Manu Dibango : le lion est mort ce matin

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Manu DIBANGO©Malick MBOW

Le Covid-19 a emporté Manu Dibango, le grand saxophoniste natif du Cameroun, compositeur, ambassadeur de l’UNESCO pour la paix, auteur du célèbre Soul Makossa repris par Michael Jackson et Rihanna

Manu Dibango, saxophoniste et légende de l'afro-jazz, est décédé mardi matin.
Manu Dibango, saxophoniste et légende de l’afro-jazz, est décédé mardi matin. (AFP)
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« Le lion est fort, le gaillard est solide, il va traverser l’orage », se persuadait-on la semaine dernière dans son entourage. Mais ce mardi 24 mars, à l’aube, le lion est bel et bien mort… Mercredi dernier encore, tout espoir était permis de l’entendre rugir par la voix de son saxophone. Manu Dibango, 86 ans, après une hospitalisation due au Covid-19, avait pu regagner ses pénates, où il se reposait et récupérait dans la « sérénité ».

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« Il se réjouit d’avance de vous retrouver prochainement et vous demande, en cette période troublée que nous traversons tous, de bien prendre soin de vous », notait sa page Facebook. Le 1er février, pour ses 60 ans de carrière, il se produisait encore à Montpellier avec son spectacle Safari Symphonique, jubilé de ses soixante de carrière déjà, grand spectacle mêlant « les rythmes traditionnels de son Cameroun natal aux sonorités jazz dans la pure tradition de la musique classique européenne. »

Manu Dibango avec les Touré Kunda (Sixu Tidiane et Ismaïla Touré)

Manu Dibango avec les Touré Kunda (Sixu Tidiane et Ismaïla Touré)

(Archives Touré Kunda)

La France vient de perdre l’un de ses plus emblématiques ambassadeurs à travers le monde, le précurseur d’une musique qu’on a appelée world et dont la France était le centre à une époque où, de Miles Davis à Prince, tous les musiciens venaient s’y ressourcer. Ce grand homme au rire tonitruant est parti à l’heure où les frontières se ferment de part et d’autre.

De Douala à Soul Makossa, en passant par Bach

Par où commencer à propos d’un musicien d’exception ayant visité tous les continents, de l’Afrique à l’Amérique? Peut-être par son morceau le plus connu, et pour cause : il figure en ouverture de l’album le plus vendu de tous les temps, Thriller de Michael Jackson. Fin 1982, Manu Dibango se voit, à sa grande surprise, félicité par une amie pour sa collaboration avec le roi de la pop.

Bien entendu, le musicien qui réside alors en France n’est pas au courant de l’utilisation qui a été faite de son tube Soul Makossa (1972), l’ayant emmené dix ans plus tôt jusqu’à l’Apollo Theatre de Harlem à New York. Pour trousser le hit Wanna Be Startin’ Something, Michael Jackson a pillé sans aucune autorisation ce titre placé en face B de l’hymne pour la huitième Coupe d’Afrique. Un arrangement financier sera trouvé avec les avocats de la star afro-américaine et, en 2007, le musicien devra attaquer, à son tour, la chanteuse Rihanna qui a utilisé le même titre pour son succès Don’t Stop the Music.

Mais ramener ce multi-instrumentiste à l’humour ravageur à ce titre seul — et à ses procès subséquents — serait bien réducteur. Élevé aux cantates de Bach et au jazz de Glenn Miller, ce fils d’un fonctionnaire de Yabassi et d’une couturière de Douala débarque en 1949 à Marseille avec trois kilos de café pour tout paquetage, une denrée rare qu’il offrira à l’instituteur qui l’accueille à Saint-Calais, dans la Sarthe. Loin de son Cameroun natal, Emmanuel N’Djoké Dibango va se forger une culture musicale hétéroclite, transbahuté de Saint-Hilaire-du-Harcouët, où il découvre le saxophone dans une colonie de vacances pour enfants camerounais résidant en France, à Reims et à Chartres, où il consolide son apprentissage du jazz.

Pépites africaines et variété française

D’un continent à l’autre, ce fan de Miles Davis et Sydney Bechet — autre déraciné auquel il rendra hommage en 2007 dans un album — écume tout d’abord les boîtes de jazz à Saint-Germain-des-Prés. Puis, après avoir rencontré sa femme, Coco, un mannequin, en 1956, à Bruxelles, il s’installe en Belgique avant d’effectuer un nouveau revirement. En cette fin de décennie bigarrée, on le retrouve tour à tour vibraphoniste pour le chanteur de variétés Gilbert Bécaud et saxophoniste pour l’African Jazz de Joseph Kabasélé, dit Grand Kallé, père de la musique moderne congolaise et auteur du célèbre Indépendance Cha Cha.

Manu Dibango n’a jamais cherché à se faire blanchir la peau, contrairement à Michael Jackson. En revanche, pour le musicien qui accompagne non sans un grand sens de l’autodérision Nino Ferrer sur sa chanson Je voudrais être noir, son doigté musical irradie toute la musique blanche. De Dick Rivers, il passe allègrement à Michel Fugain durant toute la décennie des sixties.

