ENTRETIEN EXCLUSIF. Le ministre de la Ville et du Logement, Julien Denormandie, détaille pour Batiactu le contenu de l’ordonnance présentée ce mercredi en conseil des ministres. Il insiste sur le fait que les permis de construire doivent continuer à être délivrés, et annonce déjà travailler à un plan de relance pour le secteur.
Julien Denormandie : Ces nouvelles mesures visent à soutenir et accompagner le secteur de l’immobilier, de la construction et du logement. Pour les mandats de syndics de copropriétés, la mesure est technique mais elle avait été demandée par la profession. Une difficulté nous avait été remontée. En effet, l’ordonnance du 25 mars prévoyait de sécuriser la tenue des assemblées générales de syndics prévues jusqu’au 24 juin, date qui correspond à la fin de l’état d’urgence plus un délai d’un mois. Cela posait un vrai problème car la plupart des contrats de syndic ont pour date butoir fin juin. Cela insécurisait la profession. La nouvelle ordonnance donne comme échéance le 24 juillet. Par ailleurs, les mandats de syndics pourront être prolongés jusqu’à huit mois, donc jusqu’à fin janvier prochain.
L’autre mesure que nous prenons dans cette ordonnance finalise le travail de l’ordonnance du 15 avril, pour sécuriser les délais de l’ensemble des autorisations d’urbanisme (droit du sol, droit du recours, droit de consultation…), et ce pour différents types de bâtiments – logements individuels et collectifs, ouvrages d’art, établissement recevant du public, immeubles de grande hauteur… Cela permet d’adapter les procédures d’urbanisme à la période particulière que l’on vit, tout en s’assurant que la poursuite de la délivrance des autorisations puisse être faite, et qu’au lendemain de la période d’urgence sanitaire la reprise soit effective le plus rapidement possible. C’est pour cela que nous supprimons le mois supplémentaire après la période d’urgence sanitaire pour que les délais recommencent à courir. La première ordonnance du 25 mars allait trop loin dans l’allongement des délais. Nous avons modifié cela pour s’assurer que l’on reste dans des cadres les plus compatibles possible avec la réalité des projets.
« Il est important que les collectivités, dès qu’elles le peuvent, continuent à octroyer les autorisations d’urbanisme »
Batiactu : De nombreux acteurs ont appelé la maîtrise d’ouvrage publique à relancer l’instruction des permis le plus tôt possible. Quelle est votre position ?
J.D. : J’ai un discours très clair à l’attention de tous : l’ensemble des dispositifs que je viens d’évoquer sécurisent le cadre juridique mais ils permettent de continuer à délivrer les permis de construire. Dès lors que c’est possible, que le cadre sanitaire le permet, qu’on en a la capacité matérielle, il faut continuer à délivrer les permis de construire, et ce dès maintenant. C’est une instruction que j’ai donnée très clairement aux services de l’Etat déconcentrés : ils doivent continuer à accompagner les collectivités, et veiller à ce que certaines autorisations ou avis dépendant de l’État soient octroyés de manière suffisamment rapide. Je fais en sorte de trouver des solutions lorsqu’il y a des difficultés côté État ; et il est important que les collectivités, dès qu’elles le peuvent, continuent à octroyer les autorisations d’urbanisme. Les associations d’élus se sont d’ailleurs engagées à poursuivre autant que faire se peut ces instructions. Je salue toutes les collectivités qui s’inscrivent dans cette dynamique. C’est très important car cela va permettre de soutenir l’activité des PME et ETI en créant des chantiers dans nos territoires. Elles ont besoin que les projets qui doivent faire l’objet de ces autorisations d’urbanisme puissent être exécutés dans les prochains mois. Si l’on veut limiter l’impact de ce que nous vivons sur les entreprises, il nous faut ces projets et qu’ils soient autorisés dans les bons délais.
Batiactu : Est-ce que cela va permettre d’accélérer la numérisation des actes d’urbanisme ?
J.D. : La loi Elan, votée fin 2018, généralise la numérisation des autorisations d’urbanisme dans les prochaines années. Le moment que l’on vit montre que ce qu’on avait prévu est encore plus nécessaire aujourd’hui, que les outils numériques sont pertinents dans ce secteur. Il nous faudra donc redoubler d’effort pour mieux mettre en œuvre cette dématérialisation en sortie de crise, du côté de l’État et des collectivités locales. J’ai d’ailleurs demandé à mon ministère d’accompagner fortement toutes les collectivités ayant besoin d’assistance dans le passage à cette numérisation. L’Agence nationale de cohésion des territoires est là pour cela. Cette révolution était déjà en cours : prenez par exemple la montée en puissance du BIM et le nombre d’entreprises dédiées à ces sujets que l’on rassemble lors de différents évènements professionnels.
