L’éditorial de Dr. Cheikh Kanté, Envoyé Spécial du Président de la République du Sénégal

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Portrait de Cheikh KANTE - Ministre en charge du suivie du PSE © Malick MBOW
Portrait de Cheikh KANTE – Ministre en charge du suivie du PSE © Malick MBOW

«L’année 2021 est une étape fondamentale pour la reconstruction de l’économie mondiale en général, et de celle de l’Afrique en particulier»

Le Continent africain va aborder un virage décisif, afin de faire face aux graves conséquences de la crise sanitaire COVID 19 dont les chocs inattendus ont bouleversé toutes les perspectives, et entrainé de fortes pressions économiques et sociales qui ont détruit tous les efforts capitalisés par le passé, susceptibles de bâtir des cycles de croissances inclusives et durables. Il faut reconnaître que les pays africains ont fait face à cette crise avec des marges de manœuvre très limitées. Le Continent n’a jamais connu, depuis 30 ans, autant de pays en récession économique, concomitamment. Plus de 41 d’entre eux ont connu un recul de leurs PIB respectifs. Avec le soutien des institutions internationales, des mesures budgétaires ponctuelles ont été prises, pour sauver et stabiliser ce qui pouvait l’être.

La crise sanitaire, qui frappe tous les Continents se manifeste par la rupture ou, au mieux, le ralentissement de toutes les activités internationales comme les transports aériens, ferroviaires, routiers, et maritimes, le tourisme, et les circuits d’approvisionnement des matières premières, entre autres. En Afrique, les mesures de confinement ont complètement désorganisé les filets sociaux, ainsi que les structures de l’informel, qui représentent plus de 70% de nos économies, avec une incidence particulière sur la population jeune, dont 93,2% sont concernés. Les mesures de confinement ont ainsi coûté un peu plus de 3% du PIB mensuel des pays africains. La combinaison de ces effets dévastateurs est entrain d’annihiler des années de progrès et d’espérance. L’année 2021 est une étape fondamentale pour la reconstruction de l’économie mondiale en général, et de celle de l’Afrique en particulier. Il faut rappeler qu’en 2020, l’économie mondiale a chuté de 6%.

L’Afrique, quant à elle, a subi des chocs profonds qui ont remis en cause ses progrès, et les efforts réalisés au prix de multiples sacrifices, pour atteindre au mieux les Objectifs de Développement Durable. La vulnérabilité de nos modèles de planification et de développement a été encore une fois constatée, et le niveau d’insuffisance de nos ressources confirmé. Le montant des ressources financières disponibles, rapporté au nombre d’habitants, a régressé au cours de la période 2010-2018, tant du point de vue des recettes intérieures que des flux financiers extérieurs. Les pays africains ont disposé en 2018 d’une richesse estimée à 384 USD par habitant, contre 2226 USD pour les pays de la région Amérique Latine et Caraïbe, 1314 USD pour les pays en développement d’Asie et plus de 15000 USD pour les pays Européens et autres à revenus élevés. La pression fiscale dans la plupart des pays, qui tourne autour de 17,2%, est restée très faible malgré les réformes entreprises dans ce domaine.

Selon les estimations de certains experts, entre 2019 et 2020, du fait de la pandémie, la pression fiscale devrait baisser de 10% dans certains pays, l’épargne nationale de plus de 18%, les flux de transferts des migrants de 25%, et l’investissement direct étranger de 40%.

Par ailleurs, le service de la dette publique extérieure pour la majeure partie des pays du Continent a augmenté. Plus de 7 pays sont en voie d’atteindre un ratio de la dette/PIB de plus de 100%. Il s’agit notamment de l’Angola, du Cap-Vert, de l’Erythrée, du Mozambique, de la République Démocratique du Congo, du Soudan et de la Zambie. Le Président Macky Sall, qui avait déjà fait de l’annulation de la dette publique africaine son cheval de bataille, avait lancé, dès décembre 2019, à l’occasion de la Conférence Internationale sur la Dette, «Le Consensus de Dakar», qui avait été suivi d’un appel à la Communauté internationale, le 25 mars 2020. Cette initiative forte, soutenue par celles du Pape François et du Président Macron, a amené à une suspension de la dette publique bilatérale des pays vulnérables, dont 40 Etats africains, pour une durée de 6 mois (15 avril), prorogée au 30 juin 2021, puis au 30 octobre 2021. Les urgences nationales et les leviers qui peuvent permettre d’assurer une résilience sociale et économique devront être pris en charge par les États de manière individuelle et collective. Cependant, l’accent devra être mis sur le renforcement du processus de transformation productive, conformément à l’Agenda 2063 de l’Union Africaine.

