De l’euphorie de février à la défaite de novembre, comment Donald Trump a perdu la Maison Blanche

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Portrait de Donald Trump et Hillary Clinton © Malick MBOW
Portrait de Donald Trump et Hillary Clinton © Malick MBOW
Portrait de Donald Trump © Malick MBOW
Portrait de Donald Trump © Malick MBOW

Au bout de quatre jours de suspense, le milliardaire a été battu par Joe Biden samedi. L’épilogue d’une campagne où rien ne s’est passé comme prévu pour le président sortant.

Article rédigé par

Envoyé spécial à Washington (Etats-Unis) – Raphaël Godet
France Télévisions
Publié 
Donald Trump, le 14 septembre 2020 dans l'Arizona. (BRENDAN SMIALOWSKI / AFP)
Donald Trump, le 14 septembre 2020 dans l’Arizona. (BRENDAN SMIALOWSKI / AFP)

Plus de 100 000 personnes rien que pour lui, dans le plus grand stade de cricket du monde. Ce 24 février, à Ahmedabad (Inde), Donald Trump est aux anges. Comment pourrait-il en être autrement ? Le géant d’Asie du Sud vient de lui réserver un accueil digne d’une rock star. Dans l’Air Force One qui le ramène à Washington, le président des Etats-Unis est « de bonne humeur », « décontracté ». Le taux de chômage est à 3,5%, les démocrates s’écharpent pour savoir qui l’affrontera dans les urnes en fin d’année. « Il est sûr de son fait, se rappelle Jérome Cartillier, correspondant de l’AFP à la Maison Blanche, présent dans l’avion présidentiel. A l’écouter, il va gagner, c’est plié. »

>> Election américaine : suivez les réactions et analyses après la victoire de Joe Biden dans notre direct

Ce que le dirigeant américain ne sait pas encore, c’est qu’il vient d’effectuer son dernier voyage à l’étranger : le Covid-19 va bouleverser son agenda. Franceinfo vous replonge dans les sept derniers mois agités du président-candidat, jusqu’à sa défaite au terme de quatre jours de suspense, samedi 7 novembre.

27 février : « Aucune raison de paniquer »

La France a les yeux rivés sur Crépy-en-Valois (Oise) quand Donald Trump apparaît devant la presse, jeudi 27 février. Le coronavirus ? « Aucune raison de paniquer, assure le chef de l’Etat. Grâce à tout ce que nous avons fait, le risque pour les Américains reste très faible ». Si seulement… Dans les jours qui suivent, tout s’enchaîne : écoles fermées, salariés en télétravail, transports en commun désertés, saisons sportives et culturelles suspendues… Epargnée au début de l’épidémie, la première puissance mondiale vit désormais elle aussi au ralenti.

Qu’il semble déjà loin le temps où le président des Etats-Unis pouvait se vanter de la bonne forme de son économie. Mi-mars, la bourse dégringole, le Nasdaq chute de 4,70%, le Dow Jones de 5,86%. « Avant le début de la campagne, Trump avait prévu d’axer ses discours sur le bon taux de chômage bas et la croissance qui va bien, énumère Benjamin Toll, professeur de sciences politiques à l’université Wilkes (Pennsylvanie). A ce moment-là de l’année, il ne peut plus le faire, il ne contrôle plus. » 

Fin mars, Donald Trump ne peut plus s’appuyer sur l’économie pour faire campagne. Le coronavirus écrase déjà tout.

Benjamin Toll, professeur de sciences politiques

à franceinfo

Donald Trump l’a mauvaise. Parce qu’en plus, c’est Joe Biden qu’il va finalement devoir affronter dans la course à la Maison Blanche. Nous sommes le 8 avril et Bernie Sanders vient de jeter l’éponge, et ça n’arrange pas les affaires du président. « ll le disait ouvertement, rappelle le journaliste Jérome Cartillier, auteur de Amérique : années Trump (Gallimard, 2020). Bernie Sanders est plus marqué à gauche et ça lui allait mieux pour ce discours socialiste qui sert de repoussoir avec une partie de l’Amérique. » Et en plus, le président n’a désormais que Twitter pour dire du mal de son adversaire démocrate : lui qui aime tant galvaniser les foules est privé de scène, fichu virus.

23 avril : « Je vois que le désinfectant élimine le virus en une minute »

Quelques jours plus tard, mi-avril, les Etats-Unis deviennent le pays le plus endeuillé par la pandémie avec 20 000 morts. Mais Donald Trump ne prend toujours pas la gravité de la situation sanitaire. A la place, il tape sur l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui « s’est vraiment plantée », et contredit le docteur Anthony Fauci, pilier de la task force américaine mise en place pour lutter contre le coronavirus, lors de ses points quotidiens.