Au sujet de la numérisation, la plateforme Kroqi rencontre actuellement un grand succès et j’en suis très satisfait, étant à l’origine de sa mise en place : nous nous étions demandé comment donner accès à l’ensemble des PME et ETI à la technologie BIM de manière gratuite, avec l’accompagnement du CSTB, dont je salue les équipes. La loi Elan n’a pas rendu le BIM obligatoire dans les appels d’offres, car je pense que le secteur du logement n’a pas besoin de nouvelles règles en permanence. La démarche BIM est donc volontaire, pour ne pas évincer des PME et ETI, tous ceux qui n’ont pas accès à ces technologies. Nous avons fait le pari de l’accompagnement, et ça marche.
Batiactu : Avez-vous une idée de l’impact de la crise sur la construction de logements neufs en 2020 ? Les promoteurs avancent le chiffre de 70.000 opérations paralysées pendant les deux mois de confinement…
J.D. : Nous n’avons pas encore chiffré cet impact. Mais il y en aura un, c’est pourquoi j’engage les acteurs publics et privés à tout mettre en œuvre afin que tout ce qui puisse être fait soit fait pour que l’activité continue.
Batiactu : Les acteurs de la construction sont forcément inquiets pour la tenue de l’activité durant les mois à venir. Êtes-vous en train de préparer un plan de relance pour le secteur ? Si oui, quelles sont vos pistes de travail ?
J.D. : Ma priorité du moment, c’est la gestion du présent, à commencer par le fait de faire vivre les logements et les bâtiments. Je salue à ce titre tous les acteurs qui se mobilisent sur ce front. Nous avons énormément d’échanges avec de nombreuses fédérations professionnelles (ascensoristes, propreté, eau et électricité, entreprises de construction…) pour assurer la maintenance des bâtiments. Nous faisons hebdomadairement le point avec le mouvement HLM à ce sujet. Je salue également l’ensemble des professionnels, entreprises, notaires, agences immobilières, qui se mobilisent pour permettre la reprise d’un certain nombre de chantiers avec comme premier mot d’ordre la sécurité de l’ensemble des personnes y travaillant. Un travail a été mené avec mes collègues Élisabeth Borne, Muriel Pénicaud et Bruno le Maire pour mettre en place un guide avec les préconisations sanitaires validées par le ministère de la santé et effectuer des ajustements juridiques permettant, dans la mesure du possible, une reprise des chantiers dans un cadre sanitaire adéquat.
« Nous sommes déjà en train de travailler au contenu d’un plan de relance »
Pour autant, nous sommes déjà en train de travailler au contenu d’un plan de relance. Beaucoup d’échanges ont lieu avec l’ensemble des acteurs, une équipe est dédiée à ce sujet autour de moi. Nous nous y préparons avec beaucoup de précision et de volonté, sur les sujets de construction, mais aussi de rénovation et de réhabilitation. Cela fait trois ans que je tache d’être autant un ministre de la construction neuve que de la rénovation. La période de confinement a fait d’autant plus ressortir ce sujet : ce n’est pas la même expérience d’être confiné dans un logement adéquat que dans un logement insalubre…
Batiactu : Le confinement a en effet fait ressortir plusieurs problématiques comme le surpeuplement ou l’habitat indigne. Que souhaitez-vous faire pour accélérer sur ces sujets et répondre aux attentes ?
J.D. : Comme je l’ai dit, je place au cœur de mon action la rénovation au sens large, d’abord énergétique mais pas seulement. Je rappelle à ce titre que durant le confinement, tous les dispositifs, notamment MaPrimeRénov, sont fonctionnels. Nous avons fait en sorte que l’Anah soit en ordre de bataille pour que ses services continuent à traiter les demandes et paiement d’aides. Nous verrons en fin d’année si, malgré le confinement, nous serons parvenus à atteindre l’objectif de 200.000 primes distribuées en 2020. Mais quoi qu’il en soit, nous restons très ambitieux sur ce dispositif, et je remercie les services de l’Anah pour leur engagement. Ils ont tout dématérialisé, de sorte que n’importe qui peut aujourd’hui demander les aides.
En ce qui concerne l’habitat indigne, j’ai lancé un grand travail il y a maintenant deux ans et demi, avant que la crise sanitaire ne mette ce sujet d’autant plus en avant. Nous avons la problématique des logements individuels indignes, et je vous rappelle à ce titre les nombreuses dispositions prises dans la loi Elan pour lutter contre cette réalité. C’est aussi vrai pour les copropriétés dégradées, et pas plus tard qu’hier je tenais un comité de pilotage du plan « Initiative copropriétés », un an et demi après son lancement à Marseille.
