Six architectes plasticiens de quatre nationalités différentes ont transformé les murs de l’université cinquantenaire de Lomé et sa bibliothèque en un véritable musée de street art.
Une gigantesque fresque captive les regards depuis juillet dernier, s’étalant sur les 200 mètres de la clôture nord de l’Université de Lomé, le plus grand établissement public du Togo. Il s’agit d’une mosaïque de 66 plaques portant sur des thématiques aussi variées que l’écologie, l’identité, l’environnement, les traditions ou l’avenir.
Ici, un grand arbre tire ses racines de deux calebasses. Arrosé de l’eau versée par une femme allongée, l’arbre porte des fruits formant le Togo. Là, ce sont des hommes et femmes qui enjambent des pneus et d’autres qui les ramassent dans des ruelles.
Fresque murale
La fresque murale réalisée aux entrées de l’Université de Lomé (nord et sud) et sur les murs de la bibliothèque universitaire est une première œuvre d’envergure pour les six artistes membres du collectif Weart’Chitect. Et chacun, à l’instar de la Burkinabè Carine Aminata Sori, du Congolais Yela Jovin Mbongui Bikedi, des Togolais Achille Eklou Komla Segbedji et Soke Koffi Hougnibo, ainsi que des Camerounais Mesmer Dapabko Ndienang et Léopold Goutsop, a exprimé par son art un point de vue saisissant.
MON ŒUVRE EST LE RÉSULTAT D’UNE MÉDITATION SUR LE CHEMINEMENT VERS UNE SOCIÉTÉ HARMONIEUSE
Major du groupe, Léopold Goutsop, arrivé au Togo il y a sept ans pour suivre des études d’architecture et d’urbanisme, a baptisé son travail « Cheminement vers l’émergence ». « Mon œuvre est le résultat d’une méditation sur le cheminement vers une société harmonieuse où les citoyens seront sur une terre qui favorise l’épanouissement individuel et collectif », explique-t-il. Mêlant des couleurs vives et flamboyantes, il donne une ambiance vivante à la rue de Lomé et « enseigne à travers la beauté ».
De son côté, Hougnibo Koffi Soké présente les êtres humains comme les locataires d’une terre qui les abrite et à laquelle ils doivent accorder beaucoup d’attention. « Nous devons protéger notre bailleur, parce que nous, les hommes, ne sommes pas les seules espèces à y vivre », affirme l’artiste. Et c’est pour sauver cette terre menacée que Yela Jovin Mbongui Bikedi appelle à un retour aux racines, à cette « identité culturelle africaine qui perd peu à peu sa reconnaissance ».
LE MASQUE EST PERÇU COMME QUELQUE CHOSE D’EFFRAYANT, DE DIABOLIQUE, ALORS QU’IL POUVAIT TOUT AUSSI BIEN ÊTRE L’EXPRESSION POÉTIQUE D’UNE IDÉE ARTISTIQUE
À travers son œuvre illustrée par une danse de masque anthropomorphe, il interpelle les consciences sur la valeur symbolique de cet objet dans la culture. Généralement utilisé lors des rites d’initiation, entre autres, le masque permet à l’homme de modifier son apparence, soit pour se cacher, soit pour exprimer sa croyance. « Mais aujourd’hui il est perçu comme quelque chose d’effrayant, de diabolique, alors qu’il pouvait tout aussi bien être l’expression poétique d’une idée artistique, quelque chose de beau », rappelle Bikedi.
Transformer des déchets plastique en « or dur »
La réalisation des œuvres est financée – pour un montant que les responsables n’ont pas souhaité révéler – par le projet « Nous sommes le Togo », porté par la commune Golfe 3, qui abrite l’Université de Lomé. La participation des artistes architectes est le fruit d’un partenariat avec l’École africaine des métiers de l’architecture et de l’urbanisme (EAMAU).
L’objectif est de transformer des déchets plastique en « or dur » et de promouvoir les talents locaux. L’œuvre présentée sur la clôture de l’Université de Lomé ne marque que le début de cette alliance qui s’annonce prometteuse. « C’est une fierté que de pouvoir apprécier ce chef-d’œuvre. Ce sont des sachets qui jonchent nos artères qui sont à l’origine de ces fresques pour rappeler qu’il n’y a pas lieu de salir l’environnement en jetant les ordures partout », souligne le maire, Kamal Alawo Adjayi.
L’éclat des fresques le long des murs de l’Université de Lomé, en pleine métamorphose depuis cinq ans, fait la fierté de son président, Dodzi Kokoroko, également ministre des Enseignements primaire, secondaire et technique ainsi que de l’Artisanat. Pour lui, « la République ne tue pas ses Mozart. La République ne tue pas le progrès. Le travail se conjugue au beau et l’Université de Lomé incarne à travers la République le beau qui magnifie le travail et le temps intellectuel, manuel et spirituel. La décentralisation n’est pas derrière nous mais devant nous. C’est cet avenir que la Mairie Golfe 3 et l’Université proposent à travers ces fresques ».
De fait, l’œuvre vise à sensibiliser la population aux questions des langues, des traditions, des sites et des paysages diversifiés qu’offre le Togo, mais aussi à l’importance des masques dans les cultures africaines. Sans oublier le principe du vivre-ensemble, principal ferment de cohésion. Les fresques ont transformé le temple du savoir en un musée à ciel ouvert.