17 Avril, 2020
LeParisien
Coronavirus, VIH, Luc Montagnier, invraisemblable
Le professeur Luc Montagnier avance que le virus du Covid-19 serait une création chinoise à partir de molécules du VIH, notamment. Mais les propos et la personnalité du prix Nobel 2008 interpellent la communauté scientifique.
Une « incroyable » découverte. Voilà comment est présentée l’intervention très médiatique du professeur Luc Montagnier dans un podcast publié par le site Pourquoidocteur.fr, ce jeudi. Selon ce scientifique désormais retraité mais reconnu par un prix Nobel de médecine en 2008, le virus de la maladie Covid-19 serait d’origine humaine. Il aurait été créé dans un laboratoire chinois de Wuhan : une hypothèse démontrée, assure le Pr Montagnier, par plusieurs faits établis.
Mais ces propos répétés ce vendredi à l’antenne de Cnews interpellent, voire hérissent, plusieurs membres de la communauté scientifique joints par nos soins.
Des liens entre le virus du Covid-19 et celui du Sida ?
S’appuyant sur une étude publiée par « son » mathématicien Jean-Claude Pérez, qui « a fouillé dans les moindres détails de la séquence » du virus, le Pr Montagnier avance que le SARS-CoV-2 contient des « séquences d’un autre virus qui est le VIH, le virus du Sida ». Il ajoute qu’un « groupe de chercheurs indiens a essayé de publier une analyse » du même type et que celle-ci a été retirée « sous une énorme pression ».
Mais « l’étude des biomathématiciens indiens a été rapidement infirmée par d’autres travaux qui, en se penchant sur l’étude informatique du génome, ont prouvé qu’il n’y avait pas de séquence du VIH », rappelle Anne Goffard, virologue et enseignante à la faculté de Pharmacie de Lille. L’étude en question a d’ailleurs été retirée par les auteurs eux-mêmes après « les commentaires reçus de la communauté des chercheurs sur leur approche technique et leur interprétation des résultats », peut-on lire sur le site BioRxiv, hôte de la publication.
Concernant l’étude mathématique fournie par Jean-Claude Pérez, Étienne Decroly, chercheur CNRS au laboratoire Architecture développe une analogie : « La séquence d’un virus correspond à 30 pages d’un livre. Nous, les scientifiques, avons des outils pour essayer de déterminer si un paragraphe de ce livre a déjà existé dans un autre livre. Nous avons les séquences de tous les virus connus à disposition. Pour ce qui est des similitudes avec le VIH, c’est comme si apparaissait quatre fois le mot chapeau dans deux livres différents. On peut, par hasard, avoir des séquences qui se ressemblent sans que cela démontre des modifications intentionnelles ».
Une création humaine ?
Selon le Pr Montagnier, les liens supposés entre les virus du Covid-19 et du VIH prouvent une chose : le coronavirus actuel est une création émanant d’un laboratoire. Contacté, Jean-Claude Pérez se veut affirmatif : « Il s’agit d’un travail d’une précision d’horloger. Les présences de morceaux du VIH ne peuvent être naturelles ».
Le Pr Montagnier le clame aussi, la création se serait même faite au sein du laboratoire de Wuhan, ville épicentre de cette pandémie. Ce laboratoire existe bien. En 2017, la revue Nature évoquait son installation très sécurisée, en relatant qu’après l’étude d’un virus transmis par les tiques, les chercheurs chinois pourraient ensuite s’intéresser aux responsables du SRAS (virus également issu de la famille des Coronavirus) et d’Ebola. Mais rien sur le VIH.
Et quand bien même des travaux sur le VIH y aurait été menés, « il s’agit d’excellentes équipes de chercheurs, qui ont publié des articles de très haut niveau, souligne la virologue Anne Goffard, Il ne faut pas les prendre pour des idiots et s’imaginer qu’ils jouent aux apprentis sorciers dans leurs laboratoires ».
« L’ingénierie moléculaire existe, précise le chercheur Étienne Decroly. On cherche notamment à savoir pourquoi les virus sont dangereux pour une espèce. On peut ainsi essayer d’insérer des séquences précises pour créer des facteurs de virulence. Mais quand on regarde le SARS-CoV-2, rien ne prouve l’existence de séquences intentionnellement rajoutées, et on trouve les traces d’évolutions naturelles tout au long du génome ».
Des « mutations encourageantes » ?
Le Pr Montagnier évoque aussi, à propos du Covid-19, des « mutations spectaculaires », car, assure-t-il, la nature ôterait d’elle-même les « corps étrangers du génome du coronavirus », – soit ici, la séquence VIH qui aurait été ajoutée – et ce, « au fur et à mesure que le virus passe d’un patient à l’autre ». Cette assertion fait bondir la virologue Anne Goffard. « On observe, contrairement à ce qu’il dit, que le virus n’a que peu muté depuis son apparition, comme on s’y attendait », explique la spécialiste des coronavirus, qui s’appuie sur la mise en commun des travaux de chercheurs de nombreux pays.
Tous ont séquencé la forme de génome apparue dans leur pays respectif (France, Italie, Chine, Etats-Unis…) et les résultats de ces banques de données sont sans appel. « Le Covid-19 mute beaucoup moins que ne peut muter le VIH par exemple, car les coronavirus ont la particularité d’avoir un enzyme qui corrige les erreurs qui peuvent se produire au cours de la réplication », appuie Anne Goffard. « On peut constater que tout se passe de manière attendue pour ce type de virus. Il y a des mutations qui apparaissent, mais rien n’amène à démontrer une sélection particulière de souches plus virulente », précise Étienne Decroly, chercheur du CNRS au laboratoire AFMB.
Quelle est aujourd’hui la crédibilité du Pr Montagnier ?
Il ne s’agit pas là, bien au contraire, des premiers propos infondés, voire teintés de complotisme, tenus par le prix Nobel de médecine. Avant même sa consécration en 2008, le professeur Montagnier a, en vrac, soutenu la théorie pour le moins controversée de la « mémoire de l’eau », qui voudrait que l’eau garde les propriétés de substances avec lesquelles elle a été en contact, préconisé au pape Jean-Paul II de soigner des problèmes d’élocution avec de la papaye fermentée (aux bienfaits jamais avérés) ou, plus récemment proposé de soigner l’autisme avec des antibiotiques. En 2009, ce spécialiste mondialement reconnu du VIH avait déclaré que certains bons systèmes immunitaires pouvaient « se débarrasser du virus en quelques semaines » ajoutant que « l’alimentation pas très équilibrée » des populations africaines pouvait expliquer leur contamination. La teneur de ses propos avait été invalidée par la chercheuse Françoise Barré-Sinoussi, qui avait découvert avec lui le virus du sida en 1983.
Autre fait d’armes de ce proche du professeur Henri Joyeux, présenté parfois comme le fer de lance des anti-vaccins : en 2017, Luc Montagnier a estimé, sans éléments de preuve, qu’il existait avec certains vaccins un risque « d’empoisonner petit à petit toute la population ». L’indignation était cette fois venue de 106 académiciens des sciences et de médecine. « Nous ne pouvons accepter d’un de nos confrères qu’il utilise son prix Nobel pour diffuser, hors du champ de ses compétences, des messages dangereux pour la santé », écrivaient-ils dans une tribune. Pas de quoi faire tressaillir Luc Montagnier, qui clamait auprès du Monde en 2018 : « Le prix Nobel m’a donné ma liberté de pensée, et j’en use, mais mes théories sont basées sur des faits scientifiques ». Une dernière affirmation à laquelle ne semblent pas souscrire aujourd’hui les scientifiques français que nous avons interrogés.