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Amadou Lamine Sall est un des plus grands poètes sénégalais. Assimilé à un des principaux héritiers de Léopold Sédar Senghor, sa poésie révèle les puissances de l’inspiration porteuse d’un humanisme total. Sall jouit d’une notoriété internationale incontestable. Dans ce texte, il « déconstruit » le modèle démocratico-institutionnel actuel et propose les fondements d’une nouvelle architecture du vivre ensemble. Forme et contenu à la fois délicieux et limpides.
*En vérité, Allah ne modifie point l’état d’un peuple, tant que les [individus qui le composent] ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes*. (13:11)
Si Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, Macky Sall, ont tous été de mauvais Présidents, il y a un problème. Il ne s’agit alors plus seulement d’eux, mais du peuple qui les a également élus. Ce peuple, lui aussi, serait fatalement un mauvais peuple!
Osons l’avouer : Le Sénégal a beaucoup changé et pas pour le meilleur. Mais nous ne sommes pas les seuls. Ce qui n’est pas une raison pour ne pas rebâtir le chemin. Nous le pouvons. Ce pays est grand et il est beau. Que personne ne nous fasse croire le contraire, malgré les cris, la rage, les difficultés et l’amertume qui se réveillent chaque matin dans chaque maison.
Par ce verdict que tous les Présidents ont été jusqu’ici mauvais, il n’existera jamais, sans doute, aujourd’hui ni demain, un Président qui ne sera pas jugé mauvais.
On ne peut pas faire l’unanimité ! « Je n’ai pas tout réussi, disait Senghor. Il n’existe que Dieu pour tout réussir.» N’empêche, on le fusille bien souvent ! !Le peuple sénégalais semble vouloir que les Présidents réussissent tout. A défaut, ils sont mauvais !
Notre peuple, dont je fais partie, est fort intransigeant sans l’être apparemment avec lui-même, quand il vote ou quand il critique ou juge. A moins que l’on ne lui ait souvent volé son vote. Mais cela est une porte de sortie trop facile, même si notre démocratie est boiteuse, imparfaite. Par essence, la démocratie est imparfaite et insoumise. « Le fond de la pirogue n’est pas le fond de l’eau » en démocratie africaine.
Alors, si tous les quatre Présidents depuis l’indépendance du Sénégal ne trouvent pas grâce, pas un seul, aux yeux de leur peuple, que reste t-il à dire et à faire aujourd’hui ?
Deux hypothèses :
1- changer le peuple. Mais mon Dieu, comment changer un peuple ?
2- changer notre loi fondamentale et la réinventer pour réinventer un nouveau système et un nouveau peuple.
Voici, dans ce sens, les propositions avancées par mon ami l’Ambassadeur de Tombouctou :
-supprimer le suffrage universel.
-installer un Grand Collège des Sages avec une parité homme-femme.
Ce Grand Collège élirait notre président de la République pour une période donnée sur une liste ouverte de candidats libres avec un argumentaire sur les raisons de leur candidature et l’exposition de leur programme.
Le 1er mandat achevé, propose l’Ambassadeur de Tombouctou, le Grand Collège se réunit, fait le bilan.
Un second mandat n’est pas permis. C’est le principe du mandat unique pour une durée entre 7 et 8 ans.
Une Assemblée nationale serait issue d’un vote régional où chaque région élirait deux ou quatre « députés » en respectant la parité, propose encore l’Ambassadeur de Tombouctou.
Chaque Région serait donc représentée par deux ou quatre députés élus par les suffrages directs des populations de l’ensemble de la Région.
L’Assemblée nationale élit en son sein son propre Président, ses Bureaux et leurs membres et entame son travail parlementaire et ses missions de contrôle du travail gouvernemental.
Le mandat de l’Assemblée nationale est à l’égal de celui du président de la République. Tous les deux prennent fin en même temps.
La notion de « groupe parlementaire » disparaît. Tous travaillent pour leur pays sans coloration préalable.
L’Ambassadeur de Tombouctou précise ceci : le président de la République désigné par le Grand Collège des Sages nomme son gouvernement et gouverne avec 15 ministres au maximum.
Il définit la politique de la nation et nomme aux postes civiles et militaires avec UNE CLAUSE: au préalable, l’Assemblée nationale valide la nomination des hauts fonctionnaires civiles et militaires du pays, après enquête parlementaire. Ce qui protège et couvre le président de la République..
Les fonds politiques ne sont alloués qu’au seul PR. Ils ne peuvent pas dépasser cinq cent millions par année budgétaire.
Un Collège de magistrats composé des anciens et des magistrats en exercice, avec une parité égale, proposera au PR l’organigramme de la nouvelle configuration de l’espace juridique sénégalais.
Cet organigramme est tenu d’être validé par l’Assemblée nationale après accord du PR. Il ne peut être amendé que par l’Assemblée nationale seule, d’accord partie.
Chaque haute juridiction créée nommera en son sein son propre Président. Le mandat n’est pas renouvelable.
Les juridictions créées sont en dehors de toute tutelle du PR et du ministère de la Justice. Elles répondent, en cas de besoin, aux questions directes de l’Assemblée nationale et déposent annuellement un rapport d’activités auprès
De l’Assemblée nationale.
Le poste de Procureur de la République sera maintenu avec une réforme de sa mission validée d’accord partie avec la plus haute juridiction du pays, le ministère de la Justice, le bâtonnier de l’Ordre des Avocats. Sa mission devrait être plus en face des doléances et requêtes du peuple que des directives de L’État.
La nomination au poste de Procureur requiert la validation de l’Assemblée nationale. Le mandat est limité et non renouvelable.
