En se prêtant au jeu du «concours d’anecdotes» avec les youtubeurs McFly et Carlito, Emmanuel Macron s’offre une large audience auprès des jeunes.
Un peu plus de 36 minutes et des millions de vues, hors de tout contrôle par le Conseil supérieur de l’audiovisuel qui veille d’ordinaire sur la répartition des temps de parole à la télévision : en participant, comme il s’y était engagé, à une vidéo des youtubeurs McFly et Carlito, Emmanuel Macron a réalisé une très efficace opération de communication. L’Elysée a accordé aux deux stars des réseaux sociaux un accès exceptionnel, les autorisant à tourner dans le palais et même à organiser un concert de métal dans le parc de l’Elysée. Avec près de 8,5 millions de vues lundi à 15 heures, il semble que le jeu en valait la chandelle pour l’exécutif.
Cette apparition du président s’inscrit dans une série d’initiatives destinées à la jeunesse, multipliées depuis le début du nouveau déconfinement, la semaine dernière. Vendredi, Emmanuel Macron avait ainsi assisté à une partie d’un concert du groupe de rap 47ter. Pour lancer le «pass culture», qui doit permettre à 800 000 jeunes âgés de 18 ans de dépenser jusqu’à 300 euros en activités et biens culturels, le chef de l’Etat a multiplié les interventions sur les réseaux sociaux, s’adressant ainsi dans un tweet «aux fans de rap, de métal, d’électro», «aux amateurs de cinéma, de théâtre», «aux lecteurs de romans, de BD», «aux accros de GoT («Game of Thrones», ndr), de Validé», et «au Bataillon d’exploration», référence au manga «L’Attaque des titans»…
Dans le film de McFly et Carlito, qui présente un «concours d’anecdotes» opposant les deux vidéastes au président de la République, la politique est en apparence absente. Tout juste y apprend-on que McFly -David Coscas de son vrai nom- n’a pas voté Macron au premier tour de la présidentielle. Le président, lui, livre des anecdotes, vraies ou fausses, et se prête au jeu en souriant. Il appelle même sur son téléphone le footballeur Kylian Mbappé, qui confirme devant les caméras qu’il ne rejoindra pas l’Olympique de Marseille prochainement. A l’écran, tout se déroule comme si ce coup médiatique s’opérait dans une bonne humeur partagée, dénuée de contexte politique ou social.
« Zouaveries » contre « screugneugneux »
Ce «concours d’anecdotes» n’a pourtant pas échappé aux oppositions. Les plus conservateurs ont dénoncé l’atteinte à la fonction présidentielle. Philippe de Villiers, qui ne dédaignait pas il y a quelques années afficher sa proximité avec Emmanuel Macron, a dénoncé sur Twitter un «exercice honteux d’infantilisation», qualifiant Emmanuel Macron de «pitre de la République». «Macron promet aux youtubeurs McFly et Carlito d’afficher leur portrait lors de son allocution du 14 juillet… Du grand n’importe quoi!», s’est étranglé Louis Aliot, maire Rassemblement national de Perpignan. «Cette vidéo d’Emmanuel Macron avec McFly me fait de la peine, pour la fonction, pour le pays. La situation de la France est trop grave pour faire le clown», a fait savoir sur Twitter Nicolas Dupont-Aignan, député Debout la France. Le député Les Républicains Julien Aubert a affirmé pour sa part que la vidéo est «une superbe opération de communication», mais s’est lamenté : «Dommage qu’elle profite au futur candidat -cool et « hanounisable »- au détriment de l’autorité présidentielle, ramenée au rang d’animateur TV.» Son collègue LR Eric Diard s’est agacé : «Parler de violences policières dans Brut , afficher les portraits de deux youtubeurs sympas McFly et Carlito sur son bureau le 14 juillet : Emmanuel Macron est prêt à tout pour attirer l’électorat jeune.» Valérie Boyer, sénatrice LR, a renchéri toujours sur Twitter : «Emmanuel Macron a bénéficié dans sa jeunesse de l’excellence dans son éducation (meilleures écoles, cours de théâtre, piano…) mais quand il s’adresse aux jeunes, il les assigne à la médiocrité, la vulgarité. Il pense à sa com’ et non pas aux Français en père de la nation.»
«Ce n’est pas en faisant des clips d’influenceurs qu’on va aider [les jeunes], ni dans leurs difficultés sociales, ni dans leurs aspirations», a cinglé sur France Inter l’écologiste Yannick Jadot, avant de déplorer que la politique ne soit «plus régie que par des agences de communication». A gauche, encore, le communiste Ian Brossat a déclaré sur France 3 dimanche qu’«Emmanuel Macron est meilleure youtubeur que président de la République». Dénonçant la précarité d’une partie importante de la jeunesse, l’élu parisien a balayé ce qu’il qualifie de «zouaveries». L’eurodéputée insoumise Manon Aubry a pour sa part fait mine de poser une question : «Cette vidéo sera-t-elle intégrée aux frais de campagne d’Emmanuel Macron pour les présidentielles? Les prestataires McFly et Carlito précipitent en tout état de cause notre démocratie un peu plus dans l’abîme.»
Dans le camp macroniste, en revanche, on affiche son enthousiasme. Le patron des députés LREM, Christophe Castaner, a salué la vidéo. «Défi relevé! Bravo à Emmanuel Macron et McFly et Carlito, le jeu était serré mais il faut toujours se méfier des remontadas!», a tweeté l’ancien ministre de l’Intérieur. Le député Roland Lescure a pour sa part brocardé les «rabats-joie» du journal «Le Figaro», à qui il reproche d’avoir publié des textes critiques sur le «concours d’anecdotes». «Promesse tenue!», s’enthousiasme la députée LREM de Haute-Savoie Véronique Riotton. «Allez, les screugneugneux, détendez-vous!», enjoint sa collègue Marion Lenne, élue du même département.