un marché pour eux. Se développer dans les infrastructures, qu’il s’agisse des réseaux ou des téléphones, est selon moi une bataille perdue, pour deux raisons : il existe déjà de gros acteurs, notamment chinois, qui ont pris de l’avance dans ce secteur. Et développer du hardware [partie physique des appareils] nécessite de mettre en place une industrie, ce qui prend du temps et demande de lourds investissements.

Peut-on parler d’une hégémonie des entreprises technologiques chinoises comme Huawei ou ZTE ?

Nous nous trouvons dans un contexte global de guerre technologique entre Pékin et Washington. Et l’Afrique constitue un terrain de jeu pour les géants des deux camps. L’avancée de la Chine est impressionnante. Ce pays représente plus de 48 % des investissements dans les start-up travaillant sur l’intelligence artificielle en Afrique. Les montants qu’il investit annuellement dans les télécoms atteindront prochainement 60 milliards de dollars. Plus de la moitié des smartphones qui circulent sur le continent viennent de l’empire du Milieu. Les Chinois ont compris depuis à peu près cinq ans qu’il fallait développer des téléphones spécifiques aux marchés africains. Des appareils souvent qualifiés de low cost, mais qui ne sont pas perçus comme tels sur le terrain.

Les affaires de surveillance liées aux groupes chinois et israéliens soulignent la nécessité de concevoir des réglementations concernant les données personnelles. Quels sont les pays à la pointe dans ce domaine ?

Les bons élèves sont les signataires de la convention de Budapest sur la cybercriminalité émanant du Conseil de l’Europe, c’est-à-dire le Cap-Vert, le Ghana, Maurice, le Maroc, le Nigeria, le Sénégal, l’Afrique du Sud et la Tunisie. Et ceux qui ont paraphé la Convention 108 sur la protection des données personnelles, à savoir une nouvelle fois le Cap-Vert, Maurice, le Maroc, le Sénégal et la Tunisie, mais également le Burkina Faso. Ces textes leur imposent de disposer d’une instance de protection des données personnelles qui a un pouvoir de sanction et une certaine indépendance.

Qu’attendent Amazon et Alibaba pour investir à leur tour en Afrique ? Ils semblent encore un peu en retrait…

La problématique du paiement et de la livraison nourrit encore leurs réticences. Leur modèle suppose de concevoir et de développer toute une infrastructure de logistique et de distribution très proche des clients. Tout cela a un coût. Et, sur ce plan, le groupe d’e-commerce Jumia, leader du secteur, a pris une longueur d’avance. Mais Alibaba commence à s’attaquer au marché africain. Lors du dernier salon VivaTech de Paris, son fondateur, Jack Ma, a parlé de son intérêt pour le continent. Depuis, il a quitté le groupe pour s’investir à 100 % dans le domaine de l’éducation en Afrique. En revanche, Amazon est effectivement quasi absent.

Pourtant, la force de frappe et les fonds dont dispose Amazon pourraient lui permettre de rapidement copier le modèle de Jumia et d’ainsi rafler la mise…

C’est possible. Mais, pour le moment, je n’ai pas l’impression que cela fasse partie de leurs ambitions. Alibaba a de l’expérience et paraît plus à l’aise pour le faire.

Chaque année connaît son lot d’innovations. Quelle sera la nouveauté marquante en 2020 ?

Je crois beaucoup au potentiel de l’impression 3D, qui permet de s’affranchir des difficultés logistiques liées au transport de produits manufacturés. L’avenir de l’industrie pourrait reposer sur des usines connectées. Cette technologie est restée longtemps un produit de niche, mais aujourd’hui il existe des équipements moins chers et plus rapides. Ils parviennent à imprimer sur bien plus de matériaux, ce qui ouvre de nouvelles perspectives.

source : Jeune Afrique

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