Il s’agit, dit l’Ambassadeur de Tombouctou, de donner à la justice plus de relief et de rendre à la magistrature son indépendance, sans isoler le président de la République qui signe les décrets de nomination des personnalités proposées par le Collège des Magistrats.
En conclusion, toutes les présentes propositions ici étalées, ont été faites pour sortir d’un système universel issu d’un héritage colonial depuis Montesquieu, en marge totale des trésors de règles et de sagesse de nos propres cultures africaines depuis la Charte du Mandé.
C’est du particulier que l’on accède à l’universel, dit-on. Notre système ainsi réinventé pourrait à la fois faire renaître nos institutions, nos peuples, notre mode de vie et inspirer le monde. Une nouvelle Afrique serait en marche en phase avec elle-même et ses cultures.
En somme, il s’agit d’arriver à innover, arriver à penser par nous-mêmes et pour nous-mêmes, hors des schémas occidentaux, pense l’Ambassadeur de Tombouctou.
Nous le pensons aussi, mais en réfléchissant tous ensemble et en puisant le meilleur partout où il se trouve, sans vanité, sans rejet « ethnique ». L’Afrique ne peut pas demeurer et vivre seule. Elle a besoin des autres. Mais elle a le droit de se munir d’armes nouvelles adaptées à son présent et à son avenir pour mieux faire face à son destin. Il s’agit d’accéder mieux aux exigences des peuples : exigences culturelles et exigences économiques.
Pour notre part, nous réfléchissons à toutes ces propositions du non moins audacieux Ambassadeur de Tombouctou, en attendant d’adhérer ou non à une telle phénoménale restructuration de tout le cerveau central de nos institutions républicaines inspirées de l’Occident .
Nous invitons personnellement tous mes compatriotes, avec respect et humilité, à prendre part au débat, non « l’insulte à la bouche » comme parlait Senghor, mais avec sérénité et responsabilité, en nous pardonnant, si c’était le cas, notre imprudence à lancer un tel débat.
Seul importe l’avenir du Sénégal et de sa jeunesse qui prendra demain le relais, quoiqu’il advienne. Ainsi sera t-il, que nous le voulions ou non.
Pour le moment, après Senghor qui repose en paix, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade qui ont toute notre affection et nos prières, il reste Macky Sall qui est à la barre. Et la mer est haute.
Puisse Dieu l’inspirer à réussir sa mission au service de son peuple. Son échec serait le nôtre. Il est notre Président. Il est notre premier miroir en dehors de nos frontières. Ce miroir nous devons le rendre beau. Il ne s’agit pas que de Macky Sall. Il s’agit du Sénégal. Il s’agit de l’Afrique, c’est à dire ce que nous sommes face au monde qui nous regarde avec un chef d’État qui tient le drapeau. Ce drapeau ne doit pas tomber. « Épaule contre épaule” a chanté le président poète.
Senghor disait qu’il n’était rien d’autre qu’un pionnier et que les vrais ouvriers du chantier Sénégal viendraient après lui. Quelle humilité ! Abdou Diouf est arrivé choisi par Senghor puis par le peuple. Il nous a laissé une haute silhouette de veilleur et une marque d’élégance du pouvoir qui restera. Abdoulaye Wade s’est installé. Son heure avait enfin sonné. Jamais une rupture n’avait été tant souhaitée. Elle a donné incontestablement une nouvelle société sénégalaise -mais laquelle ?-, l’émergence d’un Sénégalais inédit et audacieux mais qui aura laissé en chemin la quête et le respect du savoir ainsi que les limites de la raison. Macky Sall arriva comme un hôte inattendu. Nous nous rappelons quelqu’un dire de lui en souriant : « Il a vécu et grandit dans la maison du pharaon ! ». Certes, mais il s’est révélé plus rassembleur et plus encore bâtisseur que le pharaon ! Et puis, il porte en lui cette émouvante et imparable politesse qui désarme presque tout adversaire et qu’à l’unanimité les Sénégalais saluent. Certes, cela ne suffit pas pour construire un pays, répondre à toutes les attentes, mais il est encore là pour nous faire enjamber des fossés. Pourquoi ne pas le croire et nous mettre tous au bord des fossés et nous tendre la main l’un l’autre pour passer avec lui et ensemble ?
Ces quatre Présidents sont nôtres. Nous les avons choisis parce que les Sénégalais les ont choisis. D’autres sont en route. Tant mieux s’ils seront meilleurs. N’en laissons pas un seul face aux épines du chemin.
L’Ambassadeur de Tombouctou demande la parole: « Les Sénégalais ont l’impression d’habiter un pays qui tourne en rond. On tourne en rond. En rond on tourne. On tourne. La terre tourne et nous ramène toujours au même endroit. À la même porte. Il n y a que la serrure qui change. Le peuple lui aussi tourne en rond. Les politiques tournent en rond. Vont et reviennent, les mêmes et au même endroit. Par la même porte. Chacun vient avec sa serrure. La démocratie tourne en rond. Elle n’est pas ronde la démocratie mais elle tourne en rond. Elle tourne. Le peuple tourne en rond. Il élit les mêmes. Les mêmes reviennent et partent et reviennent ». Sévère et amusant réquisitoire, n’est-ce pas ?
Le temps du monde est glaçant. Alors, ensemble, fermons nos yeux et notre cœur au mal et à la division.
Repensons notre pays ensemble avec le respect dû à chacun. Bâtissons-le ensemble en refusant d’être laissé sur le bord de la route, rien qu’en chef de meute. Rallions plutôt les étoiles et non la mâchoire des fauves !
*Lauréat des Grands Prix de l’Académie française