L’optique d’un processus de reprise économique doit être basée sur une combinaison des facteurs clés de succès, fondée sur des stratégies microéconomiques, macroéconomiques, individuelles et collectives, articulée sur les objectifs de l’Agenda 2063, qui est une expression de l’Afrique que nous voulons, et arrimée sur les déterminants des Objectifs du Développement Durable (ODD) qui expriment une représentation du monde que nous souhaitons. Sans aucun doute, le premier pari à gagner est celui de la résilience. Principalement, parmi la panoplie de définitions de la résilience, celle qui est la plus adaptée, dans le contexte de la COVID 19, est «la capacité d’un pays à absorber un choc et à évoluer ensuite vers un état diffèrent». Il faut comprendre par cette réponse, la capacité pour un pays d’apporter les réponses politiques à travers des instruments de planification et d’action pouvant permettre l’organisation d’une riposte et la réalisation des objectifs de développement durable antérieurement définis.

La transformation productive, à travers une stratégie microéconomique et macroéconomique, qui est la clé de voûte qui peut permettre d’atteindre ces objectifs, doit s’articuler à deux niveaux :

– Sur le plan microéconomique, par une promotion et protection des PME et TPE orientées innovations, par la maîtrise du numérique, par la promotion de compétences spécifiques, et par la valorisation des ressources locales, dans les territoires nationaux. La maîtrise des innovations doit permettre d’abandonner certaines méthodes archaïques pour migrer vers des pratiques plus modernes qui influent davantage sur la qualité et la productivité. À travers des valeurs partagées auxquelles elles doivent nécessairement adhérer, les PME africaines doivent s’aligner sur les politiques et les plans nationaux qui déclinent les priorités des Etats.

–          Sur le plan macroéconomique, on note une grande convergence des Gouvernements africains vers des orientations prioritaires axées vers les souverainetés alimentaire, sanitaire, pharmaceutique, énergétique, entres autres.

Sur le plan agricole, l’Afrique devrait pouvoir nourrir l’Afrique, par la redéfinition d’une nouvelle stratégie de spécialisation par zone, soutenue par des chaînes de valeurs intégrées, c’est-à-dire intra-africaines, par l’augmentation du niveau des échanges entre pays, et par le renforcement de son pouvoir de négociation en influant, grâce à des politiques communautaires intégrées, sur la chaîne de valeur mondiale. Selon les données de l’OCDE, les approvisionnements intra-africains ne représentent que 12% de leurs intrants, contre plus de 21,6% en Asie du Sud-Est. L’industrialisation de l’Afrique doit passer par une transformation de ses matières premières en Afrique. L’articulation de la transformation productive, dans l’Agenda 2063, prend en compte toutes ces questions.

Par définition, la transformation productive est un processus d’accumulation des apprentissages cognitifs et comportementaux, et des cycles d’innovations, qui doivent être diffusés dans des chaînes de valeurs spécifiques, en vue d’acquérir, de maintenir et de développer des parts de marché. La production d’un pays influence et détermine son potentiel de croissance. La capacité d’exploitation de sa richesse permet de mesurer sa vocation à gérer et à redistribuer les retombées de sa croissance. La transformation productive permet une meilleure valorisation de ce potentiel dans une logique de diversification, corrélée à une forte valeur ajoutée soutenue par une maîtrise de l’innovation technologique.