Le 23 avril, il a même une « idée » pour soigner les malades : des rayons UV et un désinfectant injecté dans les poumons« Je vois que le désinfectant l’élimine en une minute. Une minute ! (…) ll serait donc intéressant de vérifier cela », prononce-t-il tout haut. Derrière lui, la moue des officiels dit leur désarroi.

Même si le chef de l’Etat précise que c’était de l’humour, le corps médical manque quand même d’avaler son stéthoscope. « A l’époque, nous, médecins, étions dépités du niveau de désinformation propagé par le président au grand public. Il n’a aucune expertise, s’agace encore Stefan Flores, urgentiste à New York.

29 mai : « Quand les pillages démarrent, les tirs commencent »

Le pays est en passe de franchir la barre symbolique des 100 000 morts, le 25 mai, quand les caméras du monde entier se braquent soudainement sur Minneapolis (Minnesota). « I can’t breathe » (« Je ne peux pas respirer ! »). George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans, vient de succomber aux 8 minutes et 46 secondes pendant lesquelles un policier blanc a maintenu son genou sur son cou. Chicago, Denver, Détroit, Portland, Los Angeles, Louisville, New York… Les grandes villes s’embrasent, et le slogan des manifestants, qui dénoncent un racisme « systémique » s’écrit sur les tee-shirts : « Black Lives Matter » (« La vie des Noirs compte »).

Les forces de l'ordre interviennent durant une manifestation contre les violences policières et le racisme devant la Maison Blanche, à Washington (Etats-Unis), le 31 mai 2020. (SAMUEL CORUM / AFP)
Les forces de l’ordre interviennent durant une manifestation contre les violences policières et le racisme devant la Maison Blanche, à Washington (Etats-Unis), le 31 mai 2020. (SAMUEL CORUM / AFP)

Incapable de répondre aux peurs des Afro-Américains à l’égard de la police, Donald Trump jette de l’huile sur le feu et menace de faire appel à l’armée. « Law and order » (« loi et ordre »), répète-t-il, manière de montrer les muscles. Le 29 mai, la goutte d’eau : des manifestants « osent » le défier jusque devant « chez lui » : voilà la Maison Blanche obligée de se barricader. Le même jour, il écrit ceci sur Twitter : « Quand les pillages démarrent, les tirs commencent ». Le réseau social décide aussitôt de masquer son message pour « apologie de la violence ». Un affront.

Le 1er juin, entouré par un important cordon policier, Donald Trump se rend à pied devant l’emblématique « église des présidents », à deux pas de la Maison Blanche, où a eu lieu un départ de feu la veille. « Nous avons un grand pays, déclare-t-il, une bible à la main. C’est le plus grand pays du monde. Et nous allons garantir sa sécurité ». 

Voilà le président américain qui doit affronter deux crises à la fois, sanitaire et sociale. Mais dans les deux cas, sa stratégie ne semble pas fonctionner. A cinq mois du scrutin, ça ne va toujours pas fort dans les sondages. Le milliardaire stagne à 42,2% d’intentions de vote. Son adversaire, toujours devant, est à 49.

22 juin : « Ce sera le scandale de notre temps ! »

Mais LE meeting de la relance arrive. Tulsa, dans l’Etat d’Oklahoma, promet-on, va tout changer. « Nous avons campé sur le site la veille pour être sûrs d’avoir une place, se souvient Agnès Vahramian, correspondante de France Télévisions aux Etats-Unis. C’était le grand retour sur scène de Donald Trump, ça ne pouvait pas se rater. » Eh bien si : un fiasco total, un peu plus de 6 000 personnes à tout casser, loin des 20 000 annoncées. La foule escomptée n’est pas au rendez-vous : des utilisateurs du réseau social Tik Tok affirment avoir détourné le système d’inscription pour entraîner une surestimation de l’affluence à l’événement. En clair, ils ont réservé des billets, sans aucune intention de s’en servir.

« Les images de sièges vides sont terribles pour le président », continue Agnès Vahramian. C’est la première fois que Donald Trump a une tête de perdant. Chez les militants, il y a du doute. » Lorsqu’il rentre à la Maison Blanche, au milieu de la nuit, Donald Trump a les traits tirés et l’air contrarié. Son col de chemise ouvert est taché de fond de teint, et sa cravate rouge pend le long de sa veste.