RE2020 : « Lancer une concertation avec les professionnels pour déterminer quels seraient les meilleurs scénarii à suivre »
Batiactu : Au vu de la crise, l’entrée en vigueur de la réglementation environnementale 2020 (RE2020) aura-t-elle bien lieu, comme prévu, en janvier 2021 ? Ce qui obligerait les entreprises de construction à absorber de nouvelles règles de conception et de construction, en plus de chercher à survivre économiquement…
J.D. : Nous n’avons pas encore tranché à ce sujet avec Elisabeth Borne. Nous souhaitons lancer une concertation avec les professionnels pour déterminer quels seraient les meilleurs scénarii à suivre. La RE2020 est un texte extrêmement important. Ce n’est pas seulement une réglementation technique, elle répond à une vision politique du type d’habitat que nous souhaitons construire dans notre pays. La crise du covid-19 a montré que l’utilisation de nos logements sera probablement différente demain de ce qu’elle est aujourd’hui. Ce qui donne un écho particulier à la RE2020. Pour autant, il est vrai que des réunions de concertation avec les professionnels étaient programmées avant le confinement, notamment sur les différents scénarios à envisager en fonction du calage du coefficient d’énergie primaire. Ces discussions ne peuvent pas se tenir comme elles auraient dû l’être, même si les contributions continuent par écrit et font l’objet d’échanges.
Batiactu : La période de confinement fait évoluer la manière avec laquelle les usagers habitent leur logement, vous l’avez dit : on pense en premier lieu au télétravail. Quelles tendances voyez-vous se dessiner en tant que ministre de la Ville et du Logement pour l’après-crise ?
J.D. : Tout d’abord, le confinement met en avant un certain nombre de transitions déjà amorcées. La période montre que nous avons bien fait d’édifier un ministère qui s’occupe autant de rénovation que de neuf, et cela nous engage à aller dans ce sens avec encore plus de force. En matière écologique d’abord avec le lancement de MaPrimeRenov. En ce qui concerne la rénovation énergétique, je rappelle que l’Anah a effectué deux fois plus de rénovations en 2019 que l’année précédente : c’est colossal. En matière de lutte contre l’habitat indigne, les marchands de sommeil et l’accompagnement des personnes qui subissent ces situations, nous avons effectué un travail remarquable avec l’Anil, un organisme qui est toujours prêt à relever les défis, même difficiles.
« Si je peux télétravailler, je peux faire évoluer mon mode de vie »
Au-delà de ces transitions, nous aurons des interrogations à titre individuel sur l’usage de notre logement. Un grand nombre de nos concitoyens ont très certainement découvert la possibilité du télétravail. Le lieu du cadre familial peut devenir, un temps, le lieu du cadre professionnel. Cela entraînera forcément des réflexions sur les usages de notre logement, auxquels nous n’aurions pas forcément pensé. Cela nous interroge aussi sur nos modes de vie : si je peux télétravailler, je peux faire évoluer mon mode de vie, me tourner vers d’autres endroits géographiques.
Cette crise pose enfin une question d’aménagement du territoire. Cela renforce certaines de mes convictions, comme la lutte contre la vacance des logements, sujet sur lequel nous avons lancé un plan quelques semaines avant le confinement. Je pense également à la question de la revitalisation des centres-villes, et à ce titre j’invite les acteurs à se saisir du dispositif Denormandie dans l’ancien, dont les derniers décrets de simplification ont été récemment publiés. Car, si vous avez un centre-ville avec des logements vacants, pas de réhabilitation de l’ancien, et seulement des constructions neuves à l’alentour de la ville, difficile de revitaliser le cœur de ville. Or, c’est une priorité aujourd’hui. Pensons à ceux qui vivent le confinement dans un centre-ville dégradé, d’où les commerces ont disparu.
Batiactu : Avez-vous de premiers chiffres sur le Denormandie dans l’ancien ?
J.D. : Je n’ai toujours pas de chiffres, car cela se verra par les remontées fiscales que je n’ai pas encore eues. Nous avons publié la semaine dernière le décret de simplification et d’aménagement de ce dispositif, prévus dans le PLF2020. L’idée est de simplifier au maximum et d’en faire l’outil le plus opérationnel possible. Nous avons élargi la liste des travaux, et fait en sorte que de plus en plus de villes y soient éligibles – on en compte pas loin de 300 à ce jour. L’intérêt est de plus en plus vif pour cet outil, de plus en plus de collectivités mettent en place un projet de revitalisation. Cela prend encore plus sens dans cette période de confinement, et cela en prendra davantage au lendemain de celle-ci.