La transformation productive peut, par conséquent, aider les économies africaines à migrer vers des chaînes de valeur intégrées qui prennent en compte les besoins de nos populations par zone géographique. Ainsi, la ZLECAF permettra de multiplier  par trois l’amplitude du commerce intra africain, tout en maintenant son objectif de conquérir les marchés mondiaux. Les caractéristiques de la structure productive africaine peuvent s’apprécier très sommairement dans cet éditorial à travers quatre niveaux : la structure de la production suivant les activités, la structure des exportations, la diversification des produits, et la complexité des produits.

L’analyse des contributions sectorielles de la croissance en Afrique montre que l’agriculture contribue d’une manière générale à hauteur de 16%, l’industrie de 26%, et les services à hauteur de 56% en moyenne. Comparée aux pays d’Asie et d’Amérique Latine, la contribution de l’agriculture africaine dans le PIB reste faible.

Le profil des exportations du Continent révèle une forte concentration des produits non transformés, et une faible représentation des produits manufacturés. L’analyse de la diversification, qui mesure l’amplitude de la diversification sectorielle de la production et la variété des exportations en utilisant l’indice de Herfindahl-Hirschman, permet de constater que seuls l’Afrique du Sud, le Maroc, la Turquie, le Kenya, entre autres, ont des  structures d’exportations qui se rapprochent au mieux des moyennes qui prévalent dans le monde et qui se rapprochent de celles des pays développés.

Des efforts sont à faire pour améliorer la position globale de l’Afrique dans ce domaine. La complexité renvoie au niveau de sophistication technologique d’un pays et à son aptitude à fabriquer un produit.

L’indice de complexité économique repose sur la notion d’ubiquité dont la faiblesse indique le niveau de sophistication technologique par rapport à une situation de référence.  C’est pourquoi, les obstacles, que représente un mur en béton, qu’il faut à tout prix démolir, sont à combattre d’une manière individuelle et collective par nos pays. Cela passera par l’amélioration de certains leviers comme : l’innovation technologique, la qualité de la main d’œuvre,  l’intégration économique, le renforcement des infrastructures, le taux d’accès à l’électricité, le rôle de l’État et de ses interventions, l’accès aux financements pour les PME/TPE, la promotion du statut des femmes, l’accès à la terre, et les différentes réformes qui doivent accompagner cette transformation.

La mise en œuvre de la stratégie de transformation productive doit permettre à l’Afrique d’améliorer son profil, en misant sur ces facteurs clé de succès. L’accroissement de la production agricole, qui permettrait d’atteindre l’autosuffisance alimentaire et de passer vers le cinquième levier de ROSTOW qui mène vers la transformation et l’industrialisation, doit figurer parmi les toutes premières priorités du Continent, afin de réduire sa dépendance dans ce domaine.

A cet effet, les cinq mégatendances qui influencent le niveau de réussite de la transformation productive doivent à tout prix être maitrisées. Il s’agit notamment : de l’essor économique dans certains pays en voie d’émergence, de l’urbanisation, de la croissance démographique, de l’industrialisation et enfin du changement climatique. Dans le cadre du PSE, le Sénégal est en voie de réussir sa transformation productive, avec l’accroissement de la production agricole et l’implantation des agropoles qui vont permettre de valoriser nos produits locaux et de promouvoir l’emploi des jeunes.

L’amélioration de la chaîne de valeur des structures de la transformation productive en Afrique doit également être orientée vers : son financement, la mise en valeur des opportunités, la valorisation du secteur informel, la prise en compte de l’égalité des genres, la protection sociale, et la digitalisation.

Les réformes fiscales sont inévitables dans une logique de mobilisation des ressources disponibles, tout en garantissant une rationalité dans leurs usages. Ces réformes devraient être associées à l’amélioration de l’environnement des affaires, afin d’attirer au mieux l’investissement étranger.

En outre, une forme novatrice de coopération internationale devrait voir le jour, qui soutiendrait  l’annulation de la dette publique, et accompagnerait la mise en place d’un mécanisme de surveillance par les Pairs.

La mise en valeur des opportunités pourrait passer par une spécialisation par zone géographique, au niveau des cinq régions africaines : Australe, Est, Ouest, Nord, Sud. Suivant la structure de la demande, chaque zone pourrait se spécialiser dans ce qu’elle serait capable d’offrir en termes de complémentarité et d’avantages comparatifs. La ZLECAF devrait jouer un grand rôle dans ce domaine.