Il se produit avec James Brown

Manu Dibango ne s’est pas encore révélé à lui-même. Cette personnalité aussi charismatique qu’insaisissable montre de quel esprit peut se chauffer un Africain sans attaches et pourtant préoccupé par le sort de son continent qui, hier encore, se faisait chaque matin une revue de presse sur tous les continents du monde. Ses titres L’Afrique sans fric et Pour une poignée de CFA l’imposent dans son premier album en 1969.

Après toute une décennie où, porté par son tube Soul Makossa, le musicien du monde se partage entre le continent américain, où il se produit avec James Brown en première partie d’un combat historique de Muhammed Ali, et l’Afrique, en Côte d’Ivoire, il donne une impulsion aux politiques d’ouverture culturelle de l’ère François Mitterrand. « Au collège de Ziguinchor, je l’écoutais beaucoup, je rêvais d’être comme lui, il a été notre très grand et très bon exemple, nous dit aujourd’hui Sixu Tidiane Touré, du groupe Touré Kunda, bouleversé et en colère contre ‘ce con ce Corona, traître sournois qui décime les familles' ». Il se souvient : « À notre premier concert en France, au début des années 1980 au Palais des Glaces, il était dans le public. Quel honneur! Et quel bonheur de le rencontrer dans les loges. On reconnaissait sa voix à travers son saxo. »

Charisme international

Tandis que Bob Geldof, en Angleterre, et Michael Jackson, aux États-Unis, se lancent dans la croisade du charity business avec les chansons Do They Know It’s Christmas et We Are the World, Manu Dibango, lui, se fait la voix des laissés-pour-compte du continent africain en réunissant depuis la France son Band Aid avec la chanson Tam-Tam pour l’Éthiopie. Le musicien anti-star, qui se déplace seul en voiture, sans garde du corps, est ouvert à toutes les rencontres musicales.Jacques Higelin, Charlélie Couture mais aussi Yannick Noah sur son Saga Africa l’invitent avec son saxophone. Bien évidemment, c’est un honneur. Car, outre-Manche et outre-Atlantique, le musicien fait Chevalier de la légion d’honneur en 2010 continue d’inspirer, de Peter Gabriel à Paul Simon, qui s’inspire de ses rythmiques pour son album The Rythms of the Saints (1990). Youssou N’Dour ou Salif Keita savent ce qu’ils doivent à cet artiste qui, lui, n’a cessé de rendre hommage à ses maîtres, Sydney Bechet ou bien Fela à travers une succession d’albums tribute.

« On le pensait presque immortel », se souvient un proche, Gilles Gailliot

« Manu, c’était aussi la joie, le mec qu’on croisait à la Fnac, cherchant des bons disques, ou qu’on voyait apparaître en guest des concerts de Akalé Wubé au studio de l’Hermitage », se souvient un proche, Gilles Gailliot, son attaché de presse sur l’album Past Present Future (2011). « C’est un choc d’apprendre le départ de Manu Dibango. On le pensait presque immortel et tiré d’affaire se reposant chez lui après avoir contracté ce satané virus. Je l’ai côtoyé régulièrement pendant un peu plus d’un an dans le cadre de la promotion en 2011 de l’album Past Present Future dans lequel une fois encore il partageait l’affiche avec de jeunes talents venus de tous horizons. Je l’avais vraiment découvert et aimé avec son album de 1985 Electric Africa. C’était donc une joie de pouvoir travailler avec lui et Claire sa formidable manageuse. »

« Manu était un pilier et un monument pour l’Afrique. Il a traversé tous les événements de l’Afrique de la seconde moitié du 20e siècle en préservant son indépendance sa lucidité et sa popularité incroyable. Les gens venaient à lui avec enthousiasme et respect. J’ai le souvenir de Will I Am, des Black Eye Peas, comme un gamin en le croisant dans les coulisses du Midem lui confessant qu’il était son idole. »

Il était la sagesse incarnée

Sixu Tidiane Touré de Touré Kunda, de même ses attachés de presse Simon Veyssière et Thierry Wendl qui l’ont bien connu, soulignent tous sa simplicité, son ouverture aux autres, son tempérament joyeux, son écoute, sa grande culture. « Un homme sans barrière », « il avait le don de se projeter toujours dans le futur, sans bannir les souvenirs bien sûr, mais toujours avec une dynamique, une vitalité contagieuse. » Gilles Gailliot poursuit : « C’est un cliché de dire que Manu Dibango était un sage mais la vérité c’est qu’il était la sagesse incarnée.  Il refusait de tomber dans les caricatures et arrivait toujours à élargir le débat sur les sujets les plus sensibles. »

« C’était jubilatoire de l’écouter raconter son parcours et les anecdotes de sa carrière exceptionnelle. Et encore plus quand il les partageait avec Slim Pezin son compère, magnifique guitariste qui accompagna sa folle aventure. Manu regrettait me semble-t-il de ne pouvoir pas plus souvent enregistrer. Il avait encore beaucoup de musique à nous offrir. Quand vous étiez chez lui il ne pouvait s’empêcher de passer au piano, de plaquer quelques mélodies au vibraphone qui trônait au milieu de son salon. Il va beaucoup nous manquer comme il va manquer à ses chers rosiers qu’il ne verra pas fleurir cette année. »

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