Le président américain Donald Trump fait la tête, le 21 juin 2020, en rentrant à la Maison Blanche après un meeting raté à Tulsa (Oklahoma). (NICHOLAS KAMM / AFP)
Le président américain Donald Trump fait la tête, le 21 juin 2020, en rentrant à la Maison Blanche après un meeting raté à Tulsa (Oklahoma). (NICHOLAS KAMM / AFP)

Cette fois, c’est clair : le milliardaire républicain traverse une très mauvaise passe. Alors il attaque. Il attaque le vote par correspondance, parle d’une élection « truquée », de « millions de bulletins imprimés par des pays étrangers », et propose même de reporter le scrutin. « Ce sera le scandale de notre temps !, » tweete-t-il.

28 août : « Nous produirons un vaccin avant la fin de l’année »

On ne le dit pas trop fort parce que c’est quand même la Maison Blanche, mais dans les couloirs, on n’en pense pas moins. « Vaccin, vaccin, vaccin… Donald Trump n’a plus que ce mot à la bouche, chuchote à franceinfo un habitué des lieux. Il n’y a pas une intervention où il n’en parle pas. » Il faut dire que le 45e président des Etats-Unis a pris un sacré pari le 28 août. « Nous produirons un vaccin avant la fin de l’année, et peut-être même plus tôt », s’avance-t-il.

Ses meetings prennent des allures de colloques médicaux. Pas un seul déplacement sans le « point vaccin » du président, et peu importe si ce n’est pas le sujet. Mais cette « fixette » fait grincer des dents parmi les scientifiques. Début septembre, neuf laboratoires publient un texte commun* les engageant à respecter le protocole le plus strict. Autrement dit, pas question d’accélérer la cadence parce qu’il y a une élection.

Le président américain, Donald Trump, fait un point à la télévision sur l'avancée du vaccin contre le coronavirus, le 18 septembre 2020. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)
Le président américain, Donald Trump, fait un point à la télévision sur l’avancée du vaccin contre le coronavirus, le 18 septembre 2020. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

L’élection, justement… Même elle. Même la convention républicaine qui doit être son moment ne se passe pas comme prévu. La veille, Jacob Blake, un père de famille de 29 ans, est grièvement blessé par un policier qui lui a tiré sept balles dans le dos à Kenosha (Wisconsin). Trois mois après la mort de George Floyd, l’affaire déclenche un cocktail dangereux mêlant émeutiers et groupes d’autodéfense. La vague de révolte antiraciste se propage à grande vitesse, gagne les équipes de basketball, de baseball, de football, des joueurs de tennis… Le monde du sport appelle au boycott des compétitions.

Le 17 septembre, Amy Dorris, une ancienne mannequin, accuse à son tour le président d’agression sexuelle. Des faits qui se seraient produits en 1997, lors du tournoi de tennis de l’US Open, à une époque où il était promoteur immobilier.

Le 24, voilà le président hué alors qu’il se recueille devant le cercueil de la juge progressiste de la Cour suprême Ruth Bader Ginsburg, décédée quelques jours plus tôt. Le 30, le New York Times* révèle qu’il n’a payé que 750 dollars d’impôts fédéraux l’année de son élection.

5 octobre : « N’ayez pas peur ! »

Le 2 octobre, autre tuile. Et quelle tuile ! Quelques jours après s’être moqué des masques que porte Joe Biden, voilà Donald Trump… testé positif au coronavirus. Il est dans la foulée admis dans un hôpital militaire de la banlieue de Washington. Selon une note que ABC a pu consulter*, l’épidémie aurait infecté « 34 membres du personnel de la Maison Blanche. » 

A son retour dans le Bureau ovale, le 5 octobre, le président relativise la maladie. « N’ayez pas peur ! », lance-t-il aux Américains qui le regardent à la télé, en enlevant ostensiblement son masque.

Donald Trump, de retour la Maison Blanche, enlève son masque, le 5 octobre 2020,  à Washington. (WIN MCNAMEE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)
Donald Trump, de retour la Maison Blanche, enlève son masque, le 5 octobre 2020,  à Washington. (WIN MCNAMEE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Celui qui a créé la surprise le 8 novembre 2016 n’a pas dit son dernier mot. Six jours après sa sortie de l’hôpitaI, il prend la route et enchaîne les meetings : Floride, Pennsylvanie, Iowa, Caroline du Nord, Géorgie, Michigan… Une vingtaine par semaine, à raison de trois par jours. Mais rien n’y fait, le sortant ne décolle pas dans les sondages. « Il a du mal à trouver l’attaque qui fera mal, l’attaque qui fera mouche », analyse Jérome Cartiller. Il va mal et il le sait. On sent qu’il est tendu, qu’il est nerveux. On le voit par ses tweets, à sa manière de communiquer. »

Trump est quelqu’un d’assez lisible. Quand il est de bonne humeur et que les choses s’enclenchent bien pour lui, on le voit, on le ressent. (…) En ce moment, il est d’humeur extrêmement contrariée. L’élection se présente mal.