Le secteur informel, qui représente des caractéristiques communes, est un important défi pour tous les pays africains.  Plusieurs définitions existent dont celles de l’OIT, de la conférence internationale des statisticiens du travail (CIST), et de la Commission Européenne, entre autres. La synthèse de ces définitions nous permet de caratériser l’informalité dans un contexte africain comme un sous-ensemble du secteur des ménages dont les activités échappent à la comptabilité nationale, bien qu’elles soient définies à l’intérieur de la frontière de production. Le secteur informel représente plus de 70 % du PIB de nos économies non pris en compte. Il est tenu, pour 93,2 %  par notre jeunesse, et, sur le plan sociologique, constitue un important régulateur social.

Par exemple, au Sénégal, le secteur informel occupe environ 3 767 323 personnes, le chiffre d’affaires généré est estimé à 9998,8 milliards de FCFA par an, avec un taux de valeur ajoutée de 37, 5%. Le nombre d’actifs dans le secteur non agricole est estimé à 2 499 219 de personnes en 2017. Le dynamisme de ce secteur est constaté dans le commerce pour 19,5%, le secondaire pour 70,4%, et les services pour 76,7%.

Les femmes occupent 45,3% des effectifs dans le secteur informel, pour 3 767 323 personnes. L’indice de ségrégation sectorielle au niveau national est estimé en 2017, selon l’ANSD, à 19,1. C’est-à-dire qu’un cinquième des personnes en emploi devrait changer de branche d’activité pour qu’on observe les mêmes distributions entre hommes et femmes. Dans le domaine de la microfinance, selon les données de la BCEAO de 2018, sur les 3 062 327 comptes ouverts, soit un taux d’accès de 15, 5% de la population, les 39,6% sont des femmes, soit 1 212 983 clients. Ce secteur, qui occupe une place fondamentale dans le PSE, est plus qu’une priorité pour le Président Macky Sall.

Dans un contexte africain de recomposition des priorités post-covid, des dispositifs institutionnels doivent être mis en œuvre, pour favoriser une migration de l’informel vers le formel, à travers l’amélioration de l’environnement des entreprises et des politiques publiques en faveur des PME/TPE, l’accès au financement et une fiscalité adaptée, une politique de formation des compétences et du marché du travail. Ces mesures pourraient participer à élaborer les politiques de transformation structurelle, afin de soutenir une véritable transformation productive en Afrique.

Il est fondamental que toutes les initiatives de recomposition stratégique pour une transformation productive prennent en compte, dans leur conception, une approche genre pour que nos femmes et nos filles soient mieux intégrées dans le processus de transformation productive.

Par ailleurs, la protection sociale, dans la dynamique de transformation productive, est essentielle. La couverture sociale doit être étendue à tous les segments de nos populations, notamment les plus vulnérables.

L’importance de la digitalisation s’est renforcée avec la pandémie, et son rôle, comme moyen d’accélération de la transformation productive en Afrique, s’est confirmé. Le numérique est présent dans tous les secteurs d’activités économiques et le Continent peut se prévaloir de certaines avancées notables dans ce domaine. La révolution des paiements avec le mobile en est un exemple, avec un record mondial du nombre de comptes estimé à 300 millions. Plusieurs start-up africaines ont atteint un seuil de valorisation remarquable. Le numérique est un secteur pourvoyeur d’emplois important, et la main d’œuvre africaine doit être préparée à la transformation digitale post Covid 19. Les stratégies nationales de transformation productive doivent favoriser la transformation digitale pour soutenir une création massive d’emplois, en promouvant la dissémination des innovations numériques au-delà des grandes villes, avec des politiques d’équité territoriale numériques adaptées.

L’Afrique que nous voulons se réalisera avec une croissance inclusive et forte, portée par une transformation productive volontaire, dans le cadre de la mise en œuvre de l’Agenda 2063.

Source. Magazine Tam Tam de l’émergence. A télécharger ci-dessous.

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