Jérome Cartillier, correspondant de l’AFP à la Maison Blanche

à franceinfo

Il a le sentiment que « tous les efforts qu’il déploie, toute cette énergie, toute cette capacité à battre la campagne, ne produit aucun résultat depuis maintenant des semaines, continue Gil Paris, journaliste au Monde à Washington, co-auteur de Amérique : années Trump. Aucun événement qu’il avait prévu, anticipé et mis en scène pour rebondir, que ce soit la convention, que ce soit le débat, que ce soit les meetings. »

Le 23 septembre, il suffira d’une question posée en conférence de presse par un journaliste pour semer un peu plus le doute sur ses intentions en cas de défaite dans un mois (et agacer jusque dans le camp républicain) :

– Vous engagez-vous à une passation pacifique du pouvoir ?

– Il va falloir que nous voyions ce qui se passe.

18 octobre : « Imaginez si je perds ? »

L’a-t-il compris, que la défaite est finalement possible ? Lors d’un rassemblement en Géorgie, le 18 octobre, le président l’évoque pour la première fois en public. « Pouvez-vous imaginer si je perds ?, lance-t-il à la foule venue l’encourager. Toute ma vie serait gâchée. Qu’est-ce que je vais faire ? Je vais dire que j’ai perdu contre le pire candidat de l’histoire de la politique américaine ! Je ne vais pas me sentir bien. Je vais peut-être devoir quitter le pays, je ne sais pas. » Un mois avant, lors d’un rassemblement en Caroline du Nord, le président fait un commentaire similaire. « Je ne sais pas ce que je vais faire, en cas de défaite. Je ne vous parlerai plus jamais ».

Il ne perd en tout cas pas son humour. Le 24 octobre, Donald Trump vote par anticipation à West Palm Beach, en Floride. « C’était un vote très sûr, bien plus sûr que quand vous envoyez votre bulletin par courrier, dit-il. Tout était parfait, de manière très stricte, dans le respect des règles ». Avant d’ajouter qu’il vient de déposer un bulletin… « pour un type appelé Trump ». 

3 novembre : « Nous ne les laisserons pas voler l’élection »

Calé dans son bureau de la Maison Blanche, Donald Trump suit les premiers résultats de l’élection, entouré de 200 invités triés sur le volet. Le début de soirée lui est plutôt favorable. Le Texas ? Pour lui. La Floride ? Pour lui. Mais la nuit va rapidement virer au bleu, et il en prend ombrage. Il est carrément hors de lui quand son rival démocrate prétend être sur « la bonne voie ». Après plusieurs heures sans le moindre tweet, le président reprend son téléphone : « Nous ne les laisserons pas voler l’élection ».

Le réseau social Twitter masque partiellement un message publié par Donald Trump, dans la nuit du 3 au 4 novembre 2020. (TWITTER / CAPTURE D'ECRAN)
Le réseau social Twitter masque partiellement un message publié par Donald Trump, dans la nuit du 3 au 4 novembre 2020. (TWITTER / CAPTURE D’ECRAN)

Au fur et à mesure que les Etats tombent dans le camp d’en face, il multiplie les attaques, parle de fraude, de triche, mais sans la moindre preuve. Il exige des recomptages et brandit la menace de traîner les démocrates en justice pour obtenir gain de cause.

Mais ça ne prend pas. Ou plutôt, ça ne prend plus : plusieurs chaînes américaines  finissent par couper le président en plein direct. Et dans les rangs républicains, on commence à s’agacer face au comportement du chef. « Il n’y a aucune défense possible des commentaires du président qui, ce soir, sapent notre processus démocratique. L’Amérique compte les votes, et nous devons respecter les résultats comme nous l’avons toujours fait auparavant. Aucune élection ou personne n’est plus importante que notre démocratie », tweete par exemple le gouverneur républicain du Maryland, Larry Hogan. La suite est connue : samedi 7 novembre, la Pennsylvanie bascule officiellement dans le camp démocrate et offre la victoire à Joe Biden, au terme de quatre jours de suspense. Donald Trump va bel et bien devoir faire ses valises et quitter cette Maison Blanche qu’il aura occupé pendant plus de 1 300 jours.

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